Immigration amère LE MONDE | 04.05.06 | 16h30 • Mis à jour le 04.05.06 | 16h30
Essai féroce et drôle, le petit livre de Luc Bassong, habilement déguisé en roman picaresque, tombe à pic : sa lecture ne peut qu'être recommandée aux députés français appelés à débattre de la nouvelle loi sur l'immigration, concoctée par le ministère de l'intérieur. "La France souhaite accueillir de nouveaux immigrés (...) mais pas n'importe quelle catégorie", résume l'auteur, par la voix de son héros, le jeune Isaac, archétype africain du quêteur de visa.
Roublard et obstiné, ce Pied Nickelé moderne connaît sur le bout des doigts la rhétorique sarkozyste. Comme tout le monde, il sait que le temps est fini où l'Hexagone avait besoin de recruter des "bras" pour la guerre - les fameux "tirailleurs sénégalais", utilisés pour les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945 -, puis, plus tard, pour ses usines et ses chantiers. A présent, "la France veut des cerveaux".
Une gageure ? Qu'à cela ne tienne ! En Afrique, 99 % des gouvernants sont "des analphabètes docteurs d'Etat", songe le jeune Isaac, alors pourquoi pas lui ? "Pour peu que je graisse la patte de l'imprimeur, poursuit-il, lundi, je serai docteur en physique nucléaire, mardi, docteur en littérature générale et comparée, mercredi, docteur en ce que tu veux, et ainsi de suite. Je connais même une femme illettrée qui a eu tous ses diplômes, de l'école élémentaire au troisième cycle, le même jour de la même année. L'imprimeur avait oublié de changer la date du tampon."
A travers les tribulations d'Isaac, marié et père de deux enfants, mais que taraude un irrépressible désir d'Europe, ce sont les espérances brisées et les rêves de départ de tout un peuple, celui des classes moyennes paupérisées des grandes villes africaines, que raconte Luc Bassong, lui-même "fils d'immigrés". L'écrivaine sénégalaise Fatou Diome avait déjà travaillé sur ce thème, dans Le Ventre de l'Atlantique (Anne Carrière, 2003). Avec Comment immigrer en France en 20 leçons, la tragédie prend les allures d'une farce. Et tout le monde en prend pour son grade. Les Français, bien sûr, et notamment les fonctionnaires de l'ambassade, dont le portrait, plus vrai que nature, donne envie de rire autant que de pleurer.
Mais également les Africains - les hommes, surtout. Ceux, par exemple, dont les épouses sont parties se prostituer en Europe. "Elles élèvent leurs enfants avec leur cul, comme on dit chez nous. Restés au pays, les maris sont fiers d'elles comme personne (...). Chaque jour, ils vont à la banque percevoir les mandats Western Union qui leur sont adressés de Paris ou Genève (...). Ces messieurs font la pluie et le beau temps chez nous. Beaucoup de jeunes écoliers rêvent d'un avenir semblable au leur." Epinglés également, ces Africains "malgré eux", ayant honte d'être noirs et qui "méritent bien leur surnom : Bounty, noir dehors, blanc dedans".
Sans oublier "les élites corrompues et les dictateurs", dont les richesses, détournées des caisses de l'Etat, vont nourrir les comptes privés offshore, au lieu d'être investies dans les écoles, les routes ou les hôpitaux.
"Regarde le continent, regarde ! On meurt comme des mouches à cause du sida ou de la guerre et tu continues à croire aux programmes d'aide au développement dont on n'a jamais vu la couleur ?", lance Isaac à son épouse, qui lui suggère, naïve ou optimiste, de retourner en brousse pour cultiver la terre.
"Quand le malheur frappe à ta porte, tu as intérêt à savoir sauter par la fenêtre", conclut le jeune héros, qui finira, après moult mésaventures, par arriver en France. Happy end ? Pas du tout. La fin du récit est amère et le malheur sans fin. C'est la seule morale de cette fable impertinente et crue.
-------------------------------------------------------------------------------- COMMENT IMMIGRER EN FRANCE EN 20 LEÇONS de Luc Bassong. Max Milo, 188 pages, 16 €.
Catherine Simon Article paru dans l'édition du 05.05.06
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