Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
un grand homage a .........
r
13 décembre 2004 08:55
A Madame D. G. de G.

Jadis je vous disais : -- Vivez, régnez, Madame !
Le salon vous attend ! le succès vous réclame !
Le bal éblouissant pâlit quand vous partez !
Soyez illustre et belle ! aimez ! riez ! chantez !
Vous avez la splendeur des astres et des roses !
Votre regard charmant, où je lis tant de choses,
Commente vos discours légers et gracieux.
Ce que dit votre bouche étincelle en vos yeux.
Il semble, quand parfois un chagrin vous alarme,
Qu'ils versent une perle et non pas une larme.
Même quand vous rêvez, vous souriez encor,
Vivez, fêtée et fière, ô belle aux cheveux d'or !
Maintenant vous voilà pâle, grave, muette,
Morte, et transfigurée, et je vous dis : -- Poëte !
Viens me chercher ! Archange ! être mystérieux !
Fais pour moi transparents et la terre et les cieux !
Révèle-moi, d'un mot de ta bouche profonde,
La grande énigme humaine et le secret du monde !
Confirme en mon esprit Descarte ou Spinosa !
Car tu sais le vrai nom de celui qui perça,
Pour que nous puissions voir sa lumière sans voiles,
Ces trous du noir plafond qu'on nomme les étoiles !
Car je te sens flotter sous mes rameaux penchants ;
Car ta lyre invisible a de sublimes chants !
Car mon sombre océan, où l'esquif s'aventure,
T'épouvante et te plaît ; car la sainte nature,
La nature éternelle, et les champs, et les bois,
Parlent de ta grande âme avec leur grande voix !

(Recueil : Les contemplations)


winking smiley
t
13 décembre 2004 12:20
euh j'aime moins celui-ci !
r
14 décembre 2004 09:07
winking smiley

A mademoiselle Louise B.
I

L'année en s'enfuyant par l'année est suivie.
Encore une qui meurt ! encore un pas du temps ;
Encore une limite atteinte dans la vie !
Encore un sombre hiver jeté sur nos printemps !

Le temps ! les ans ! les jours ! mots que la foule ignore !
Mots profonds qu'elle croit à d'autres mots pareils !
Quand l'heure tout à coup lève sa voix sonore,
Combien peu de mortels écoutent ses conseils !

L'homme les use, hélas ! ces fugitives heures,
En folle passion, en folle volupté,
Et croit que Dieu n'a pas fait de choses meilleures
Que les chants, les banquets, le rire et la beauté !

Son temps dans les plaisirs s'en va sans qu'il y pense.
Imprudent ! est-il sûr de demain ? d'aujourd'hui ?
En dépensant ses jours sait-il ce qu'il dépense ?
Le nombre en est compté par un autre que lui.

A peine lui vient-il une grave pensée
Quand, au sein du festin qui satisfait ses voeux,
Ivre, il voit tout à coup de sa tête affaissée
Tomber en même temps les fleurs et les cheveux ;

Quand ses projets hâtifs l'un sur l'autre s'écroulent ;
Quand ses illusions meurent à son côté ;
Quand il sent le niveau de ses jours qui s'écoulent
Baisser rapidement comme un torrent d'été.

Alors en chancelant il s'écrie, il réclame,
Il dit : Ai-je donc bu toute cette liqueur ?
Plus de vin pour ma soif ! plus d'amour pour mon âme !
Qui donc vide à la fois et ma coupe et mon coeur ?

Mais rien ne lui répond. - Et triste, et le front blême,
De ses débiles mains, de son souffle glacé,
Vainement il remue, en s'y cherchant lui-même,
Ce tas de cendre éteint qu'on nomme le passé !

II

Ainsi nous allons tous. - Mais vous dont l'âme est forte,
Vous dont le coeur est grand, vous dites : - Que m'importe
Si le temps fuit toujours,
Et si toujours un souffle emporte quand il passe,
Pêle-mêle à travers la durée et l'espace,
Les hommes et les jours ! -

Car vous avez le goût de ce qui seul peut vivre ;
Sur Dante ou sur Mozart, sur la note ou le livre,
Votre front est courbé.
Car vous avez l'amour des choses immortelles ;
Rien de ce que le temps emporte sur ses ailes
Des vôtres n'est tombé !

Quelquefois, quand l'esprit vous presse et vous réclame,
Une musique en feu s'échappe de votre âme,
Musique aux chants vainqueurs,
Au souffle pur, plus doux que l'aile des zéphires,
Qui palpite, et qui fait vibrer comme des lyres
Les fibres de nos coeurs !

Dans ce siècle où l'éclair reluit sur chaque tête,
Où le monde, jeté de tempête en tempête,
S'écrie avec frayeur,
Vous avez su vous faire, en la nuit qui redouble,
Une sérénité qui traverse sans trouble
L'orage extérieur !

Soyez toujours ainsi ! l'amour d'une famille,
Le centre autour duquel tout gravite et tout brille ;
La soeur qui nous défend ;
Prodigue d'indulgence et de blâme économe ;
Femme au coeur grave et doux ; sérieuse avec l'homme,
Folâtre avec l'enfant !

Car pour garder toujours la beauté de son âme,
Pour se remplir le coeur, riche ou pauvre, homme ou femme,
De pensers bienveillants,
Vous avez ce qu'on peut, après Dieu, sur la terre,
Contempler de plus saint et de plus salutaire,
Un père en cheveux blancs !

(Recueil : Les chants du crépuscule)

smiling smiley
r
15 décembre 2004 08:05
A mademoiselle Louise B.

Ô vous l'âme profonde ! ô vous la sainte lyre !
Vous souvient-il des temps d'extase et de délire,
Et des jeux triomphants,
Et du soir qui tombait des collines prochaines ?
Vous souvient-il des jours ? Vous souvient-il des chênes
Et des petits enfants ?

Et vous rappelez-vous les amis, et la table,
Et le rire éclatant du père respectable,
Et nos cris querelleurs,
Le pré, l'étang, la barque, et la lune, et la brise,
Et les chants qui sortaient de votre coeur, Louise,
En attendant les pleurs !

Le parc avait des fleurs et n'avait pas de marbres.
Oh ! comme il était beau, le vieillard, sous les arbres !
Je le voyais parfois
Dès l'aube sur un banc s'asseoir tenant un livre ;
Je sentais, j'entendais l'ombre autour de lui vivre
Et chanter dans les bois !

Il lisait, puis dormait au baiser de l'aurore ;
Et je le regardais dormir, plus calme encore
Que ce paisible lieu,
Avec son front serein d'où sortait une flamme,
Son livre ouvert devant le soleil, et son âme
Ouverte devant Dieu !

Et du fond de leur nid, sous l'orme et sous l'érable,
Les oiseaux admiraient sa tête vénérable,
Et, gais chanteurs tremblants,
Ils guettaient, s'approchaient et souhaitaient dans l'ombre
D'avoir, pour augmenter la douceur du nid sombre,
Un de ses cheveux blancs !

Puis il se réveillait, s'en allait vers la grille,
S'arrêtait pour parler à ma petite fille,
Et ces temps sont passés !
Le vieillard et l'enfant jasaient de mille choses...
Vous ne voyiez donc pas ces deux êtres, ô roses,
Que vous refleurissez !

Avez-vous bien le coeur, ô roses, de renaître
Dans le même bosquet, sous la même fenêtre ?
Où sont-ils, ces fronts purs ?
N'étaient-ce pas vos soeurs, ces deux âmes perdues
Qui vivaient, et se sont si vite confondues
Aux éternels azurs ?

Est-ce que leur sourire, est-ce que leurs paroles,
Ô roses, n'allaient pas réjouir vos corolles
Dans l'air silencieux,
Et ne s'ajoutaient pas à vos chastes délices,
Et ne devenaient pas parfums dans vos calices,
Et rayons dans vos cieux ?

Ingrates ! vous n'avez ni regrets, ni mémoire.
Vous vous réjouissez dans toute votre gloire ;
Vous n'avez point pâli.
Ah ! je ne suis qu'un homme et qu'un roseau qui ploie,
Mais je ne voudrais pas, quant à moi, d'une joie
Faite de tant d'oubli !

Oh ! qu'est-ce que le sort a fait de tout ce rêve ?
Où donc a-t-il jeté l'humble coeur qui s'élève,
Le foyer réchauffant,
Ô Louise, et la vierge, et le vieillard prospère,
Et tous ces voeux profonds, de moi pour votre père,
De vous pour mon enfant ?

Où sont-ils, les amis de ce temps que j'adore ?
Ceux qu'a pris l'ombre et ceux qui ne sont pas encore
Tombés aux flots sans bords ;
Eux, les évanouis, qu'un autre ciel réclame,
Et vous, les demeurés, qui vivez dans mon âme,
Mais pas plus que les morts !

Quelquefois je voyais, de la colline en face,
Mes quatre enfants jouer, tableau que rien n'efface !
Et j'entendais leurs chants ;
Ému, je contemplais ces aubes de moi-même
Qui se levaient là-bas dans la douceur suprême
Des vallons et des champs !

Ils couraient, s'appelaient dans les fleurs ; et les femmes
Se mêlaient à leurs jeux comme de blanches âmes ;
Et tu riais, Armand !
Et, dans l'hymen obscur qui sans fin se consomme,
La nature sentait que ce qui sort de l'homme
Est divin et charmant.

Où sont-ils ? Mère, frère, à son tour chacun sombre.
Je saigne et vous saignez. Mêmes douleurs ! même ombre !
Ô jours trop tôt décrus !
Ils vont se marier ; faites venir un prêtre ;
Qu'il revienne ! ils sont morts. Et, le temps d'apparaître,
Les voilà disparus !

Nous vivons tous penchés sur un océan triste.
L'onde est sombre. Qui donc survit ? qui donc existe ?
Ce bruit sourd, c'est le glas.
Chaque flot est une âme ; et tout fuit. Rien ne brille.
Un sanglot dit : Mon père ! un sanglot dit : Ma fille !
Un sanglot dit : Hélas !

(Recueil : Les contemplations)

smiling smiley
r
16 décembre 2004 07:56
A Mlle Fanny de P.

Ô vous que votre âge défend,
Riez ! tout vous caresse encore.
Jouez ! chantez ! soyez l'enfant !
Soyez la fleur ; soyez l'aurore !

Quant au destin, n'y songez pas.
Le ciel est noir, la vie est sombre.
Hélas ! que fait l'homme ici-bas ?
Un peu de bruit dans beaucoup d'ombre.

Le sort est dur, nous le voyons.
Enfant ! souvent l'oeil plein de charmes
Qui jette le plus de rayons
Répand aussi le plus de larmes.

Vous que rien ne vient éprouver,
Vous avez tout, joie et délire,
L'innocence qui fait rêver,
L'ignorance qui fait sourire.

Vous avez, lys sauvé des vents,
Coeur occupé d'humbles chimères,
Ce calme bonheur des enfants,
Pur reflet du bonheur des mères.

Votre candeur vous embellit.
Je préfère à toute autre flamme
Votre prunelle que remplit
La clarté qui sort de votre âme.

Pour vous ni soucis ni douleurs,
La famille vous idolâtre.
L'été, vous courez dans les fleurs ;
L'hiver, vous jouez près de l'âtre.

La poésie, esprit des cieux,
Près de vous, enfant, s'est posée ;
Votre mère l'a dans ses yeux,
Votre père dans sa pensée.

Profitez de ce temps si doux !
Vivez ! - La joie est vite absente ;
Et les plus sombres d'entre nous
Ont eu leur aube éblouissante.

Comme on prie avant de partir,
Laissez-moi vous bénir, jeune âme, -
Ange qui serez un martyr !
Enfant qui serez une femme !

(Recueil : Les rayons et les ombres)

smiling smiley
r
17 décembre 2004 07:54
A Petite Jeanne


Vous eûtes donc hier un an, ma bien-aimée.
Contente, vous jasez, comme, sous la ramée,
Au fond du nid plus tiède ouvrant de vagues yeux,
Les oiseaux nouveau-nés gazouillent, tout joyeux
De sentir qu'il commence à leur pousser des plumes.
Jeanne, ta bouche est rose ; et dans les gros volumes
Dont les images font ta joie, et que je dois,
Pour te plaire, laisser chiffonner par tes doigts,
On trouve de beaux vers ; mais pas un qui te vaille
Quand tout ton petit corps en me voyant tressaille ;
Les plus fameux auteurs n'ont rien écrit de mieux
Que la pensée éclose à demi dans tes yeux,
Et que ta rêverie obscure, éparse, étrange,
Regardant l'homme avec l'ignorance de l'ange.
Jeanne, Dieu n'est pas loin puisque vous êtes là.

Ah ! vous avez un an, c'est un âge cela !
Vous êtes par moments grave, quoique ravie ;
Vous êtes à l'instant céleste de la vie
Où l'homme n'a pas d'ombre, où dans ses bras ouverts,
Quand il tient ses parents, l'enfant tient l'univers ;
Votre jeune âme vit, songe, rit, pleure, espère
D'Alice votre mère à Charles votre père ;
Tout l'horizon que peut contenir votre esprit
Va d'elle qui vous berce à lui qui vous sourit ;
Ces deux êtres pour vous à cette heure première
Sont toute la caresse et toute la lumière ;
Eux deux, eux seuls, ô Jeanne ; et c'est juste ; et je suis,
Et j'existe, humble aïeul, parce que je vous suis ;
Et vous venez, et moi je m'en vais ; et j'adore,
N'ayant droit qu'à la nuit, votre droit à l'aurore.
Votre blond frère George et vous, vous suffisez
A mon âme, et je vois vos jeux, et c'est assez ;
Et je ne veux, après mes épreuves sans nombre,
Qu'un tombeau sur lequel se découpera l'ombre
De vos berceaux dorés par le soleil levant.

Ah ! nouvelle venue innocente, et rêvant,
Vous avez pris pour naître une heure singulière ;
Vous êtes, Jeanne, avec les terreurs familière ;
Vous souriez devant tout un monde aux abois ;
Vous faites votre bruit d'abeille dans les bois,
Ô Jeanne, et vous mêlez votre charmant murmure
Au grand Paris faisant sonner sa grande armure.
Ah ! quand je vous entends, Jeanne, et quand je vous vois
Chanter, et, me parlant avec votre humble voix,
Tendre vos douces mains au-dessus de nos têtes,
Il me semble que l'ombre où grondent les tempêtes
Tremble et s'éloigne avec des rugissements sourds,
Et que Dieu fait donner à la ville aux cent tours
Désemparée ainsi qu'un navire qui sombre,
Aux énormes canons gardant le rempart sombre,
A l'univers qui penche et que Paris défend,
Sa bénédiction par un petit enfant.

Paris, 30 septembre 1870

(Recueil : L'année terrible)

smiling smiley

ok
17 décembre 2004 16:09
bizzard bizzard, cela me rend perplexe...
donne moi tes sources ou creer un portail internet pour que j'aille verifier cela par moi mm!
r
17 décembre 2004 22:45
je te répondrai en mp oki smiling smiley
r
18 décembre 2004 08:33
A propos d'Horace


Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues!
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! -- Mon sang bout
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique !
Que d'ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! -- gredins ! --
Que de froids châtiments et que de chocs soudains !
«Dimanche en retenue et cinq cents vers d'Horace !»
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais : «Monsieur... -- Pas de raisons !
Vingt fois l'ode à Panclus et l'épître aux Pisons !»
Or j'avais justement, ce jour là, -- douce idée
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, --
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier !
Je devais, en parlant d'amour, extase pure !
En l'enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n'était pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais !
Rêve heureux ! je voyais, dans ma colère bleue,
Tout cet Éden, congé, les lilas, la banlieue,
Et j'entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mère Saguet !
O douleur ! furieux, je montais à ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre ;
Et, là, je m'écriais :

-- Horace ! ô bon garçon !
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche,
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux !
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
Les rires étouffés des folles jeunes filles,
Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois ;
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre,
Ou bien tu t'accoudais à la table, buvant sec
Ton vin que tu mettais toi-même en un pot grec.
Pégase te soufflait des vers de sa narine ;
Tu songeais; tu faisais des odes à Barine,
A Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,
A Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,
Portant sur son beau front l'amphore délicate.
La nuit, lorsque Phoebé devient la sombre Hécate,
Les halliers s'emplissaient pour toi de visions ;
Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,
Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,
A Bacchus, dieu des vins et père des ïambes ;
Silène digérer dans sa grotte, pensif ;
Et se glisser dans l'ombre, et s'enivrer, lascif,
Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,
La faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues !!
Horace, quand grisé d'un petit vin sabin,
Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,
Qui t'eût dit, ô Flaccus ! quand tu peignais à Rome
Les jeunes chevaliers courant dans l'hippodrome,
Comme Molière a peint en France les marquis,
Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,
D'instruments de torture à d'horribles bonshommes,
Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,
Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents !
Grimauds hideux qui n'ont, tant leur tête est vidée,
Jamais eu de maîtresse et jamais eu d'idée !
Puis j'ajoutais, farouche :
-- O cancres ! qui mettez
Une soutane aux dieux de l'éther irrités,
Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes
Coiffez sinistrement les olympiens mornes,
Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits !
Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,
Car vous êtes l'hiver ; car vous êtes, ô cruches !
L'ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,
L'ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant !
Nul ne vit près de vous dressé sur son séant ;
Et vous pétrifiez d'une haleine sordide
Le jeune homme naïf, étincelant, splendide ;
Et vous vous approchez de l'aurore, endormeurs !
A Pindare serein plein d'épiques rumeurs,
A Sophocle,à Térence, à Plaute, à l'ambroisie,
O traîtres, vous mêlez l'antique hypocrisie,
Vos ténèbres, vos moeurs, vos jougs, vos exeats,
Et l'assoupissement des noirs couvents béats ;
Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres,
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillards ivres,
L'horreur de l'avenir, la haine du progrès ;
Et vousfaites, sans peur, sans pitié, sans regrets,
A la jeunesse, aux coeurs vierges, à l'espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil opium rance !
O fermoirs de la bible humaine ! sacristains
De l'art, de la science, et des maîtres lointains,
Et de la vérité que l'homme aux cieux épèle,
Vous changez ce grand temple en petite chapelle !
Guichetiers de l'esprit, faquins dont le goût sûr
Mène en laisse le beau ; porte-clefs de l'azur,
Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,
Tibulle plein d'amour, Virgile plein d'étoiles ;
Vous faites de l'enfer avec ces paradis !
Et ma rage croissant, je reprenais :

-- Maudits,
Ces monastères sourds ! bouges ! prisons haïes !
Oh ! comme on fit jadis au pédant de Veïes,
Culotte bas, vieux tigre ! Écoliers ! écoliers !
Accourez par essaims, par bandes, par milliers,
Du gamin de Paris au groeculus de Rome,
Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme !
Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons !
Le mannequin sur qui l'on drape des haillons
A tout autant d'esprit que ce cuistre en son antre,
Et tout autant de coeur ; et l'un a dans le ventre
Du latin et du grec comme l'autre à du foin.
Ah! je prends Phyllodoce et Xantis à témoin
Que je suis amoureux de leurs claires tuniques ;
Mais je hais l'affreux tas des vils pédants iniques !
Confier un enfant, je vous demande un peu,
A tous ces êtres noirs! autant mettre, morbleu !
La mouche en pension chez une tarentule !
Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,
Tacite racontant le grand Agricola,
Lucrèce ! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là !
Ces diacres ! ces bedeaux dont le groin renifle !
Crânes d'oùsort la nuit, pattes d'où sort la giffle,
Vieux dadais à l'air rogue, au sourcil triomphant,
Qui ne savent pas même épeler un enfant !
Ils ignorent comment l'âme naît et veut croître.
Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître !
Ils en sont à l'A, B, C, D, du coeur humain ;
Ils sont l'horrible Hier qui veut tuer Demain ;
Ils offrent à l'aiglon leurs règles d'écrevisses.
Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.
O vieux pots égueulés des soifs qu'on ne dit pas !
Le pluriel met une S à leurs meâs culpâs,
Les boucs mystérieux, en les voyants s'indignent,
Et, quand on dit : «Amour!» terre et cieux! ils se signent.
Leur vieux viscère mort insulte au coeur naissant.
Ils le prennent de haut avec l'adolescent,
Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l'âme
Sous la forme pensée ou sous la forme femme.
Quand la muse apparaît, ces hurleurs de holà
Disent: «Qu'est-ce que c'est que cette folle-là ?»
Et, devant ses beautés, de ses rayons accrues,
Ils reprennent: «Couleurs dures, nuances crues ;
Vapeurs, illusions, rêves ; et quel travers
Avez-vous de fourrer l'arc-en-ciel dans vos vers ?»
Ils raillent les enfants, ils raillent les poètes ;
Ils font aux rossignols leurs gros yeux de chouettes :
L'enfant est l'ignorant, ils sont l'ignorantin ;
Ils raturent l'esprit, la splendeur, le matin ;
Ils sarclent l'idéal ainsi qu'un barbarisme,
Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme

Ainsi l'on m'entendait dans ma geôle crier.

