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"La haine de l’Occident"
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4 novembre 2005 23:01
L’Occident ne pourra pas mettre fin au terrorisme s’il ne prend pas en compte les aspirations de populations qui subissent l’humiliation et la pauvreté, rappelle Joseph Maïla, sociologue et doyen de la faculté de sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris.
A quel point existe-t-il dans les sociétés arabo-musulmanes un « fond » culturel antioccidental ?
Joseph Maïla. Ces sociétés entretiennent avant tout une relation très ambivalente avec l’Occident, qui s’est nouée à partir de l’expédition de Bonaparte en Egypte en 1798. Ce contact provoque alors pêle-mêle interrogation, fascination et rejet. L’interrogation est celle des oulémas, qui se demandent comment une civilisation d’infidèles peut jouir d’une richesse et d’une puissance scientifique tellement supérieures. S’engage alors un débat entre deux courants intellectuels. L’un, traditionaliste, estime que le retard musulman tient à la négligence des croyants pour leur religion. Ce courant donnera naissance au fondamentalisme. La seconde école estime au contraire que le monde musulman doit s’adapter aux temps. Ce courant libéral et réformiste est emblématique de la fascination qu’exerce la modernité occidentale sur l’ensemble des élites arabes, impressionnées par cette société où règne un ordre couplé avec la liberté. Notamment sous la plume de l’Afghan Jamal Al-Din Al-Afghani ou du cheikh égyptien Mohammed Abduh, ce courant réformiste tente alors de penser une modernité musulmane et le rapport à la démocratie. Cet élan est freiné le 3 mars 1924, quand l’assemblée nationale turque abolit le califat. C’est un choc symbolique immense : de 632 à 1924, les musulmans ont vécu dans la fiction généalogique de la succession de Mahomet. A partir de 1924, l’heure est plutôt à la réaction. L’islam est attaqué, il faut brandir les boucliers : « ils » ont détruit le califat avec leurs idées modernes... Le danger vient désormais de la culture occidentale. C’est à ce moment, en 1928, que naît le mouvement des Frères musulmans, premier parti islamiste de l’ère moderne. L’hégémonie politique et militaire de l’Europe aura ainsi fini par abîmer sa force d’attraction culturelle. Fondamentalement, la « renaissance arabe » s’est heurtée à sa démarche contradictoire qui consistait à aller chercher chez l’oppresseur les moyens intellectuels de l’émancipation. Le rejet l’a donc emporté sur la fascination. D’autant plus que l’Occident pourvoyeur de culture était en même temps prédateur de civilisation via la colonisation.

Comment expliquer ce poids de l’histoire dans la relation contemporaine entre islam et Occident ?
J. M. Il faut avoir à l’esprit le rapport torturé des sociétés musulmanes avec leur histoire. Pendant sept cents ans, l’islam a donné naissance à une civilisation brillante qui a bouleversé les mathématiques, l’astronomie, la médecine et la philosophie, notamment en réinterprétant Aristote et Platon. Mais, à partir du xiiie et du xive siècles, avec les invasions mongoles, l’effondrement du califat de Cordoue, puis la reconquista, la pensée musulmane entre en léthargie. L’histoire s’inverse et cette civilisation éblouissante périclite. Les musulmans ont d’autant plus conscience de leur triste sort que l’enseignement, littéraire notamment, reste fondé sur des textes vieux de huit à dix siècles ! Car entretemps, la civilisation musulmane n’a rien produit. C’est comme si les Occidentaux étudiaient Platon, Aristote et Saint Thomas, mais pas Pascal, Voltaire, Rousseau, Kant ou Freud... Parce qu’ils n’existeraient pas. On comprend que les populations s’identifient à un passé mythifié. D’où la vivacité, par exemple, de la référence à l’Andalousie. J’ai encore en tête des centaines de vers de la littérature andalouse que l’on m’a enseignés. Cette relation nostalgique à l’histoire engendre un rapport schizophrène au présent et à cet Occident qui en est l’incarnation. L’écoulement du temps est perçu par ces sociétés comme une source d’humiliation : hier les croisades et la colonisation, aujourd’hui, la guerre du Golfe ou la Palestine.

A quel point ce substrat permet-il d’expliquer l’expansion d’un islam guerrier et antioccidental ?
J. M. La prégnance d’une pensée médiévale et la force du ressentiment historique à l’égard de l’Occident apportent bien entendu de l’eau au moulin des plus extrémistes. Mais attention : ce ne sont pas la culture du passé ou ses séquelles qui motivent le militantisme d’aujourd’hui. Ce sont les impasses politiques, les inégalités et les injustices. Face à ce hiatus, le jihadisme salafiste, qui représente la dérive folle de tous les questionnements sur la place de l’islam, propose à la fois de s’inspirer de l’exemple des « pieux ancêtres » (les salaf), compagnons du prophète à Médine vivant leur islam sans ajouts ni scories, et d’entreprendre le jihad - la lutte pour que s’applique la loi de l’islam - contre les princes impies et les Occidentaux qui entravent la renaissance musulmane. Les explications éparses qui ont pu être rassemblées à partir des communiqués, des cassettes, des interviews de Ben Laden ou de ses hommes, indiquent qu’ils ont conscience d’enraciner leur action dans une histoire longue qui perdure dans les vicissitudes du présent, autour de cette idée d’une hégémonie occidentale faite d’influence, mais aussi d’occupations et de guerres. L’Occident est réduit à son projet expansionniste. L’objectif n’est pas pour autant de renverser ces régimes politiques. En attaquant l’Occident, le jihadisme salafiste s’adresse à l’Orient : il s’agit de convaincre les foules arabo-musulmanes que l’Occident est un tigre de papier et ses « valets » orientaux aussi. De radicaliser les masses en les décomplexant et en leur redonnant confiance dans leur capacité d’agir, de donner en somme la chiquenaude qui provoquera le soulèvement planétaire de l’islam. Les jihadistes empruntent ainsi à la logique de la mondialisation : dans ce monde sans frontières, ils déterritorialisent le combat. C’est ce que l’action de Ben Laden ajoute de décisif à l’idéologie de l’islamisme militant. Le jihad de Ben Laden découple l’action de résistance d’avec un lieu précis. L’ennemi visé est un univers globalisé. Ce qui permet de « parler » à la fois au Palestinien, au Tchétchène, à l’Indonésien et au « beur » de banlieue. L’islamisme se présente en somme comme une mondialisation alternative.

