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Expérience spirituelle : promesse de paix
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30 novembre 2004 07:34
Les yeux rivés sur les problèmes que semble poser la présence des musulmans dans les sociétés occidentales, on en arrive à oublier que l'islam est avant tout une foi, l'expression d'une continuelle recherche de proximité avec le Transcendant. L'expérience spirituelle est au cœur de la tradition musulmane. Le Coran nous enseigne que chaque être porte en lui, dès l'origine, une étincelle, un souffle, un élan vers l'Etre : il s'agit d'une attirance innée qui nous pousse à rechercher le sens et la vérité. La spiritualité est donc ce retour vers l'intérieur, ce dévoilement de la source, pour vivre intimement la rencontre avec l'origine qui seule peut offrir la paix. Ce sont bien là les trois mots clefs de l'expérience spirituelle musulmane : aspiration, rencontre, paix. Pour l'être humain, il s'agit de convoquer toute l'énergie de son cœur et de son intelligence pour trouver l'harmonie entre les appels de son être et les découvertes de son esprit. Il s'agit d'aller au-delà des contradictions apparentes. Alors que Pascal relevait : “ Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ”, la tradition musulmane orienterait différemment : “ Le cœur a ses raisons que la raison reconnaîtra ”. La rencontre avec le divin, le souvenir du sacré, la prière et le jeûne sont autant d'expériences de re-connaissance, de re-découverte.

Cette spiritualité exigeante requiert un effort continu. La vie nous pousse parfois, par protection ou par paresse, à vivre à la surface de nos besoins et de nos désirs, sous le joug de nos colères ou de nos violences. La spiritualité permet une libération : au cœur de nos sociétés de consommation, elle rappelle la responsabilité de chacun à accepter sa complexité, à préserver le sens de l'effort, à exiger davantage de soi pour mieux respecter autrui. C'est très exactement ici que la spiritualité musulmane rencontre l'expérience des autres familles spirituelles, hindouiste, bouddhiste, juive, chrétienne ou agnostique. Toutes, à leur manière, expriment l'idée d'une nécessaire discipline personnelle pour simplement apprendre et savoir vivre ensemble. Chacune rappelle que le cheminement intime et individuel est un préalable à l'équilibre collectif et social. Affirmer cela aujourd'hui n'est ni évident ni simple face à la logique d'un système qui emprisonne le sens et la valeur dans le calcul du seul rendement et de l'efficacité.

La spiritualité est bien un défi ; en cette fin de siècle, elle est un acte de résistance pour la promotion de la dignité des hommes, de leur cœur, de leur conscience, de leur intelligence. Il appartient à toutes les spiritualités de témoigner au cœur de la cité, d'un sens de la vie, de valeurs fondamentales à respecter. Pour cela, il faut sortir de l'analphabétisme religieux et culturel qui fonde la liberté des jeunes sur le vide : ne sommes-nous pas en train de leur mentir ? La question de l'éducation et de la transmission est centrale : comment transmettre le sens d'une spiritualité ou la réalité d'une religion (ou d'une philosophie) sans contraindre, comment témoigner sans imposer ? Chacune de nos traditions doit faire face à ces difficultés : nous savons la nécessaire présence de la spiritualité dans notre quotidien mais nous devons faire le constat de sa claire marginalisation au sein de nos sociétés qui, par une peur certes légitime du prosélytisme, entretiennent l'ignorance.

Toutes les spiritualités ont pourtant un rôle à jouer. L'islam et les musulmans, plutôt que d'être une menace, pourraient, à l'avenir, jouer, avec les autres traditions spirituelles, un rôle de catalyseur positif permettant à nos sociétés de retrouver le sens de “ la conversation ”, selon l'expression de Paul VI, le goût de “ la délibération ” comme le rappelle, le pasteur Michel Bertrand. Nos sociétés pluralistes exigent en effet que nous évitions les simplifications, les pièges du “ tout-efficacité ”, la promotion d'une liberté évidée de repères, avec de surcroît la richesse d'une diversité qui s'ignore parce que nous aurions multiplié les ghettos sociaux ou culturels.

Nous avons, plus que jamais, infiniment besoin de l'autre, des autres. Sur ma route, combien d'amis chrétiens m'ont rappelé de ne pas oublier d'aimer. "Dieu est amour " . Combien d'humanistes ou de rationalistes athées ou agnostiques ont été les compagnons de l'exigence dans le dialogue : j'ai appris, à leurs côtés, que l'intensité d'une foi ne s'oppose jamais à la rigoureuse activité de la raison. Ensemble nous avons à témoigner de nos convictions humanistes en nous engageant pour le respect des êtres humains et la promotion d'un citoyenneté responsable, en ne confondant jamais la force nécessaire de nos convictions avec la néfaste tentation des certitudes qui rejettent et qui excluent. La spiritualité est une école de la paix : sur la route, elle requiert beaucoup d'amour, de la patience, un sens de la complexité et de la nuance. Tel est l'enseignement de toutes les spiritualités, de toutes les religions, de tous les humanismes : amour et exigence.


Tariq Ramadan


 
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