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Les "immigrés" français font peur à Moscou
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16 novembre 2005 15:31
Les "immigrés" français font peur à Moscou

16.11.2005 | 15h10

Il ne se passe pas un jour à Moscou sans que les violences qui secouent la France soient abordées par les médias, par les politiques et dans les dîners en ville. " "La fin de votre France ! : ce que veulent les incendiaires", titre l'hebdomadaire Vlast de cette semaine ; "Les Maures à l'oeuvre", annonce un autre magazine, qui se propose d'expliquer "pourquoi Paris a brûlé". Dimanche 13 novembre, la plupart des télévisions russes ont ouvert leurs émissions d'information hebdomadaires sur "la révolte des immigrés", un thème qui ressort aujourd'hui dans toutes les conversations des Moscovites.

Pour la plupart des Russes, les images que leur renvoie leur petit écran sont choquantes, au premier chef parce que ce ne sont pas celles de la France qu'ils croient connaître et dont, indéniablement, ils admirent la culture, celle de Balzac, de Victor Hugo, d'Alexandre Dumas. C'est sur cette France-là qu'ils ont arrêté leur regard pendant les quatre-vingt-cinq années de chape de plomb soviétique, la voyant comme la quintessence de la civilisation.

Ceux qui ont fait le voyage jusqu'à Paris — ils sont de plus en plus nombreux — se remettent difficilement de ce qu'ils ont vu : "Tant d'Africains, tant d'Arabes ! C'était tellement humiliant pour moi de faire la queue avec eux à la préfecture", explique Vitia, un étudiant qui a séjourné quelques mois en France il y a deux ans. "Heureusement que votre ministre de l'intérieur va les déporter : cela va les calmer", explique Boris, un militaire à la retraite. Les passions se sont à ce point enflammées que le bureau du Monde à Moscou a reçu de la province russe des messages de soutien envers la France "contre ces méchants Arabes et ces Noirs ingrats".

Cette vision phobique trouve toute son expression dans un ouvrage récemment publié. Intitulé Mosquée Notre-Dame de Paris, le livre est une fiction qui dépeint Paris en 2047, soumise à la loi islamique. Les habitants, s'ils ne se sont pas convertis, en sont réduits à vivre dans des ghettos. "La guerre des religions entre chrétienté et islam est plus qu'inévitable : elle a déjà commencé", a déclaré Elena Tchoudinova, son auteur, à l'agence de presse russe Interfax.

Car ici la grille de lecture la plus communément livrée pour comprendre ce qui se passe en France est celle du choc des civilisations et des guerres de religions. Interrogé sur le pourquoi des "troubles en France" à l'occasion d'une conférence de presse, Viatcheslav Postavnine, chef du département des migrations, a mis en avant le "facteur islamiste". Alexandre Privalov, de l'hebdomadaire Ekspert, a expliqué que les insurgés en France étaient "pour la plupart de jeunes islamistes".

Les "experts" français choisis par les télévisions pour faire de l'explication de texte renforcent cette tendance. Interviewé à tout bout de champ, Jean-Marie Le Pen et ses explications — "Depuis longtemps je disais bien que la France allait devenir algérienne" — sont pris pour argent comptant.

Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française et historienne spécialiste de la Russie, a expliqué sur la chaîne privée NTV : "Tout le monde s'étonne : pourquoi les enfants africains sont-ils dans la rue et pas à l'école ? Pourquoi leurs parents ne peuvent-ils pas acheter un appartement ? C'est clair : beaucoup de ces Africains, je vous le dis, sont polygames." Dans un entretien accordé à l'hebdomadaire Les Nouvelles de Moscou, elle ajoute : "La télévision française est tellement politiquement correcte que cela en est un cauchemar. Nous avons des lois qui auraient pu être imaginées par Staline. Vous allez en prison si vous dites qu'il y a cinq juifs ou dix Noirs à la télévision. Les gens ne peuvent pas exprimer leur opinion sur les groupes ethniques, sur la seconde guerre mondiale et sur beaucoup d'autres choses."

Les angoisses de toute une société se sont désormais cristallisées sur la crise française. La Russie, qui se voit comme le dernier rempart entre l'Europe et la barbarie, voit resurgir ses propres peurs. "Ce qui se passe en France va se produire chez nous, j'en suis certaine", confie Elisaveta, une professeur de français. La question revient sans cesse sur le tapis. "Le scénario français nous menace-t-il ?", interrogeait la chaîne de télévision publique RTR, dimanche soir.

"Rien de tel ne se produira", explique Modeste Kolerov, l'homme chargé au sein de l'administration présidentielle russe de lutter contre les "révolutions orange". La Russie, rappelle-t-il à l'agence de presse Itar-Tass, est, "depuis plus de mille ans", un Etat "multiethnique". Le sociologue Valeri Tichkov, cité par RTR, exclut, lui aussi, semblable développement : "Nos immigrés sont terrorisés, effrayés ; je ne pense pas qu'ils osent se livrer à de tels actes de barbarie", pronostique-t-il.

Depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, le discours nationaliste prend de l'ampleur et le slogan "La Russie aux Russes !" connaît un certain succès. Par ailleurs, la guerre menée en Tchétchénie a servi de terreau à la haine ethnique contre les "Noirs" (Tchernye), c'est-à-dire les Caucasiens et les ressortissants d'Asie centrale, fréquemment décrits dans le discours de l'homme de la rue comme des "barbares". Le 4 novembre, jour de la fête de l'"unité nationale", près d'un millier de manifestants ont défilé dans les rues de Moscou en clamant des slogans racistes contre "les mafieux caucasiens" et contre "les trafiquants de drogue tadjiks".

La semaine dernière, le parti ultranationaliste Rodina (Patrie) a fait diffuser en boucle, à la télévision, un petit film de campagne en vue des élections législatives du 4 décembre. On y voit un groupe d'hommes aux cheveux noirs, assis sur un banc dans un parc, manger des melons et jeter les épluchures par terre. Deux hommes passent — les deux sont des figures du parti Rodina : Dmitri Rogozine et Iouri Popov — et leur demandent de ramasser les détritus. "Vous comprenez le russe ?", demande, narquois, Iouri Popov.

Le clip se termine sur le slogan : "Nettoyons notre ville de ses détritus !", qui résume le programme électoral du parti Rodina. Depuis la protestation de l'ambassadeur d'Azerbaïdjan à Moscou, le clip a été retiré. Mais le message a suffisamment été diffusé pour être gardé en mémoire. Sa teneur en dit long sur les peurs qui animent les Russes aujourd'hui et dont les événements de France sont pour eux le miroir.

Source: Le Monde

 
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