Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Entretien exclusif avec Moncef Marzouki
s
29 avril 2008 14:40
Le président de la République, Nicolas Sarkozy, débute aujourd’hui une visite d’Etat en Tunisie. L’occasion nous est donnée de s’interroger sur l’évolution de la politique française à l’égard de la dictature du général Ben Ali qui règne, avec une main de fer, depuis plus vingt ans sur le pays. Rupture ou continuité avec la France-Afrique de son prédécesseur ? Volonté de conditionner l’aide française au dossier sensible des libertés fondamentales et de la démocratisation du « système tunisien » ? Pour répondre à ces questions, oumma.com a rencontré le professeur Moncef Marzouki, médecin internationalement reconnu, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), président-fondateur du Congrès pour la République (CPR), résistant de la première heure au régime autoritaire et qui est aujourd’hui l’une des rares figures de l’opposition tunisienne à prôner la « rupture » avec la dictature policière.

Vincent Geisser : L’élection de Nicolas Sarkozy, en mai 2007, a-t-elle représenté un espoir chez les opposants tunisiens de voir émerger une « nouvelle politique » à l’égard du régime autoritaire du général Ben Ali ?

Moncef Marzouki : On se souvient que le Président Sarkozy a dit qu’il ne sera jamais l’ami des dictateurs. Nous allons donc attendre ce qui va se passer. J’espère que les Tunisiens écrasés par une dictature sophistiquée mais implacable ne verront pas l’illustre hôte apporter, comme le fit son prédécesseur, Jacques Chirac, son soutien politique et économique à leur tyran mal aimé. La réputation de Nicolas Sarkozy et de la France en sortirait grandement malmenée auprès de millions de Tunisiens.

V. G. : Sur le long terme, comment qualifieriez-vous cette politique française de soutien à l’égard du régime policier ? Dans la mesure où la Tunisie n’est ni un pays pétrolier, ni une base militaire stratégique pour l’Europe, quels facteurs précisément expliquent ce soutien inconditionnel de Paris à la dictature de Ben Ali ?

Moncef Marzouki : Je la qualifierai de politique de courte vue contraire aux idéaux et aux intérêts de la France. Les raisons sont complexes. Il y a la tradition de la diplomatie française. On traite avec des Etats, les peuples et leurs sociétés civiles n’existent pas. Il y a le cynisme de la Realpolitik. Celle-ci ordonne de traiter avec des régimes, certes peu recommandables mais dociles et collaborationnistes en matière de surveillance des flux migratoires et de guerre contre le terrorisme.

Bien sûr, il y a les contrats et là il n’y a pas de petits bénéfices. Il y a aussi des raisons structurelles propres au système démocratique lui-même. Les responsables politiques passent vite. Ce qui les intéresse ce sont les résultats immédiats, le long terme ce n’est pas leur affaire. Tout cela se fait au détriment des intérêts légitimes de notre peuple et surtout des intérêts à long terme de la France. Je n’arrête pas de répéter que les Occidentaux, en matière de lutte contre l’immigration illégale et le terrorisme, prennent les pyromanes pour les pompiers.

Les décideurs des grands pays occidentaux prennent une très lourde responsabilité en refilant la patate chaude d’une rive sud de la Méditerranée ravagée par le désespoir et la violence à leurs successeurs et aux générations futures. Stabiliser la région n’est plus une question de politique internationale mais de politique interne. C’est un devoir des gouvernants occidentaux vis-à-vis des peuples européens auxquels nous sommes irrémédiablement liés. Notre développement dépend beaucoup du leur.

Ils dépendent pas mal pour leur sécurité de l’avancement de nos libertés. J’ai proposé dans mon livre Le Mal arabe (éditions L’Harmattan, 2004) de considérer que la ligne de partage entre Orient et Occident passe à l’Est de l’Iran, ce qui fait de nous des sud –Occidentaux, par rapport aux Nord – occidentaux que sont les Européens, ces voisins de paliers avec qui on se querelle depuis Carthage mais avec lesquels nous devons collaborer et vivre, si possible et c’est possible, en partageant des valeurs et un projet communs.

La suite : [oumma.com]
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook