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Que faire de nos dictateurs ?
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29 juin 2006 20:42
- 25 juin 2006 - par BÉCHIR BEN YAHMED

Vendredi 16 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé le transfert à La Haye (Pays-Bas) du procès pour crimes de guerre de l’ex-président libérien Charles Taylor devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL).
Le Conseil a adopté, à l’unanimité de ses quinze membres, une résolution autorisant ce transfert dès l’annonce par la Grande-Bretagne qu’elle acceptait de voir Taylor purger sa peine de prison sur son sol en cas de condamnation.

Le Conseil de sécurité a fondé sa décision sur la conviction que « le maintien de la présence de l’ancien président Taylor dans la sous-région serait un obstacle à la stabilité et une menace pour la paix au Liberia et en Sierra Leone et pour la sécurité dans toute la région ».

La résolution demande au TSSL de « faire en sorte que les populations de la sous-région puissent suivre le déroulement du procès (qui se tiendra dans les locaux de la Cour pénale internationale, CPI), notamment par liaison vidéo ».

Agé de 58 ans, l’ancien chef de guerre libérien a été inculpé en mars 2003 de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres violations graves des droits de l’homme.

L’acte d’accusation comporte onze chefs d’inculpation, regroupés sous les chapitres suivants : « exécutions extrajudiciaires, violences sexuelles, violences physiques (notamment mutilations), utilisation d’enfants soldats, enlèvements et travail forcé, pillages ».

Chassé du Liberia en août 2003 et réfugié depuis lors au Nigeria, qui l’a finalement extradé, Taylor avait été arrêté le 29 mars dernier. Il risque une longue peine de prison - mais pas la peine de mort.

L’ex-dictateur libérien a été transféré par avion à La Haye le 20 juin. Il était sous bonne garde ; à son arrivée, il a été incarcéré dans le centre de détention de haute sécurité de Scheveningen.


Tels sont les faits que les agences de presse nous ont exposés ou rappelés la semaine dernière.

Je voudrais vous faire part de ce qu’ils m’inspirent et saisir cette occasion pour ouvrir, ou plutôt rouvrir, le débat : que faire de nos dictateurs ?


Nous voulons tous que nos dictateurs les plus sanguinaires et les plus kleptomanes passent en jugement, soient condamnés et payent pour leurs crimes.

Voir un Hissein Habré, un Mengistu Hailé Mariam, pour ne citer que les plus notoires, couler des jours paisibles, le premier à Dakar, le second à Harare, et dépenser librement l’argent qu’ils ont volé à leur peuple nous déplaît souverainement.

Mais pas au point de nous insurger contre ce déni de justice qui dure, pour l’un et l’autre, depuis qu’ils ont perdu le pouvoir et fui leur pays (1990 pour Habré ; 1991 pour Mengistu).


Nous voulons qu’ils soient jugés, mais beaucoup d’entre nous, la majorité peut-être, rechignent à l’idée de les voir traînés devant un tribunal international siégeant en Europe.

L’image d’un ancien chef d’État africain - noir - répondant de ses crimes, en Europe, devant des juges - blancs - ne passe pas. La photo de Charles Taylor, menotté et surveillé de près par des gardes armés - tous blancs - (voir ci-contre), ne remplit de joie aucun Africain.

Car elle nous rappelle l’État colonial, de triste - et trop fraîche - mémoire !


Je précise à l’intention de mes frères subsahariens qu’ils ne sont pas seuls à éprouver de l’humiliation à voir un des leurs, fût-il honni, devant des juges qui leur rappellent les tribunaux de l’ère coloniale : le procès de Saddam Hussein et de ses acolytes, qui se déroule en ce moment, est reçu par la majorité des Arabes avec un malaise certain, bien qu’il ait lieu en Irak et que les juges soient irakiens.

Les images de ce procès, contrôlées pourtant par l’occupant américain, ne parviennent pas à cacher, en effet, que c’est ce dernier qui a conçu et organisé le procès, écrit le scénario et fourni le financement.

Les juges irakiens nous apparaissent comme des pantins manipulés, et les accusés, dont les crimes ne font pourtant de doute pour personne, ont le beau rôle : celui de nationalistes courageux qui disent « non » à la puissance occupante.


Cela exposé, il nous faut trouver la bonne (ou la moins mauvaise) réponse à la question : que faire de nos dictateurs ? Ou, plus exactement : comment procéder pour que ces dictateurs ne demeurent pas impunis ?

A mon avis, il n’y a pas d’alternative à la justice internationale sous l’égide des Nations unies. Sauf si un pays africain - et démocratique - s’estime assez fort pour juger lui-même son dictateur en lui donnant les garanties d’un procès contradictoire et équitable.

Je n’en vois aucun, à ce stade de l’Histoire africaine.


La justice internationale est née après la guerre de 1939-1945. Mais elle a été, pour commencer, une justice de vainqueurs et a condamné à mort les hiérarques des pays vaincus : Allemagne et Japon.

Après une longue pause, on a vu une manière de tribunal international juger, aux Pays-Bas, en 2000 et 2001, selon la loi écossaise, deux Libyens que leur pays a accepté de livrer pour qu’ils répondent de l’attentat dit de Lockerbie (du nom du village écossais sur lequel s’était écrasé un avion américain en décembre 1988).

On a connu ensuite un début de vraie justice internationale : le Tribunal pénal international pour le Rwanda, créé en novembre 1994, qui siège à Arusha, en Afrique, pour juger les responsables présumés du génocide rwandais.

Sur le même modèle a été créé le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

La Cour pénale internationale, elle, est entrée en fonction le 1er juillet 2002.


Vous le voyez, la justice internationale est, pour l’heure, balbutiante : très lente, très coûteuse et, pour tout dire, insatisfaisante.

Mais les hommes n’ont pas trouvé mieux, et plus elle aura l’occasion de s’exercer, plus elle se perfectionnera : ses magistrats ne seront plus, en majorité ou en totalité, blancs, ses procédures seront plus rapides et moins coûteuses, et, surtout, elle sera rendue non plus en Europe, mais sur les lieux mêmes où les crimes ont été commis.

Aussi imparfaite qu’elle soit encore, nous devons nous en remettre à elle pour juger nos dictateurs : Taylor dans quelques mois, Habré et Mengistu tout de suite après.

Que ceux d’entre nous qui ne l’acceptent pas sachent, en tout cas, qu’ils offrent à Mengistu, à Habré - et à leurs émules - l’impunité à vie.


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