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les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, au Maroc
M
16 décembre 2005 02:42
Une très médiatique « lutte contre la pauvreté »

Les masques africains de M. Anthony Blair



En réaction à l’afflux d’émigrants vers les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, au Maroc, la Commission européenne a proposé une « stratégie pour l’Afrique ». Ce plan s’inscrit dans une longue série d’initiatives, dont celle de la commission ad hoc présidée par M. Blair en 2005. Toutefois, reprises par le G8 en juillet dernier, les mesures avancées par le premier ministre britannique n’indiquent aucun changement de cap économique.


Par Demba Moussa Dembélé
Economiste, Dakar (Sénégal).


Faire en sorte que la pauvreté n’appartienne plus qu’au passé de l’Afrique, et ce grâce à un « plan Marshall moderne » : telle était l’ambition affichée par le sommet du G8, tenu à Gleneagles (Ecosse) du 6 au 8 juillet 2005. Rien n’avait été négligé pour mettre en scène ce tournant. Le premier ministre britannique Anthony Blair, hôte du sommet, eut même recours aux services des musiciens Bob Geldof et Bono pour organiser des concerts géants de sensibilisation.

Un tel battage n’est pas neuf : après le lancement du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) (1), en 2001, des discours similaires avaient fleuri. Mieux, les pays du G8 avaient adopté un plan d’action pour l’Afrique au sommet de Kananaskis (Canada), en 2002, plan qui est resté pratiquement lettre morte. Malgré les apparences, l’initiative de Gleneagles demeure très orthodoxe, et la multiplication de telles opérations traduit avant tout la volonté des pays du Nord de continuer à dicter les termes du débat sur le développement, en dépit de l’échec patent de leurs prescriptions (2).

Depuis plusieurs années, M. Blair se pose en « champion de la lutte contre la pauvreté » en Afrique. C’est dans cet esprit qu’il a mis en place, en 2004, une Commission pour l’Afrique dont le rapport, rendu en février 2005 et intitulé « Notre intérêt commun », a servi de base aux travaux du G8 (3). Présidée par le premier ministre britannique, cette commission comprenait dix-sept personnalités, dont l’ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) Michel Camdessus, le président tanzanien Benjamin Mkapa, le ministre sud-africain des finances Trevor Manuel, le premier ministre éthiopien Meles Zenawi et... Bob Geldof.

Après quelques phrases sans conséquence – du type : « La pauvreté et la stagnation de l’Afrique sont les plus grandes tragédies de notre temps » –, le rapport de la commission prétend expliquer la misère du continent par un faisceau « complexe » de facteurs politiques, structurels, environnementaux et humains. Mais il présente la géographie et la mauvaise gouvernance comme des facteurs décisifs. Tous les autres – conflits, dépendance vis-à-vis des produits de base, faible productivité agricole, dégradation de l’éducation et du système sanitaire, fardeau de la dette extérieure, fuite des capitaux, détérioration des termes de l’échange, exode des cerveaux, etc. – ne joueraient qu’un rôle secondaire.

Cette analyse reprend les platitudes habituelles formulées par les « experts » occidentaux, leurs soutiens africains et les institutions multilatérales. Elle minimise notamment les facteurs externes : ainsi, le rôle de l’environnement international (détérioration des termes de l’échange et fuite des capitaux) n’est examiné que de manière technique et partielle. Aucune mention n’est faite des rapports de pouvoir qui caractérisent les relations internationales et qui expliquent la domination des pays du Nord sur les institutions multilatérales donneuses d’ordres.

Le rapport ignore en particulier le rôle joué par les programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI dans la dégradation des indicateurs économiques et sociaux (4). Il mentionne à peine le legs colonial, malgré son impact sur la « balkanisation » du continent. Il attribue entièrement la « mauvaise gouvernance » aux Africains, ce qui permet d’escamoter les conséquences du système néocolonial mis en place après les indépendances.

En revanche, la critique de la genèse de la dette extérieure révèle une légère inflexion du discours. En effet, le rapport reconnaît que « la dette a pour l’essentiel été contractée par des dictateurs qui se sont enrichis grâce au pétrole, aux diamants et aux autres ressources de leurs pays et qui, pendant la guerre froide, ont bénéficié du soutien des pays qui touchent aujourd’hui le remboursement de la dette. Nombre de ces dirigeants ont pillé des milliards de dollars... en se servant des systèmes financiers des pays développés ».

Pour remédier à la paupérisation du continent, le rapport formule cinq recommandations classiques : l’instauration de la « bonne gouvernance », le rétablissement de la paix et de la sécurité, le développement des ressources humaines, l’accélération de la croissance économique et l’essor des exportations. A cette fin, il préconise un doublement de l’aide annuelle, pour porter celle-ci à 25 milliards de dollars d’ici à 2010. Un état des lieux sera fait à cette date et, s’il se révèle satisfaisant, une seconde tranche annuelle de 25 milliards de dollars serait éventuellement accordée, entre 2011 et 2015.

Explorer d’autres voies
Cependant, en l’absence de changements fondamentaux dans la conception et la mise en œuvre de l’aide, l’efficacité de cette mesure paraît douteuse. Selon l’association britannique Action Aid, les pays « donateurs » récupèrent, sous forme d’achat de biens ou de remboursement d’emprunt, 90 % de l’aide (5). En outre, cette dernière a servi et continue à servir – plusieurs études et rapports le montrent – les intérêts économiques, politiques et stratégiques des pays donateurs (6). Enfin, la plupart des conditionnalités associées à ce soutien (libéralisation de l’économie, insertion dans la mondialisation...) tendent à en annuler tout bénéfice potentiel, ce que reconnaît d’ailleurs la commission Blair.

Le Royaume-Uni suggère de financer cette augmentation de l’aide par le biais des sommes levées sur les marchés financiers grâce à la mise en place de la Facilité de financement internationale (FFI). Chaque pays contributeur s’engagerait à verser, sur quinze ans, un certain montant à la FFI en échange d’engagements économiques renforcés des pays bénéficiaires. Les flux financiers d’aide au développement seraient ainsi prévisibles et stables. Et la FFI pourrait lever immédiatement cette aide sur les marchés internationaux de capitaux afin de la débourser en faveur des Etats pauvres. Ce mécanisme renforce toutefois les conditionnalités économiques pesant sur les pays du Sud. Et, en se concentrant sur le développement, la FFI renvoie au second plan la réforme du système commercial ou la création des biens publics globaux (7). Le Royaume-Uni propose d’explorer d’autres voies, telle l’instauration de taxes sur les transports, suggérée par la France.

Outre l’augmentation de l’aide, le G8 préconise l’annulation de 100 % de la dette de certains Etats, dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Mais cette annulation ne concerne que dix-huit pays sur les soixante-deux retenus par les Nations unies dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), et s’échelonne sur quarante ans. C’est pourquoi, selon Eurodad, une coalition d’associations européennes de lutte contre la pauvreté basée à Bruxelles, la valeur réelle des annulations sera de 17 milliards, et non de 4 (8). En outre, à chaque dollar de dette annulé correspond un dollar d’aide en moins. La décision du G8 paraît donc très insuffisante par rapport aux Objectifs du millénaire (9).

Mais la condition principale de l’annulation de la dette, c’est l’accélération des politiques de libéralisation et de privatisation. L’essentiel des ressources en faveur du développement est censé venir du secteur privé – d’où l’accent mis sur la « bonne gouvernance », qui doit créer des conditions favorables aux investissements étrangers. Reprenant à son compte une des recommandations de la commission Blair, le G8 souligne que « l’entreprise privée est le principal moteur de la croissance et du développement ». Pas un mot sur le rôle de l’Etat dans la redistribution des richesses, l’accès aux biens et services de première nécessité comme l’eau ou l’électricité, et la lutte contre les inégalités.

Dans cette optique, les pays africains doivent libéraliser davantage leurs politiques commerciales, en s’appuyant sur le G8, la Banque mondiale et le FMI pour bâtir « la capacité physique, humaine et institutionnelle nécessaire au commerce, y compris les mesures de facilitation » de celui-ci. Ces prescriptions rappellent celles fixées depuis vingt-cinq ans par les institutions multilatérales et les bailleurs de fonds, dont l’association Christian Aid a chiffré le coût social et économique extrêmement élevé (perte d’emplois, ruine des petites entreprises, etc.) : ainsi, depuis 1985, la libéralisation du commerce aurait fait perdre aux pays africains 270 milliards de dollars.

Le G8 évite soigneusement d’aborder la question des subventions agricoles dans les pays riches, lesquelles expliquent pourtant partiellement la pauvreté dans les pays africains. En 2002, par exemple, les subventions massives octroyées par les Etats-Unis à leurs 25 000 producteurs de coton avaient fait chuter de 25 % le prix du coton sur le marché mondial, et coûté quelque 300 millions de dollars de recettes d’exportations au Bénin, au Burkina Faso et au Mali, tous classés comme pays les moins avancés. Pourtant, la commission Blair observe qu’un accroissement de 1 % des exportations africaines porterait leur valeur annuelle à 70 milliards de dollars, soit plus de quatre fois le montant de l’aide publique au développement.

Un bon test de sincérité
L’une des originalités, sinon la seule, du rapport de la Commission pour l’Afrique, superbement ignorée par le G8, est l’appel lancé pour le rapatriement des fonds soustraits aux peuples africains par des régimes non démocratiques et déposés dans les pays développés. Selon le rapport, ces fonds s’élèveraient à plus de la moitié du montant de la dette extérieure du continent, soit des centaines de milliards de dollars. La mise en œuvre de cette mesure par le gouvernement Blair serait d’ailleurs un bon test de la sincérité du premier ministre britannique.

En réalité, la volonté affichée du G8 de lutter contre la pauvreté masque des visées économiques et des préoccupations géostratégiques. Le contrôle des énormes ressources naturelles dont regorge l’Afrique pourrait en effet conférer un avantage considérable dans la guerre économique que se livrent les pays occidentaux. Comme le laisse entendre la commission Blair, « à mesure que le monde changera et se développera, il est probable que les vastes ressources naturelles de l’Afrique resteront vitales pour la prospérité du monde ». Déjà, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis ont entrepris de « sécuriser » les pays africains riches en pétrole.

Parallèlement, Washington et l’Union européenne accroissent leur pression commerciale et économique sur le continent. En 2000, Washington a mis en place un instrument de pénétration des économies africaines, l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui a pour but de faire lever toutes les barrières tarifaires et non tarifaires concernant des produits américains. De son côté, l’Union européenne veut imposer à l’Afrique des accords de « libre-échange », connus sous le nom d’accords de partenariat économique (APE) (10).

Mais les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont aussi compris qu’une Afrique « pauvre », avec des Etats en faillite, constituerait un terreau fertile ou un sanctuaire pour des groupes terroristes. Ainsi, l’un des auteurs des attentats ratés du 21 juillet 2005, à Londres, a été arrêté en Zambie. M. George W. Bush, cité dans le rapport de la commission Blair, ne cache pas cette préoccupation : « La pauvreté et l’oppression persistantes peuvent aboutir au sentiment d’impuissance et au désespoir. Et lorsque les gouvernements ne répondent pas aux besoins les plus élémentaires de leurs citoyens, ces Etats en situation d’échec peuvent devenir des refuges pour les terroristes... »

En dépit du tapage médiatique et des espoirs soulevés avant le sommet du G8, celui-ci s’est soldé par un échec. Et pour cause : comment peut-on faire en sorte que la pauvreté n’appartienne plus qu’au passé sans enterrer aussi les politiques et les institutions qui créent et répandent la pauvreté sur la planète ?


(1) Lire Tom Amadou Seck, « Leurres du Nouveau partenariat pour l’Afrique », Le Monde diplomatique, novembre 2004.

(2) Lire L’Intervention du FMI et de la Banque mondiale en Afrique. De l’échec des programmes d’ajustement au fiasco de l’initiative PPTE, International South Group Network, Quezon (Philippines), juin 2005.

(3) Lire Commission pour l’Afrique, « Notre intérêt commun », février 2005.

(4) Lire The economics of failure : the real costs of “free” trade for poor countries. A Christian Aid Briefing Paper, Londres, juin 2005.

(5) Lire Real Aid : An Agenda for Making Aid Work, mai 2005.

(6) Lire David Sogge, Une nécessaire réforme de l’aide internationale, Le Monde diplomatique, septembre 2004.

(7) Voir sur le site du Haut conseil de la coopération internationale.

(8) Lire Détails machiavéliques : les implications de la proposition du G7 sur la dette. Briefing d’Eurodad aux ONG, Bruxelles, 14 juin 2005.

(9) Centre national de coopération au développement, « Ce qu’il faut comprendre de la décision du G8 », Bruxelles, 30 juillet 2005.

(10) Lire Raoul Marc Jennar, « Ces accords que Bruxelles impose à l’Afrique », Le Monde diplomatique, février 2005.



[www.monde-diplomatique.fr]
t
16 décembre 2005 08:52
L´ europe ne donne riensad smiley(
 
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