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La femme tchétchène et le tyran aux pieds d´argile
S
15 août 2009 15:01
Elle le savait depuis longtemps et me l´avait dit il y a tout juste un an. Natacha, le surnom de Natalia Estemirova, la célèbre militante des Droits de l´Homme en Tchétchénie, nous avait confié qui voulait la supprimer et pourquoi. Avec une lucidité déconcertante, elle nous expliquait à Oxford, un univers académique faussement protecteur, qu´elle venait de quitter temporairement la Tchétchénie avec Lana, sa fille de quatorze ans, afin de ne pas être kidnappée et abattue l´été dernier. Jeune chercheur, j´écoutais.

J´écoutais parler cette femme pleine de vie qui, paradoxalement, cotoyait quotidiennement les récits de torture et de mort. Elle enquêtait depuis des années sur les disparus de Tchétchénie, sur ces milliers d´individus qui, parfois pour une rançon, souvent pour leur critique du Kremlin ou de son pantin local, Kadyrov, avaient un jour disparu. Obstinée et malgré les risques, elle multipliait les rapports et articles détaillés sur ce que tout Tchétchène devait taire pour sa propre sécurité : l´occupation militaire russe, les disparitions et atrocités commises par ces mêmes troupes et les milices du Président Kadyrov, un potentat local mis en place par Poutine pour garder la Tchéchénie au sein de la fédération de Russie et faire taire toute expression indépendantiste.

Poutine connaissait d´ailleurs Natacha et elle connaissait aussi Poutine. Sans s´être jamais rencontrés physiquement, ils se défiaient depuis des années dans une sorte de petite guerre froide anachronique. Elle savait Poutine, actuel Premier Ministre et ancien Président de Russie, capable de beaucoup, mais c´est Ramzan Kadyrov qu´elle redoutait. Poutine était capable du pire pour le nouvel ordre d´une grande "Russie unie", mais il était rusé, patient et calculateur. Kadyrov était tout son contraire. Jeune ambitieux, violent et réputé impulsif, ce dernier est suspecté de faire systématiquement torturer ou exécuter quiconque semble le gêner. Sans stratagème ni réelle dissimulation.

Un des jeunes réfugiés tchéchenes que j´avais interviewé il y a quelques années, Adam, m´avait expliqué comment les hommes de main de Kadyrov s´était saisi de lui, en plein jour, à Grozny, et l´avait torturé des jours durant, dans la République caucasienne voisine d´Ingouchie, à coups de barre de fer sur ses mains d´adolescents posées sur une table. Apres quelques jours de supplice, ses plaies s´étant infectées, il est tombé dans un profond coma et fut jeté dans une décharge par ses joliers qui le croyaient mort. Miraculeusement retrouvé et soigné, Adam, handicappé des deux mains à vie, réapprit à vivre. Natacha n´a pas eu cette chance.

Je retrouve presque le même scénario. A Grozny, une voiture s´arrête devant elle et embarque Natacha, en pleine rue, en plein jour. Elle crie qu´on la kidnappe. Tout va très vite. La voiture disparait, Natacha avec. Neuf heures plus tard, on retrouve en Ingouchie son corps sans vie, ses bourreaux s´en étant débarrassés après lui avoir infligé deux balles à bout portant. Cette fois pourtant, les répercussions semblent totalement différentes.

Le jeune Adam est resté une victime anonyme du conflit de Tchétchénie, mais Natacha réussit à travers sa mort à faire résonner la condition Tchétchène sous le régime de Kadyrov. Du New York Times aux petits journaux de Lituanie, de l´Asahi Shinbun du Japon à el Pais dans le monde Hispanophone, la presse mondiale s´emparre de l´affaire et déjà Kadyrov ressent s´abattre sur lui un véritable tsunami médiatique. La mort de Natacha, Prix Robert Schuman du Parlement européen en 2005, et première lauréate en 2007 du prix "Anna Politkovskaïa", attribué par les femmes Prix Nobel à des militantes pour les droits de l´Homme dans les zones de conflit, ne peut tout simplement pas etre ignoré ou tu. Kadyrov est-il donc allé trop loin ? Kadyrov, dont sept opposants politiques sont morts en à peine dix mois et qui n´hésita pas à déclarer fierement : "Oui, mes mains sont dans le sang jusqu´aux coudes, et je n´en ai pas honte. J´ai tué et je continuerai à tuer les méchants. Nous combattons les ennemis de la République [de Tchétchénie]", comme le rapporte l´ONG Memorial, pour laquelle travaillait Natacha.

Pour nous, en Europe de l´Ouest, il incombe à la société civile et à nos leaders politiques de réagir plus encore aux crimes commis par le régime Kadyrov par le biais du Droit et du Tribunal Pénal International. Déjà, le soutien traditional de Moscou semble s´effriter. Le Président Medvedev, qui a hérité de l´ère Poutine une situation épouventable en Tchétchénie et dont l´illusion d´amélioration de la situation vient de tomber en morceaux, s´est déclaré indigné. En déterrant l´histoire des morts et par le sacrifice de sa vie, Natalia Estemirova, une femme Tchétchène fière et libre, a pu amorcer le déclin du bourreau de son peuple. Maintenant, à nous tous de faire que la mobilisation internationale accélère sa chute : Kadyrov doit être jugé par le Tribunal Pénal International.

Sylvain Jamet
c
15 août 2009 15:08
Merci pour ce texte.

Natalia Estemirova, militante des droits de l'homme, supprimée à cause de ses enquêtes.

Quelle tristesse.
 
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