Le monologue avait le temps de varier.
Et je m'exaspérais, faisant la faute énorme,
Ayant raison au fond, d'avoir tort dans la forme.
Après l'abbé Tuet, je maudissais Bezout ;
Car, outre les pensums où l'esprit se dissout,
J'étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre ! Enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ;
On me faisait de force ingurgiter l'algèbre ;
On me liait au fond d'un Boisbertrand funèbre ;
On me tordait, depuis les ailes jusqu'au bec,
Sur l'affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas ! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires ;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.

Un jour, quand l'homme sera sage,
Lorsqu'on instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l'éclair gronde, où luit la mer, où l'astre rit,
Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit,
C'est en les pénétrant d'explication tendre,
En les faisant aimer, qu'on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L'écolier ébloui ; l'enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile ;
Et l'on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L'instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l'ignorance, et prêtre
De l'idée; et dans l'ombre on verra disparaître
L'éternel écolier et l'éternel pédant.
L'aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère ;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard.
Alors, le jeune esprit et le jeune regard
Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine ;
Alors, plus de grimoire obscur, fade, étouffant ;
Le maître,doux apôtre incliné sur l'enfant,
Fera, lui versant Dieu, l'azur et l'harmonie,
Boire la petite âme à la coupe infinie.
Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs.
Tu laisseras passer dans tes jambages noirs
Une pure lueur, de jour en jour moins sombre,
O nature, alphabet des grandes lettres d'ombre !

(Recueil : Les contemplations)

smiling smiley
r
19 décembre 2004 10:03
A propos de dona Rosa

A Mérante

Au printemps, quand les nuits sont claires,
Quand on voit, vagues tourbillons,
Voler sur les fronts les chimères
Et dans les fleurs les papillons,

Pendant la floraison des fèves,
Quand l'amant devient l'amoureux,
Quand les hommes, en proie aux rêves,
Ont toutes ces mouches sur eux,

J'estime qu'il est digne et sage
De ne point prendre un air vainqueur,
Et d'accepter ce doux passage
De la saison sur notre coeur.

A quoi bon résister aux femmes,
Qui ne résistent pas du tout ?
Toutes les roses sont en flammes ;
Une guimpe est de mauvais goût.

Trop heureux ceux à qui les belles
Font la violence d'aimer !
A quoi sert-il d'avoir des ailes,
Sinon pour les laisser plumer ?

Ô Mérante, il n'est rien qui vaille
Ces purs attraits, tendres tyrans,
Un sourire qui dit : Bataille !
Un soupir qui dit : Je me rends !

Et je donnerais la Castille
Et ses plaines en amadou
Pour deux yeux sous une mantille,
Fiers, et venant on ne sait d'où.

(Recueil : Les chansons des rues et des bois)

smiling smiley
r
20 décembre 2004 07:51
A qui donc sommes-nous ?


A qui donc sommes-nous ? Qui nous a ? qui nous mène ?
Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine ?
Oh ! parlez, cieux vermeils,
L'âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre ?
Chaque rayon d'en haut est-il un fil de l'ombre
Liant l'homme aux soleils ?

Est-ce qu'en nos esprits, que l'ombre a pour repaires,
Nous allons voir rentrer les songes de nos pères ?
Destin, lugubre assaut !
O vivants, serions-nous l'objet d'une dispute ?
L'un veut-il notre gloire, et l'autre notre chute ?
Combien sont-ils là-haut ?

Jadis, au fond du ciel, aux yeux du mage sombre,
Deux joueurs effrayants apparaissaient dans l'ombre.
Qui craindre? qui prier ?
Les Manès frissonnants, les pâles Zoroastres
Voyaient deux grandes mains qui déplaçaient les astres
Sur le noir échiquier.

Songe horrible! le bien, le mal, de cette voûte
Pendent-ils sur nos fronts ? Dieu, tire-moi du doute!
O sphinx, dis-moi le mot !
Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent,
Noirs vivants! heureux ceux qui tout à coup s'éveillent
Et meurent en sursaut !


smiling smiley
r
21 décembre 2004 11:06
A qui la faute ?

Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?
- Oui.
J'ai mis le feu là.

- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !

- Je ne sais pas lire.


(Recueil : L'année terrible)

winking smiley
t
21 décembre 2004 11:21
c trop longgggggggggggggggggg
yawning smiley
r
22 décembre 2004 08:09
A quoi songeaient les deux cavaliers ...


La nuit était fort noire et la forêt très-sombre.
Hermann à mes côtés me paraissait une ombre.
Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu !
Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres.
Les étoiles volaient dans les branches des arbres
Comme un essaim d'oiseaux de feu.

Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,
L'esprit profond d'Hermann est vide d'espérance.
Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez !
Or, tout en traversant ces solitudes vertes,
Hermann me dit : «Je songe aux tombes entr'ouvertes ;»
Et je lui dis : «Je pense aux tombeaux refermés.»

Lui regarde en avant : je regarde en arrière,
Nos chevaux galopaient à travers la clairière ;
Le vent nous apportait de lointains angelus; dit :
«Je songe à ceux que l'existence afflige,
A ceux qui sont, à ceux qui vivent. -- Moi, lui dis-je,
Je pense à ceux qui ne sont plus !»

Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ?
Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes ?
Les buissons chuchotaient comme d'anciens amis.
Hermann me dit : «Jamais les vivants ne sommeillent.
En ce moment, des yeux pleurent, d'autres yeux veillent.»
Et je lui dis : «Hélas! d'autres sont endormis !»

Hermann reprit alors : «Le malheur, c'est la vie.
Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! j'envie
Leur fosse où l'herbe pousse, où s'effeuillent les bois.
Car la nuit les caresse avec ses douces flammes ;
Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes
Dans tous les tombeaux à la fois !»

Et je lui dis : «Tais-toi ! respect au noir mystère !
Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.
Les morts, ce sont les coeurs qui t'aimaient autrefois
C'est ton ange expiré ! c'est ton père et ta mère !
Ne les attristons point par l'ironie amère.
Comme à travers un rêve ils entendent nos voix.»


(Recueil : Les contemplations)

smiling smiley
r
23 décembre 2004 08:54
A un homme partant pour la chasse


Oui, l'homme est responsable et rendra compte un jour.
Sur cette terre où l'ombre et l'aurore ont leur tour,
Sois l'intendant de Dieu, mais l'intendant honnête.
Tremble de tout abus de pouvoir sur la bête.
Te figures-tu donc être un tel but final
Que tu puisses sans peur devenir infernal,
Vorace, sensuel, voluptueux, féroce,
Échiner le baudet, exténuer la rosse,
En lui crevant les yeux engraisser l'ortolan,
Et massacrer les bois trois ou quatre fois l'an ?
Ce gai chasseur, armant son fusil ou son piège,
Confine à l'assassin et touche au sacrilège.
Penser, voilà ton but ; vivre, voilà ton droit.
Tuer pour jouir, non. Crois-tu donc que ce soit
Pour donner meilleur goût à la caille rôtie
Que le soleil ajoute une aigrette à l'ortie,
Peint la mûre, ou rougit la graine du sorbier ?

Dieu qui fait les oiseaux ne fait pas le gibier.

(Recueil : Dernière gerbe)

winking smiley

r
24 décembre 2004 09:51
A un poète aveugle
Merci, poète! -- au seuil de mes lares pieux,
Comme un hôte divin, tu viens et te dévoiles ;
Et l'auréole d'or de tes vers radieux
Brille autour de mon nom comme un cercle d'étoiles.

Chante ! Milton chantait ; chante ! Homère a chanté.
Le poète des sens perce la triste brume ;
L'aveugle voit dans l'ombre un monde de clarté.
Quand l'oeil du corps s'éteint,l'oeil de l'esprit s'allume
r
24 décembre 2004 09:52
la suite des diffusions des poèmes de notre cher abu bakr hugo sera transmis après mon retour des vacances winking smiley

je vous remercie de votre passage mes cher(e)s ami(e)s de yabiladi winking smiley

a bientot winking smiley

amicalement et rifiainement votre

rifia1 winking smiley
t
24 décembre 2004 09:56
tu pars quand et où ? smiling smiley
M
24 décembre 2004 20:35
Merci à toi rifia1 smiling smiley
r
24 décembre 2004 20:36
je vous en prie winking smiley
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook