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Dire oui à la Turquie, au Mahgreb et aux autres, par Eric le Boucher
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8 octobre 2005 17:49
La vieille dame a encore des attraits. Malgré son âge et ses rhumatismes, l'Europe a un train de vie qui fait envie. Du moins à ses voisins pauvres de l'Est et du Sud. Ils sont capables de mille efforts pour la séduire. Ils sont capables d'avaler des tonnes de documents, les "acquis communautaires", pour se mettre en conformité dans tous les domaines, de la cuisine à l'usine, mais plus profondément ils se soumettent pour transformer radicalement leur système institutionnel, économique, juridique, social. C'est dire la hauteur de leur dépit, de leur détresse, de leur rage si, au bout du compte, l'Union leur dit non.

Personne ne peut savoir ce qui sera décidé à la fin de la négociation ouverte cette semaine pour l'adhésion finale de la Turquie. Mais il y a un précédent, très négatif.

Barcelone, 1995. L'Union veut stabiliser ses marches. A l'Est, le processus d'élargissement est engagé. Au Sud, le climat géopolitique est à la détente entre Israël et les Palestiniens. Pas le climat économico-démographique. La fécondité des pays arabo-musulmans leur impose de créer 100 millions d'emplois nouveaux d'ici à 2020. Pour le seul Maghreb, le chiffre avancé est de 40 millions. Sinon, le chômage déjà considérable y explosera avec deux conséquences imparables : 1) des hordes de crève-la-faim débarqueront en Europe de toutes les manières possibles au péril de leur vie ; 2) l'islamisme gagnera définitivement la partie au sud. Pour créer ces emplois, il faut que le rythme de croissance de la région double au minimum et passe de 3 % à 6 %, voire 7 % l'an. Leur intérêt, notre intérêt, sont communs : il faut s'entendre.

Les Quinze signent donc en 1995 un partenariat, le "processus de Barcelone", avec les 9 pays dits méditerranéens, du Liban au Maroc. Concrètement, la stratégie est de bâtir une vaste zone de libre-échange entre les deux rives de la Méditerranée et de l'accompagner de fonds structurels pour faciliter les réformes (les ajustements, selon le jargon des économistes).

Dix ans plus tard, c'est l'échec. La croissance de la région est restée de moitié inférieure au niveau nécessaire pour employer la jeunesse. Les revenus par tête, au sud et au nord de la Méditerranée, ont divergé au lieu de se rapprocher. Le chômage et la pauvreté sont en expansion. Les réformes sont en retard.

RELANCER LE PROCESSUS

L'intégration Sud-Sud, indispensable pour créer un marché commun régional, ne s'est pas faite. Tel est le diagnostic posé par Samir Radwan (Economic Research Forum égyptien) et Jean-Louis Reiffers (Institut de la Méditerranée), à l'occasion d'un colloque organisé à Marseille, les 1er et 2 octobre, par l'Institut de la Méditerranée et le Cercle des économistes. Diagnostic hélas partagé par tous les intervenants, du Nord comme du Sud.

Est-ce parce que l'élargissement à l'Est a monopolisé l'attention des Européens ? Est-ce à cause du 11-Septembre, qui a changé la donne des priorités en plaçant la sécurité au-dessus de la pile ? Est-ce parce que la Chine, un aimant autrement fort, a polarisé les investisseurs et les marchands ? Un peu tout ça, sans doute. En tout cas, dix ans plus tard, le processus de Barcelone est en panne. Et le dépit est fort, en particulier dans le Maghreb.

Les torts sont, certes, partagés. L'Union a obtenu une ouverture des marchés industriels du Sud mais elle a laissé hautes ses propres barrières (par des normes sanitaires ou environnementales protectionnistes) et closes les portes de ses marchés agricoles. Les échanges hors pétrole sont restés asymétriques et très déficitaires pour le Sud. Les capitaux sont rares : les pays méditerranéens n'absorbent que 1,5 % des sommes investies par l'Union. La Pologne en reçoit autant à elle toute seule.

Côté Sud, les lenteurs sont manifestes. Les pays de la région n'ont rien fait pour s'ouvrir l'un à l'autre, préférant ne regarder que vers le nord. Les réformes du marché du travail, de l'environnement juridique des affaires, du système bancaire, de l'école (ces pays ont un ratio élevé de dépenses scolaires mais ils forment, pour schématiser, des agrégés d'arabe) et des institutions en général progressent à pas lents. Les privatisations aussi. La corruption, en revanche, se porte bien.

Les chefs d'Etat et de gouvernement se retrouveront à Barcelone, le 27 novembre. Que leur proposer pour relancer le processus ? Les idées ne sont pas très nombreuses. Mais, pour tous les intervenants, la seule stratégie du libre-échange conduira, comme par le passé, à des déceptions. Il faut un "cadre institutionnel". Il faut une épée dans les reins, un agenda. Sans la perspective de mariage, sous la forme d'adhésion, ou de pacsage, sous forme de partenariat, la volonté s'évapore, le moteur des réformes s'éteint.

UN ANCRAGE ÉCONOMIQUE

C'est la grande leçon de Barcelone : ôtez la perspective d'épousailles, et rien ne se fait. Décevant leurs espoirs, nous avons renvoyé les pays du Maghreb à leur immobilisme et à leurs errements. A l'inverse, ouvrir la porte, faire miroiter la noce, est un fantastique moteur de réformes qui pousse les gouvernements comme les peuples. L'Europe entière en est d'ailleurs un exemple. Avant l'euro, tous les pays ouest-européens rivalisaient de rigueur budgétaire. Pour être qualifié, chacun des pays de l'Est européen s'était fait beau.

Il ne faut pas se moquer des atours de la vieille dame. L'Europe est un ancrage économique et démocratique. Ce n'est pas l'Europe puissance dont les pères ont rêvé, mais Michel Rocard a raison : ce n'est déjà pas si mal ! Si on bâtissait, suivant cette logique, un très vaste ensemble allant de Kiev, et même de Moscou, à Rabat, et de Dublin à Beyrouth, avec comme mobile la démocratie et la prospérité partagée, le résultat serait, face à la menace nationaliste et islamiste, satisfaisant.

Ajoutons que dans cette zone, face aux empires américain et chinois, on trouverait tout ce qu'il faut : du capital, des savoir-faire, de la main-d'oeuvre et de l'énergie. Et rien n'empêche, au contraire, en parallèle, de recommencer autour de l'axe franco-allemand une nouvelle construction.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 09.10.05

source : lemonde.fr
[b]"Quand le dernier arbre aura été abattu - Quand la dernière rivière aura été empoisonnée - Quand le dernier poisson aura été péché - Alors on saura que l'argent ne se mange pas."[/b] [i]Géronimo[/i]
 
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