L’intifada islamique mondiale de Ben Laden a-t-elle la moindre « chance » de se produire ?
J. M. Non. Les jihadistes sont en symbiose culturelle avec les populations musulmanes : ils écoutent peut-être la même musique, sont sensibles aux mêmes références littéraires, partagent la même foi. Mais ils sont en déphasage politique complet. L’immense majorité des musulmans n’a que faire du retour au texte du Coran et au mode de vie des salaf. Ils se débattent chaque jour pour vivre et pour s’intégrer au monde contemporain. Cela étant, cette idéologie bénéficie d’une puissance indéniable en exploitant la misère et l’injustice : son discours acquiert force de vérité dans l’esprit de tous ceux et celles qui pensent que l’Occident est coupable. L’antioccidentalisme est devenu le bréviaire des pauvres. Voilà le plus inquiétant. Dans ce contexte, l’assassinat récent des deux leaders du Hamas par l’armée israélienne ou les feux verts répétés de George Bush à Ariel Sharon pèsent lourd. Car ce type d’événement comble, au moins pendant un temps, le fossé politique entre les sociétés et les groupuscules jihadistes. Et quand ceux-ci, et pas seulement eux, crient vengeance, ils trouvent des oreilles de plus en plus attentives. D’une protestation contre l’injustice, nous sommes en train de passer à un heurt entre des sensibilités culturelles qui se pensent irréconciliables. Au passage, l’on réduit l’individu à ce que fait de lui sa civilisation ou du moins à ce qu’on croit être « sa » civilisation et ses valeurs ; ce qui permet de le dénigrer, de le déshumaniser, d’en faire un barbare ou un mécréant, ce qui autoriserait son meurtre le cas échéant. Internet est devenu un instrument de diffusion d’invectives et de qualifications racistes de toutes sortes. Des sites mettent en ligne des prêches prononcés dans des mosquées saoudiennes. Au lendemain de l’assassinat du leader du Hamas, on y parle en termes animaliers d’Ariel Sharon. Cette réduction des problèmes politiques à des injures, des caricatures ou un combat d’essence culturelle est terrifiante. On ne parviendra pas à combattre durablement le terrorisme si l’Occident ne prend pas en considération l’immense sentiment de frustration de ceux qui subissent la pauvreté ou l’humiliation. Ils sont d’autant plus révoltés que la mondialisation de l’information leur permet de se comparer en permanence : on peut d’un taudis d’un camp de Cisjordanie ou de Tchétchénie voir s’étaler l’opulence des autres. Ne pas agir pour promouvoir des solutions de justice, c’est contribuer à nourrir un discours de défense, arc-bouté sur des positions craintives et agressives à la fois, que galvanise cette psychologie de l’envie dont le philosophe américain John Rawls dit qu’elle naît d’un « manque de confiance en soi combiné avec un sentiment d’impuissance ». Nous sommes tous responsables. L’Occident sans doute un peu plus. Car la puissance ne va pas sans d’éminentes responsabilités.

La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
V
4 novembre 2005 23:02
trés bon article

merci Mademoiselle (ou madame) Loubna smiling smiley
D
4 novembre 2005 23:06
Excellent !



Vivre sous occupation, c'est l'humiliation à chaque instant de sa vie ... Résister à l'occupation, c'est vivre libre !Aujourd'hui Gaza, demain Al-Qods !
o
4 novembre 2005 23:34
2loubna tu pourrai faire un résumé stp,....j' avoue que je n' ai pas osé tt lire...mais ca parrait interressant
D
4 novembre 2005 23:44
Moi aussi Ouriaghel !

Je pense qu'il y une fonction "résumé" sur Word office !
Lol !

Augmente la police ! Pas celle de Sarko bien sûr !
Vivre sous occupation, c'est l'humiliation à chaque instant de sa vie ... Résister à l'occupation, c'est vivre libre !Aujourd'hui Gaza, demain Al-Qods !
i
4 novembre 2005 23:59
La source,loubna STP pour les références de l'auteur?
georges orwell
2
5 novembre 2005 00:05
Salam,

[www.alternatives-internationales.fr]


ibn hazm a écrit:
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> La source,loubna STP pour les références de
> l'auteur?
>
> georges orwell






Modifié 1 fois. Dernière modification le 05/11/05 00:06 par 2loubna.
La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
 
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