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la dérive sécuritaire de Charlie Hebdo
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3 avril 2006 00:19
Lettre ouverte à Cavanna, fabricant de haine, par Olivier Cyran


À propos de la dérive sécuritaire de Charlie Hebdo


Depuis le référendum sur la Constitution européenne, les émeutes de novembre 2005 et l’ « affaire des caricatures de Mahomet », nul ne peut plus ignorer les dérives réactionnaires, islamophobes et anti-arabes de Charlie Hebdo. La publication opportuniste desdites « caricatures », et surtout le refus obstiné de condamner deux d’entre elles dont le caractère raciste était pourtant évident, a suscité de nombreux commentaires [1]. L’épisode a aussi été l’occasion de rappeler les précédentes dérives de cet hebdomadaire réputé « satirique » et « progressiste » [2]. Le texte qui suit constitue une nouvelle pièce au « dossier Charlie Hebdo » : il évoque la lamentable conversion de François Cavanna, membre fondateur du journal, aux dogmes sécuritaires. Les faits remontent au début de l’année 2002 : dans un article publié le 9 janvier, l’écrivain salue avec satisfaction la mort de Moussa, 17 ans, abattu le 2 janvier 2002 sur le périphérique parisien d’une balle policière dans la tempe. Estimant que la jeune victime avait « pris des risques » (en acceptant de monter à bord d’une voiture volée) et que sa fin brutale était dans l’ordre des choses, Cavanna enchaîne en gesticulant furieusement contre les « voyous » des banlieues, ces « brutes à front bas » qui sèment la « terreur » sous « l’œil placide » [3] des policiers. C’est en réaction à cet article qu’Olivier Cyran, ancien collaborateur de Charlie Hebdo, a écrit le texte qui suit, « sans illusion quant à l’utilité d’une telle entreprise, mais avec le sentiment de me débarrasser d’un gros nœud dans la gorge ».

Cher Cavanna,

D’après toi, le « gars » qui est mort voici deux semaines d’une balle policière reçue en pleine tête n’a donc eu que ce qu’il méritait. « Il avait pris des risques », soulignes-tu à plusieurs reprises. Les fous furieux qui réclament le retour à la guillotine se bordent en général à concentrer leur ferveur homicide sur les tueurs d’enfants. Toi, tu proposes le tir à vue sur les voleurs de voitures. De la part d’un pacifiste irréductiblement opposé, croyais-je, à toute forme de chasse et de peine de mort, c’est une position originale, je dirais même, oui : courageuse. Lorsque « le con se surpasse », pour reprendre le titre d’un de tes livres, le courage est toujours d’une aide précieuse. Cependant, comme tu as bien conscience qu’un vol de voiture ne saurait raisonnablement passer pour un crime passible du peloton d’exécution, il te faut charger la barque et inventer de toutes pièces une « attaque, revolver au poing », là où il n’y avait qu’une médiocre équipée à bord d’une bagnole chourrée. Peut-être disposes-tu d’informations inédites, auquel cas la police serait heureuse de les entendre. Pour l’heure elle n’a pas trop de quoi être fière, même si le policier tireur, comme toujours dans ce genre d’affaires, a été aussitôt blanchi au prétexte de la « légitime défense ».

Au fond, tu as raison : que nous importe la réalité des faits ? Quand bien même le « gars » aurait commis un hold-up fracassant, j’estime qu’il ne méritait pas d’agoniser la tête dans le giron de son copain. Une mort par balle est toujours une mort dégueulasse, surtout lorsqu’elle a été administrée sans jugement par un officier de la police publique. C’est ce qu’on appelle une question de principes. Pour autant, le fait que tes principes à toi suivent désormais la pente en vogue de la schlague sécuritaire ne devrait pas t’interdire d’être un poil plus rigoureux, ou plus honnête. Il faut savoir de quoi on parle lorsqu’on décrète juste, naturelle et salutaire la mort violente d’un « gars ». Celui dont nous parlons a été abattu d’une balle dans la tempe, ce qui signifie que le coup de feu mortel venait de côté et non de face. Sans être Sherlock Holmes, j’aurais tendance à en déduire que la voiture était en train de dépasser le policier au moment où celui-ci vidait son chargeur à hauteur de tête (trois impacts de balles retrouvés), et qu’elle ne menaçait donc nullement sa vie. Au rayon des petits détails techniques,on ajoutera que pour stopper un véhicule, il existe d’autres méthodes que l’élimination physique de ses passagers. La herse cloutée posée à même la chaussée en fait traditionnellement partie, mais il y en a d’autres.

Venons-en maintenant à ce « gars » anonyme sur lequel tu bâtis ta brillante démonstration. Il avait 17 ans et s’appelait Moussa. Ils s’appellent tous Ali, proclamait le titre d’un film des années soixante-dix, mais bon, celui-ci s’appelait Moussa, il y a des exceptions partout. En octobre dernier, Moussa participait à un rassemblement devant le Palais de Justice de Versailles. C’était à l’occasion du procès en assises d’un policier, Pascal Hiblot, accusé d’avoir tué d’une balle dans la nuque un jeune habitant de Mantes-la-Jolie, Youssef Khaïf. Comme tu le sais peut-être - et si tu ne le sais pas, la nouvelle devrait te combler - l’agent tueur a été acquitté. Moussa faisait partie de ce ceux qui ont manifesté dignement - mais oui ! - contre ce déni de justice, cette prime à la bavure. On l’a vu avec d’autres « voyous » embrasser la mère de feu Youssef, au moment où elle sortait en titubant du Palais de Justice où l’on venait de bénir le meurtrier de son fils.

Car Moussa ne faisait pas que voler des voitures. Il militait, aussi, à sa manière. Ceux qui l’ont rencontré dans les manifs du MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues) disent de lui que c’était un gamin souriant, pas con du tout, tout à fait capable de gestes solidaires et d’actes désintéressés. Ah oui, c’est vrai, j’oubliais... « On n’a jamais vu, dis-tu, la banlieue se mobiliser pour défendre un quidam non issu d’elle-même. Ni protester contre les tripatouilllages politico-financiers, les marées noires, les monstruosités sociales... » C’est curieux, en effet, cette sale manie qu’on les gens de se bagarrer en premier lieu contre ce qui les frappe, les heurte ou les humilie dans leur vie quotidienne. Les grévistes de Mc Do, par exemple : au lieu de se ranger derrière une cause noble et universelle, ces petits cons s’emploient égoïstement à dénoncer leurs conditions de travail. Et les séropositifs d’Act Up, alors ? Que ne militent-ils pas contre les rhumatismes, plutôt que de s’attaquer bêtement au sida ! Toi-même Cavanna, dans les colonnes de ton journal, tu gémis régulièrement sur la durée de vie, scandaleusement trop courte à tes yeux, dont tes ouvrages pâtissent en librairie. C’est un sujet que tu traites plus volontiers et à meilleur escient que les banlieues, et c’est normal : à chacun de parler de ce qu’il connaît, il n’y a pas de mal à ça. Les « voyous » que tu fusilles par écrit ne se révoltent guère, c’est vrai, contre les envois au pilon de tes bouquins, et fort peu, c’est vrai aussi, contre le FMI ou TotalFina. La conscience politique propre à ceux dont l’univers se limite à leur hall d’immeubles est parfois d’une vacuité déprimante. Je doute cependant que tu contribues à leur édification morale en crachant « Bien fait ! » à la gueule de leurs copains morts pour rien.

Les pauvres sont souvent de mauvaise compagnie, ça ne date pa d’hier et c’est ce qui justifie un journal comme Charlie. On peut à bon droit traiter de petits cons les banlieusards à casquette qui déambulent dans Paris le samedi soir, à la recherche d’un chapardage ou d’une épreuve de force. Je ne t’en voudrais pas de les accabler, à conditions toutefois que tu montres une indignation au moins égale à l’encontre du système qui les a cloués sur cette planche pourrie. Toi qui as vécu les trente glorieuses, tu pourrais te souvenir du processus de déglingue qui s’est amorcé durant cette période. J’ai rencontré les parents de Moussa, vendredi dernier, dans leur HLM des Mureaux. La cité où ils habitent - des cubes de béton à moitié vétustes portant des noms de grands compositeurs... - fut construites dans les années soixante-dix pour héberger la main-d’œuvre immigrée de Flins-Renault et de Talbot-Poissy. Importée de Maroc et d’Algérie, la chair à usines était assignée à résidente dans ces dortoirs géants munis de toutes les commodités modernes, parking, chauffage central et XC, mais où l’on avait juste oublié d’installer des lieux de culture, de loisirs et de vie.

« On était programmés pour le boulot et le dodo, et rien d’autres », m’a dit un vieux des Mureaux. Pas de librairie, pas de bistrot, pas de théâtre, que dalle, juste des alignements gris pour le parquage de l’ouvrier. Les belles années soixante-dix étaient aussi des années de ségrégation, de cynisme et d’exploitation sauvage. Tiens, j’ai retrouvé un vieux numéro de Charlie Hebdo du 6 décembre 1971, dans lequel est reproduite une interview fort instructive de François Bouygues. A l’époque, les patrons n’avaient pas encore de conseillers en communication, ils se lâchaient sanas vergogne. Voici, pour te rafraîchir la mémoire, ce que disait Bouygues à propos de la main-d’œuvre immigrée, qui représentaient 88% de son personnel :

« Nous ne pouvons pas la former car si nous la formons, nous l’avons pas l’espoir que nous pourrons la conserver (...). Ces gens-là sont venus ne France pour gagner de l’argent. Et à partir de là il leur est égal de travailler douze heures par jour ou même seize heures l’été quand ils le peuvent ».

C’est ainsi qu’on pressa le jus de ces « gens-là », sans se soucier une seconde de ce qu’il adviendrait de leur vieillesse et de leur progéniture. J’en ai vu, de ces vieux immigrés brisés par les heures sup, handicapés du travail ou chômeurs en dépression, perclus de douleurs, acculturés, muets à force d’humiliations. Le père de Moussa est l’un d’eux. Son fils est né avec ce passé-là sous les yeux et une barre de béton en guise d’avenir. Le 28 octobre, il était quand même à Versailles pour témoigner sa solidarité envers une famille qu’il ne connaissait pas, mais qui a perdu un fils dans une bavure policière. Deux mois plus tard, c’était à son tour de tomber sous les balles d’un flic. La routine... Ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui un « gars » tombe sous les applaudissements d’un écrivain qu’un jour, peut-être, il aurait pu prendre plaisir à découvrir. Car tes bouquins sont aussi lus en banlieue, et aussi par des Arabes...

Je ne prétends pas que l’histoire de l’immigration (qui est aussi celle d’une mentalité coloniale recyclée en pragmatisme économique) permette à elle seule de répondre à la question essentielle : pourquoi, par une nuit glaciale, à 3 heures du matin, Moussa se trouvait-il dans une voiture fonçant à toute blinde sur le périph, en compagnie de deux autres ados, dont un de 14 ans ? Ce n’est pas une question simple. Cependant, à moins de considérer qu’une casquette de délinquant est inscrite dans le patrimoine génétique du basané de banlieues, il faut bien admettre qu’un enchevêtrement de causes multiples a déterminé ce gâchis. Il serait peut-être temps de dénouer la pelote, si on ne veut pas qu’elle prenne feu. Tirer dans le tas est sans doute plus facile, mais pas forcément plus productif. Quant à invoquer comme tu le fais le bon vieux temps mythique, celui des « malfrats de naguère »... Quelle rigolade ! D’ailleurs, es-tu vraiment sûr qu’ils ne « serait pas venu à l’idée » de ces braves truands à l’ancienne qu’ils « étaient victimes d’une injustice » ? Bon Dieu, mais l’histoire est remplie de hors-la-loi qui estimaient avoir des comptes à régler avec la haute ! Et qui auraient, eux, trouvé parfaitement dégueulasse que l’on plombe un gamin pour excès de vitesse.

Désolé, Cavanna, mais non, Moussa n’avait pas « pris ses risques », c’est la société qui lui en a fait courir plus que de raison, en le faisant délibérément grandir dans toute cette merde. Où étiez-vous, toi et les autres, durant ces merveilleuses années soixante-dix qui font venir aux yeux de Wolinski des larmes de nostalgie ? Qu’avez-vous fait à l’époque, toi et les autres, contre ces « monstruosités sociales », dont les conséquences ont tué Moussa ? Et dans quel mépris est taillée ta conscience politique pour que tu ailles jusqu’à traiter les indésirables d’« assistés » ? Pour un peu, tu soutiendrais que tout ça, c’et la faute au RMI... Ah, salauds de pauvres !

J’enrage de devoir être en colère contre toi. Et je suis triste comme un chien de lire sous ta plume des conneries malfaisantes qui, contrairement à ce que tu penses, ne sont plus dignes seulement du Figaro, puisqu’elles vérolent désormais cette gauche bien-pensante dont tu condamnes le prétendu laxisme (« l’œil impassible du flic », tu parles... T’as déjà vu comment se passe un contrôle policier, dans les cités ? Les insultes racistes, les tabassages, les arrestations arbitraires ? Demande à ceux qui savent, ils sont nombreux...). Tu prends la posture de l’homme seul qui ose élever la voix au-dessus des foules apeurées. Hélas, ça fait belle lurette que la conscience dont tu te targues est celle de la majorité. Prête un peu l’oreille à Julien Dray, à Jacques Julliard, à Chevènement et à tant d’autres hommes « de gauche » qui nous dictent l’air du temps : ils disent la même chose que toi, en plus faux-cul. Ton édito est conforme à la mode. Je suis même prêt à parier que tu as reçu des lettres de félicitations. Cavanna, l’homme qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas... Ca ne te rappelle rien ? Et merde.

Olivier Cyran
a
3 avril 2006 00:21
À propos du tête-à-queue idéologique de Charlie Hebdo


Nous reproduisons, avec son autorisation, l’excellent texte que Mona Chollet a consacré à la lamentable dérive de Charlie Hebdo. Une dérive qui a fait d’un hebdomadaire satirique de gauche, de tradition libertaire, une espèce de Crapouillot [1] républicaniste, de plus en plus complaisant avec les classes dominantes, leurs médias, leurs intellectuels organiques, et de plus en plus hautain, méprisant, voire haineux à l’égard des classes populaires, des Arabes et des musulmans.
Mercredi 19 novembre 1997, sous le titre « Les perroquets du pouvoir », Philippe Val consacrait la quasi-intégralité de son éditorial de Charlie Hebdo à l’enthousiasme délirant que lui inspirait la parution des Nouveaux chiens de garde de Serge Halimi. Il y évoquait les « BHL, Giesbert, Ockrent, Sinclair », etc., tous « voguant dans la même croisière de milliardaires qui s’amusent », et qui « n’ont aucune envie de voir tarir le fleuve de privilèges qui prend sa source dans leurs connivences ou leurs compromissions ». Il jugeait certains passages « à hurler de rire », en particulier le chapitre « Les amis de Bernard-Henri », qu’il conseillait de « lire à haute voix entre copains ».

Six mois plus tard, mercredi 27 mai 1998, sous le titre « BHL, l’Aimé Jacquet de la pensée » (c’était juste avant la Coupe du monde de football), il volait encore au secours du livre de Halimi, contre lequel toute la presse n’en finissait plus de se déchaîner. Il épinglait le chroniqueur du Point pour avoir, dans son « Bloc-notes », assimilé Bourdieu à Le Pen. Et le futur défenseur du « oui » à la Constitution européenne se désolait :

« Penser que le désir d’Europe sociale des uns est de même nature que le refus nationaliste de l’Europe des lepénistes ne grandit pas le penseur... »

En 2005, Philippe Val comparerait l’attitude des partisans du « non » à celle de Fabien Barthez crachant sur l’arbitre.

Mercredi 1er mars 2006. Continuant d’exploiter le filon providentiel des caricatures danoises, Charlie Hebdo publie à grand fracas un « Manifeste des Douze » (hou, hou ! morte de rire !) intitulé « Ensemble contre le totalitarisme islamique » (sur la prolifération actuelle du mot « ensemble » et sa signification, lire l’analyse d’Eric Hazan dans LQR, La propagande du quotidien, [2], signé notamment par Philippe Val, Caroline Fourest (auteure de best-sellers sur la menace islamique et membre de la rédaction de Charlie Hebdo), Salman Rushdie, Taslima Nasreen, et... Bernard-Henri Lévy. « L’Aimé Jacquet de la pensée » a droit, comme les autres signataires, à sa notice biographique (moins longue que celle de Caroline Fourest, quand même, hein ! Faut pas déconner !), qui commence ainsi :

« Philosophe français, né en Algérie, engagé contre tous les « ismes » du XXe siècle (fascisme, antisémitisme, totalitarisme et terrorisme). »

Ce coup des « ismes », le journal nous le refait dans son « manifeste » foireux, qui semble avoir été torché en cinq minutes sur un coin de table en mettant bout à bout tous les mots creux et pompeux dont se gargarisent en boucle, sur les ondes et dans la presse, les « perroquets du pouvoir » :

« Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme. »

Les opprimés ont une manière tout à fait malséante d’exprimer leur désespoir

Il en manque pas mal, des « ismes », dans cette liste : colonialisme, impérialisme, racisme, libéralisme... Autant de notions qui, à une époque, avaient pourtant droit de cité dans les colonnes de Charlie. Balayer d’un revers de main, ou ne même pas voir, depuis son pavillon cossu de la banlieue parisienne, les conditions de vie et les spoliations subies par les perdants du nouvel ordre mondial ; s’incommoder de ce que les opprimés, décidément, aient une manière tout à fait malséante d’exprimer leur désespoir, et ne plus s’incommoder que de cela ; inverser les causes et les conséquences de leur radicalisation (il n’y a pas d’attentats en Israël parce qu’il y a une occupation, mais il y a une occupation parce qu’il y a des attentats), et, au passage, accorder sa bénédiction à la persistance de toutes les injustices qui empoisonnent le monde ; parer l’Occident de toutes les vertus et l’absoudre de tous ses torts ou ses crimes : non, il fut un temps où on n’aurait jamais trouvé dans ce journal une pensée aussi odieuse.

Mais c’était à une époque où Charlie vivait et prospérait en marge du microcosme médiatique, qu’il ne fréquentait pas, et qu’il narguait de sa liberté de ton et de ses finances florissantes - quand il ne lui adressait pas de splendides bras d’honneur. L’équipe, dans sa grande majorité, se satisfaisait parfaitement de cette situation.... Mais pas Philippe Val, à qui la reconnaissance du méprisable ramassis de gauchistes que constituait à ses yeux le lectorat du journal suffisait de moins en moins - avant de finir par carrément l’insupporter. Son besoin de voir sa notoriété se traduire en surface médiatique devait le pousser d’abord à nouer un partenariat avec Libération, en convenant d’un échange d’encarts publicitaires entre les deux journaux. Pour justifier la chose aux yeux d’un lectorat très hostile à la publicité, il se livra à des contorsions rhétoriques dont la mauvaise foi fut impitoyablement disséquée par Arno sur Uzine.

Philippe Val, qui, par un hasard facétieux, venait justement d’être connecté à Internet, tomba sur l’article, et piqua une crise de rage dont ses collaborateurs se souviennent encore. Le mercredi suivant [3], les lecteurs de Charlie purent découvrir un édito incendiaire intitulé : « Internet, la Kommandantur libérale », qui fut suivi d’un autre, tout aussi virulent, quinze jours plus tard. On y lisait notamment que, si Internet avait existé en 1942,

« les résistants auraient tous été exterminés en six mois, et on pourrait multiplier par trois les victimes des camps de concentration et d’extermination ».

Il faut le savoir : contredire Philippe Val est aussi grave qu’envoyer un résistant en camp de concentration. Bien sûr, le « Kim Il-Sung de la rue de Turbigo », comme le surnomme aimablement PLPL, ne faisait nulle part mention de l’article d’Arno (il expliquait avoir choisi de traiter ce sujet cette semaine-là parce qu’on lui demandait souvent pourquoi Charlie n’avait pas de site !), et ne précisait pas que la seule forme de négationnisme à laquelle il avait été personnellement confronté dans ce repaire de nazis virtuel ne remettait en cause que son propre génie.

Flatter les plus bas instincts des masses tout en se prenant pour Jean Moulin

S’étant peu à peu aliéné son lectorat d’origine, et ayant vu ses ventes baisser dangereusement, Charlie Hebdo en est désormais réduit, pour exister, à multiplier les coups de pub aussi lucratifs qu’insignifiants et à développer le « cobranding » tous azimuts. Après d’innombrables tentatives infructueuses pour créer un « buzz » médiatique autour du journal, comme en témoignaient semaine après semaine les titres d’un sensationnalisme maladroit étalés dans l’encart publicitaire de Libération, avec les caricatures danoises, enfin ! ça a pris. Le créneau ultra-vendeur de l’islamophobie, sur lequel surfe déjà sans vergogne l’écrasante majorité des médias, permet de copiner avec les puissants et de flatter les plus bas instincts des masses tout en se prenant pour Jean Moulin : bref, c’est idéal. Sauf que, en s’y précipitant comme sur une aubaine, le journal achève sa lente dérive vers un marécage idéologique dont la fétidité chatouille de plus en plus les narines.

Dans son éditorial de ce fameux numéro publiant les caricatures danoises, Philippe Val écrit doctement que

« le racisme s’exprime quand on rejette sur toute une communauté ce que l’on reproche à l’un des membres »

Ce qui lui permet de conclure que

« quand un dessinateur danois caricature Mahomet et que dans tout le Moyen-Orient, la chasse aux Danois est ouverte, on se retrouve face à un phénomène raciste comparable aux pogroms et aux ratonnades »).

Or, « rejeter sur toute une communauté ce que l’on reproche à l’un des membres », c’est exactement ce que fait le dessin danois représentant Mahomet avec un turban en forme de bombe. Par une amère ironie du sort, Charlie Hebdo, ancien journal du combat antiraciste, a donc érigé en symbole de la liberté d’expression une caricature raciste. Dans Le Monde diplomatique de mars 2006, Alain Gresh cite le journaliste Martin Burcharth :

« Nous, Danois, sommes devenus de plus en plus xénophobes. La publication des caricatures a peu de relations avec la volonté de voir émerger un débat sur l’autocensure et la liberté d’expression. Elle ne peut être comprise que dans le climat d’hostilité prégnante à tout ce qui est musulman chez nous. » Il précise aussi que le quotidien conservateur Jyllands-Posten, qui a fait paraître les caricatures de Mahomet, « avait refusé, il y a quelques années, de publier une caricature montrant le Christ, avec les épines de sa couronne transformées en bombes, s’attaquant à des cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ».

Et c’est dans ce journal-là que Charlie Hebdo vient de publier la version anglaise de son « manifeste » [4] !

Mais peu importe, car le créneau islamophobe a un autre avantage, qui, dans le cas de nos amis, s’avère particulièrement précieux : il est tellement en phase avec la bien-pensance majoritaire qu’il permet de raconter plein de conneries, ou de recourir au terrorisme intellectuel le plus éhonté, sans jamais être discrédité ou sérieusement contesté. S’il en allait autrement, Val pourrait-il affirmer par exemple à la télévision que, si on fait l’amalgame entre islam et terrorisme, c’est de la faute des terroristes islamistes - un peu comme si on rendait responsables du vieux cliché sur les juifs et l’argent, non pas les antisémites, mais les juifs riches ? ! Ou pourrait-il se féliciter, dans son édito, de ce que le dessin avec le turban en forme de bombe ne soit « pas très bon », car cela permet « d’exclure du débat sa valeur esthétique pour le recentrer sur la question de la liberté d’expression » - un sophisme qui, comme toutes ces pirouettes dont il est coutumier et dont il semble retirer une fierté sans bornes, est remarquablement débile ?

Sur ce dernier point, d’ailleurs, Caroline Fourest donne une version un peu différente de celle de son patron. Dans la page de publicité gratuite offerte par Libération [5] à ce numéro spécial de Charlie, elle commentait :

« On ne s’est pas lâché cette semaine. Le dessin qui nous a fait le plus rire n’est pas passé. C’était trop facile, gratuit et sans message derrière. »

Parce que, derrière le turban en forme de bombe, il y a un « message » ? Tiens donc ! Et lequel ? (Au passage, cet article de Libération était cosigné par Renaud Dély, qui est, ou en tout cas a été, chroniqueur politique à Charlie Hebdo sous un pseudonyme : le cobranding, ça marche !) Il semblerait qu’on rie beaucoup aux dépens des Arabes - pardon, des « intégristes » - à Charlie Hebdo en ce moment.

Ça ne date d’ailleurs pas d’hier : il y a quelques années, quand Nagui était arrivé sur Canal Plus pour présenter Nulle part ailleurs, Cabu l’avait caricaturé en Une de Charlie Hebdo en chameau des publicités Camel. Canal Plus avait alors fait livrer par coursier à la rédaction un montage dans lequel, au-dessus de ce dessin, le titre « Charlie Hebdo » avait été remplacé par « National Hebdo ».

« Esprit des Lumières » ou bombe éclairante ?

Le plus comique, c’est peut-être les tentatives désespérées de l’équipe pour nous faire croire que, malgré tout, elle reste de gauche. Dans son dernier opus, La tentation obscurantiste, consacré à l’épuration de la gauche telle qu’elle la rêve (168 pages avec que des listes de noms, un livre garanti sans l’ombre du début d’une idée dedans !), Caroline Fourest se désole parce que, dans un article, j’ai osé douter de sa légitimité à prétendre incarner la « vraie » gauche (par opposition à celle qui refuse de partager ses fantasmes d’invasion islamique).

Outre le fait que la pensée qu’on a décrite plus haut, et que propage désormais Charlie, est une pensée d’acquiescement passionné à l’ordre du monde, ce qui n’est pas très « de gauche », nos vaillants éradicateurs devraient examiner d’un peu plus près le pedigree de leurs nouveaux amis. Caroline Fourest et Fiammetta Venner - elle aussi « journaliste » à Charlie - sont adulées par Le Point et L’Express (lequel publie lui aussi le « manifeste »), deux titres, comme chacun sait, furieusement progressistes. Elles sont copines avec Ayaan Hirsi Ali, députée néerlandaises, amie de Théo Van Gogh intronisée en politique par le très libéral Frits Bolkestein, qui « fut le premier [aux Pays-Bas] à déclarer incompatibles, au début des années 1990, les valeurs des immigrés musulmans et celles de son pays » [6] - Ayaan Hirsi Ali a elle aussi signé le « manifeste ». Fiammetta Venner ne voit aucun problème à donner une interview à un site répondant au doux nom de « Primo-Europe », créé par des « citoyens qui considèrent que l’information sur le Moyen Orient est, en Europe en général et en France en particulier, diffusée en fonction de préjugés manichéens où le commentaire l’emporte sur le fait », et sur lequel elle figure aux côtés d’un Alexandre Del Valle, par exemple.

Mieux : comme l’a relevé PLPL, Venner et Fourest écrivent désormais aussi dans le Wall Street Journal, « organe de Bush, des néoconservateurs américains, de la droite religieuse et de Wall Street » ; elles s’y alarment de l’« incapacité des immigrants arabes à s’intégrer » et de la « menace pour les démocraties occidentales » de les voir rejoindre des « cellules terroristes islamistes » [7]. La tribune dont sont extraites ces lignes s’intitule « War on Eurabia », « Eurabia » (« Eurabie ») étant l’un des termes de prédilection d’Oriana Fallaci (dont le livre avait d’ailleurs été encensé dans les colonnes de Charlie par Robert Misrahi).

Quant à Philippe Val, la même page de PLPL nous apprend qu’en août 2005, un hommage lui a été rendu dans un discours par un dirigeant du MNR de Bruno Mégret : `

« Les musulmans sentent bien la force de leur nombre, ont un sentiment très fort de leur appartenance à une même communauté et entendent nous imposer leurs valeurs. En ce moment, des signes montrent que nous ne sommes pas seuls à prendre conscience de ce problème. (...) J’ai eu la surprise de retrouver cette idée chez un éditorialiste qui est à l’opposé de ce que nous représentons, Philippe Val, de Charlie Hebdo, dans un numéro d’octobre 2004. »

Commentaire perfide du mensuel :

« Il y a dix ans, Philippe n’avait qu’une idée : interdire le Front national, dont Mégret était alors le numéro 2. Désormais, Val inspire certains des chefs du MNR. »

Enfin, le 2 mars 2006, dans Libération, Daniel Leconte vient d’offrir à ses amis une tribune d’une page intitulée « Merci Charlie Hebdo ! ». Le présentateur-producteur d’Arte [8] y rend hommage à ses confrères qui ont « refusé de céder à la peur », et se répand au passage en lamentations sur l’injustice dont la France a fait preuve à l’égard des Etats-Unis après le 11-Septembre, et sur les errements dont elle s’est rendue coupable lors de la guerre d’Irak, en les isolant devant le Conseil de sécurité de l’ONU et en « laissant entendre que, de victime, ils étaient devenus les fauteurs de troubles ». On se demande effectivement où on a bien pu aller chercher une idée pareille. Il conclut en réclamant sans rire le prix Albert-Londres pour Charlie Hebdo, estimant que le journal a défendu un « esprit des Lumières » qu’il confond visiblement avec la lueur des bombes éclairantes de l’armée américaine.

Cadeau un brin empoisonné que cette tribune. On commence par prétendre ne faire que critiquer la religion musulmane, opium de ces pouilleux d’Arabes, en se prévalant de son passé de bouffeurs de curés, et on finit intronisé journal néoconservateur par des faucons à oreillette ! Mince, alors ! Quelque chose a dû merder en chemin, mais quoi ? Les voies de l’anticléricalisme sont parfois impénétrables.

Tu la sens, ma défense de la démocratie ?

Leconte se félicite de ce que Charlie ait témoigné de ce que « la France n’est pas seulement cet assemblage de volontés molles ». Déjà, la déclaration de Luz (attribuée par erreur à Philippe Val) selon laquelle la rédaction de Charlie, dans son choix des caricatures qu’elle allait publier, avait « écarté tout ce qui était mou de la bite », avait mis la puce à l’oreille du blogueur Bernard Lallement :

« Toute la tragédie est là. Faire, comme du Viagra, de l’islamophobie un remède à son impuissance, expose aux mêmes effets secondaires indésirables : les troubles de la vue ; sauf, bien sûr, pour le tiroir caisse. »

La volonté agressive d’en découdre, de « ne pas se dégonfler », suinte de partout dans cette affaire. Val affirme que ne pas publier les dessins serait aller à « Munich » - comme le faisait déjà Alain Finkielkraut, dont il partage la paranoïa identitaire, lors des premières affaires de voile à l’école. On n’est pas dans la défense des grands principes, mais dans cette logique d’escalade haineuse et guerrière, « œil pour œil dent pour dent », qui constitue le préalable indispensable de tous les passages à l’acte, et les légitime par avance. Tout le monde, d’ailleurs, fait spontanément le rapprochement entre les dessins danois et certains feuilletons antisémites diffusés par des chaînes arabes, admettant ainsi implicitement qu’ils sont de même nature. Le journal allemand Die Welt a par exemple publié les caricatures en les assortissant de ce commentaire :

« Nous attacherions plus d’importance aux critiques musulmanes si elles n’étaient pas aussi hypocrites. Les imams n’ont rien dit quand la télévision syrienne, à une heure de grande écoute, a présenté des rabbins comme étant des cannibales buveurs de sang. »

Une telle attitude dénote en tout cas une mentalité à des années-lumière de la sagesse philosophique dont voudrait par ailleurs se parer le Bourgeois gentilhomme du marigot médiatique parisien. Répéter toutes les deux phrases, d’un air sinistre et pénétré, le mot magique de « démocratie », suffit peut-être à Philippe Val pour se faire adouber par ses compères éditorialistes, mais, pour prétendre au statut de penseur, il faudrait peut-être commencer par envisager le monde d’une manière un peu moins... caricaturale.

En témoigne le tableau grotesque qu’il nous brosse du Danemark, merveilleuse démocratie peuplée de grands blonds aux yeux bleus qui achètent un tas de livres, ont une super protection sociale et ont refusé de livrer leurs ressortissants juifs aux nazis, tandis que le monde musulman se réduirait à un grouillement de masses incultes et fanatiques qui n’ont même pas la carte Vitale. Peu importe si par ailleurs la presse regorge d’articles sur la prospérité du racisme et l’actuelle montée de l’extrême droite au Danemark (bah, si on a sauvé des juifs pendant la guerre, on a bien le droit de ratonner un peu et de profaner quelques tombes musulmanes soixante plus tard, tout ça n’est pas bien méchant !). Et si on nous rappelle ici et là que le Danemark est un pays où l’Eglise n’est pas séparée de l’Etat :

« Il existe une religion d’Etat, le protestantisme luthérien, les prêtres sont des fonctionnaires, les cours de christianisme sont obligatoires à l’école, etc. » [9].

Mais notre va-t-en guerre des civilisations ne s’encombre pas de tels détails. Lors de l’éclatement de la seconde Intifada, déjà, il avait décrété que Charlie devait défendre la politique israélienne, parce qu’Israël était une démocratie et parce que tous les philosophes importants de l’Histoire étaient juifs, tandis que son équipe effarée - il faut dire que sa composition était alors assez différente - tentait d’évaluer en un rapide calcul le nombre d’erreurs grossières, de raccourcis vertigineux et de simplifications imbéciles qu’il était ainsi capable d’opérer dans la même phrase. Pour ma part, abasourdie de devoir en arriver là, je m’étais évertuée à le persuader qu’il existait aussi des « lettrés » dans le monde arabe ; je m’étais heurtée à un mur de scepticisme réprobateur. Prôner la supériorité de sa propre civilisation, et faire preuve, par là même, d’une vulgarité et d’une inculture assez peu dignes de l’image qu’on veut en donner : c’est le paradoxe qu’on avait déjà relevé chez Oriana Fallaci, qui écrivait dans La rage et l’orgueil :

« Derrière notre civilisation il y a Homère, il y a Socrate, il y a Platon, il y a Aristote, il y a Phidias. (...) Alors que derrière l’autre culture, la culture des barbus avec la tunique et le turban, qu’est-ce qu’on trouve ?... »

Eh bien, je ne sais pas, moi... Ça, par exemple... ?

Comme on le disait à l’époque, en voilà, un argument hautement « civilisé » : « Dans ma culture il y a plein de génies alors que chez toi il n’y a que des idiots, nana-nè-reu ! » Les civilisations n’ont rien à s’envier les unes aux autres, ni du point de vue des connaissances, ni de celui des valeurs. Comme écrivait le prix Nobel d’économie Amartya Sen :

« Tenter de vendre les droits de l’homme comme une contribution de l’Occident au reste du monde, n’est pas seulement historiquement superficiel et culturellement chauvin, c’est également contre-productif. Cela produit une aliénation artificielle, qui n’est pas justifiée et n’incite pas à une meilleure compréhension entre les uns et les autres. Les idées fondamentales qui sous-tendent les droits de l’homme sont apparues sous une forme ou une autre dans différentes cultures. Elles constituent des matériaux solides et positifs pour étayer l’histoire et la tradition de toute grande civilisation. »

Non seulement le discours des Val et des Fallaci témoigne d’une méconnaissance crasse des autres cultures, mais il néglige aussi le fait que, comme n’a eu de cesse de le rappeler un Edward Saïd, aucune civilisation n’a connu un développement étanche, et toutes se sont constituées par des apports mutuels incessants, rendant absolument vain ce genre de concours aux points.

Défendre la démocratie, ne serait-ce pas plutôt refuser la logique du bouc émissaire, si utile aux démagogues qui veulent la subvertir à leur profit ?

Par les temps qui courent, raisonner à partir de telles approximations, en se contentant de manier des clichés sans jamais interroger leur adéquation au réel, peut s’avérer rien moins que meurtrier. Il est stupéfiant que, dans un « débat » comme celui suscité par les caricatures danoises, tout le monde pérore en faisant complètement abstraction du contexte dans lequel il se déroule : un contexte dans lequel un certain nombre d’instances de par le monde tentent de dresser les populations les unes contre les autres en les persuadant que « ceux d’en face » veulent les anéantir. En Occident, ces instances sont celles qui tentent de faire du musulman le bouc émissaire de tous les maux de la société, la nouvelle menace permettant d’opérer une utile diversion.

Dès lors, de deux choses l’une : soit on adhère à cette vision, et alors on assume sa participation active à cette construction, avec les responsabilités que cela implique ; soit on la récuse, et on estime que la nécessité de l’enrayer - ou d’essayer de l’enrayer - commande d’observer la plus grande prudence. Laquelle prudence ne signifie pas qu’on est « mou de la bite », mais plutôt qu’on a peu de goût pour les stigmatisations déshumanisantes, sachant à quoi elles peuvent mener. Le courage ne commanderait-il pas plutôt de résister aux préjugés majoritaires, et la véritable défense de la démocratie, de refuser cette logique du bouc émissaire si utile aux démagogues qui veulent la subvertir à leur profit ? Ce qui est sûr, c’est qu’en aucun cas on ne peut se dédouaner en écrivant, comme le fait Philippe Val, que

« si la Troisième Guerre mondiale devait éclater, elle éclaterait de toute façon », et que « l’amalgame entre racisme et critique de la religion est à peu près aussi cohérent que l’était, à l’époque de Franco, l’amalgame entre critique du fascisme et racisme anti-ibérique »

Voilà vraiment ce qui s’appelle jouer au con.

En décembre dernier, toujours pour essayer de faire parler du journal, les caricaturistes de Charlie Hebdo avaient postulé par dérision à la succession de Jacques Faizant. Qu’ils se rassurent, ils ont toutes leurs chances : en matière d’ethnocentrisme rance, ils n’ont déjà plus rien à envier au défunt dessinateur du Figaro. Ils ont seulement un peu modernisé le trait...

Mona Chollet

Ce texte est paru en mars 2006 sur le site Périphéries. Sur « l’affaire des caricatures danoises », lire aussi Domenico Joze, « Quand des médias caricaturaux pérorent sur des caricatures »
"L'orgueil du savoir est pire que l'ignorance"
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3 avril 2006 00:40
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4 avril 2006 18:26
Division » de la gauche : le « double langage » de Caroline Fourest
par Cédric Housez*



L’animatrice de l’association Prochoix et journaliste à l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, Caroline Fourest, a publié aux Éditions Grasset La Tentation obscurantiste. Dans cet essai, elle poursuit son travail de dénonciation des mouvements français de gauche anti-impérialistes, coupables, d’après elle, de complaisance avec les « islamistes ». Nous avons déjà décrit dans nos colonnes comment Prochoix, par les écrits de ses principales animatrices Caroline Fourest et Fiammetta Venner, et Charlie Hebdo, essentiellement via les éditoriaux de Philippe Val, avaient élargi la définition de « l’islamisme » pour finalement y inclure la plupart des mouvements anti-impérialistes d’inspiration musulmane [1].
En diabolisant, grâce à des amalgames répétés, les organisations musulmanes, Caroline Fourest, Fiammetta Venner et Philippe Val participent à un mouvement plus large orchestré par des journalistes, des dirigeants politiques et des responsables associatifs qui veulent prévenir, pour des raisons diverses, la formation d’un vaste pôle anti-impérialiste englobant aussi bien des organisations musulmanes que des organisations contestataires. Toutefois, pour avoir une certaine efficacité, le discours diabolisant les organisations musulmanes aux yeux des mouvements contestataires doit être émis par des personnes ayant une aura prestigieuse ou disposant au moins d’une bonne audience dans ces mouvements. Or, l’image de Prochoix et de Charlie Hebdo a été mise à mal auprès de ces mouvements grâce au travail de décryptage et d’analyses critiques d’associations [2] ou de publications [3] qui se sont employés à mettre en lumière les présupposés et les distorsions de la réalité sur lesquels se fondaient les écrits des animatrices de Prochoix et le directeur de Charlie Hebdo.

La tentation obscurantiste n’apporte pas grand chose de nouveau aux lecteurs des précédents ouvrages de Caroline Fourest ou Fiammetta Venner. Dans leurs livres contre Tariq Ramadan [4], l’UOIF [5] ou Thierry Meyssan [6], elles ont toujours consacré des chapitres aux réseaux, plus ou moins fantasmés, de ces adversaires désignés. Les « liaisons dangereuses » que ce livre prétend afficher doivent beaucoup à ces chapitres. L’innovation réside dans la théorisation d’une division de la gauche française en deux pôles : un pôle « antitotalitaire » et un pôle « tiers-mondiste ». Pour l’auteur, la gauche est ainsi divisé en deux sensibilités : une « Sensibilité A (prioritairement anti-totalitaire) : Se référant au nazisme, cette sensibilité là est viscéralement attachée à la notion de liberté et traque en permanence la menace d’un nouveau danger totalitaire et/ou génocidaire. » [7] et une « Sensibilité B (prioritairement tiers-mondiste) : Se référant au colonialisme, cette sensibilité là est viscéralement attachée au droit à l’autodétermination et traque en permanence la manifestation du colonialisme et de l’impérialisme » [8].
Or, d’après C. Fourest, si la « sensibilité A » est également sensible aux questions du colonialisme, une part de la « sensibilité B » est totalement aveugle aux dérives pour les libertés que la « mouvance islamiste » ferait peser, d’après elle, sur les sociétés « occidentales ». Certaines organisations, comme le Réseau Voltaire, seraient même des « collaborateurs actifs » de « l’islamisme » [9]. Il existerait donc une gauche responsable et désireuse de soulager aussi bien la misère du monde que de protéger les libertés de chacun et une qui, par aveuglement, ouvrirait les portes de « l’Occident » à l’islamisme.

Cette distinction entre deux gauches, l’une vertueuse, l’autre aveugle ou complice, n’est pas isolée dans le champ médiatique actuel. C. Fourest n’en fait pas totalement mystère puisqu’elle présente comme une référence l’éditorial de Philippe Val de Charlie Hebdo du 31 août 2005, intitulé « Traîtres et Crétins » [10]. Elle oublie toutefois de préciser que l’argumentation de Philippe Val n’était pas isolée et que le lendemain de sa publication Bernard Henri Lévy dans Le Point et Jacques Julliard dans Le Nouvel Observateur développait une argumentation en tous points identique, reprenant l’argument opposant une gauche inspirée de Jules Guesde et une autre inspirée par Jean Jaurès [11]. Si l’auteur omet de mentionner cet élément, elle n’oublie pas en revanche de citer Bernard Henri Lévy (par ailleurs, membre éminent de la maison Grasset qui la publie) et Jean Daniel (cofondateur et directeur du Nouvel Observateur) parmi les sources intellectuelles de la « sensibilité A ». On peut donc voir dans cette distinction entre deux sensibilités de gauche, la réactivation par un petit groupe d’éditorialistes influents de la vieille division entre gauche communiste et anti-communiste, réécrit et réadapté à la mode du « Choc des civilisations ».
Par ailleurs, C. Fourest n’est pas la seule à relayer cette idée puisque Le Point du 3 novembre 2005, met côte à côte trois essais parus récemment et ayant pour point commun, selon l’hebdomadaire, de dénoncer les « alliances avec les islamistes » à gauche [12] : La Tentation obscrurantiste de Caroline Fourest, SOS Antiracisme [13] de Dominique Sopo (président de SOS Racisme dont les positions sont louées par C. Fourest dans son essai, tout comme celle de son prédécesseur Malek Boutih, aujourd’hui au Parti socialiste) et le Socialisme des Imbéciles [14] d’Alexis Lacroix. Cet article vantant les trois livres paraissait une semaine après que Le Point ait publié un grand dossier agitant « la menace islamiste » [15]

Replacé dans son contexte médiatique et éditorial, l’essai de Caroline Fourest apparaît donc comme un nouvel épisode de la stratégie visant à casser les alliances anti-impérialistes. Cela n’empêche pas l’auteur d’essayer de se donner une image de militante de gauche sincère en nuançant légèrement la tonalité agressive qui caractérisait ses ouvrages ou articles passés et en s’indignant du sort des Palestiniens souffrant de la politique d’Israël, ce qui n’est pas fréquent chez elle.

Toutefois, quel crédit à apporter à ce soudain affichage d’une préoccupation autrefois largement ignorée ? En effet, on peut se demander si Caroline Fourest ne développe pas un « double langage », tenant des propos à destination de l’opinion de gauche francophone et donnant des gages aux milieux atlantistes ou néo-conservateurs d’autre part. Alors que C. Fourest s’acharne à affirmer que Tariq Ramadan tient un « double discours » en se basant sur les textes de l’auteur et ses intentions supposées [16], il est facile de démontrer le « double discours » de Caroline Fourest en se fondant sur son dernier livre et en le comparant à ce qu’elle écrivait dans l’édition européenne du Wall Street Journal du 2 février 2005.
Dans La Tentation obscurantiste, C. Fourest déclare à propos de « l’islamisme » : « Alors que [l]es démons du nazisme et du stalinisme semblent loin, nous recevons l’écume de cette troisième vague. Celle du troisième totalitarisme en marche.[…] Youssef al-Qaradhawi croît à la possibilité de conquérir l’Europe par le prosélytisme.[…]Personnellement, je ne crois pas à ce risque. Pas en tant qu’islamisation. Les groupes intégristes musulmans sont minoritaires parmi les musulmans d’Europe. Le risque ne vient pas des Français d’origine maghrébine, ultramajoritairement laïques, mais bien de cette gauche obscurantiste prête à fournir les commissaires politiques et les petits soldats qui manquent aux intégristres. » [17]. Si le début de notre citation est alarmiste, la conclusion vient calmer l’image paranoïaque et présente l’auteur comme une militante inquiète uniquement par les dérives de la « Sensibilité B. » et non par le comportement des musulmans en Europe. Dans une tribune intitulée « The war for Eurabia » et publié dans le très néo-conservateur Wall Street Journal, le ton est tout autre : « Depuis leur tentative avortée pour prendre le pouvoir en Égypte, et plus encore depuis qu’ils ont perdu la guerre civile en Algérie, l’Europe est devenue la principale priorité : le troisième round des islamistes ». Il n’est pas question ici des doutes de l’auteur concernant le risque d’islamisation de l’Europe. Plus loin, C. Fourest précise les raisons du « danger » qu’elle croît observer : « En Europe, ils tirent avantage de la liberté d’expression et de la démocratie tout comme de l’échec des Arabes à s’intégrer. Ici, ils recrutent comme bon leur semble.[…]L’Occident est utilisé comme un formidable camp de base pour recruter de nouvelles troupes. Avec elles, les islamistes espèrent prendre leur revanche en Orient ». [18]. Ici, il n’est plus question de la résistance des Français d’origine maghrébine profondément laïques, mais d’un foyer de recrutement important et donc d’une menace, et surtout d’une menace fondamentalement exogène puisque ce sont « les Arabes » qui ne parviennent pas à s’intégrer, la question des discriminations n’est pas évoquée. L’auteur conclut sa tribune en demandant des mesures pour restreindre la liberté d’expression afin que les « islamistes » ne puissent pas utiliser les outils démocratiques pour leur « propagande ».
Étrange conclusion pour une auteur qui, en bonne représentante de la « Sensibilité A » est « viscéralement attachée à la notion de liberté ». Il est vrai qu’on ne s’adresse pas au même public quand on écrit dans Charlie Hebdo et quand on écrit dans le Wall Street Journal, dans ce dernier on peut utiliser en titre le terme « Eurabia », concept raciste inventé par la militante sioniste Bat Ye’or et censé décrire l’annexion prochaine de l’Europe par le monde islamique.

De même, que faut-il penser des propos de Caroline Fourest condamnant l’invasion de l’Irak quand Fiammetta Venner, compagne de C. Fourest et co-animatrice de Prochoix, voit la résistance irakienne comme un rassemblement de « jihadistes » et le soutien aux résistants irakiens comme une preuve d’« islamisme » ? C’est ce qu’on peut retirer d’une tribune écrite par F. Venner également dans l’édition européenne du Wall Street Journal [19].

Rappelons enfin que La Tentation obscurantiste est parue chez Grasset, maison d’édition dont le directeur littéraire est Manuel Carcassonne. M. Carcassone est membre de la French-American Foundation, organisation anciennement présidée par John Negroponte, aujourd’hui directeur du renseignement états-unien après avoir été ambassadeur états-unien à Bagdad pour contrôler l’occupation et responsable de l’organisation des escadrons de la mort en Amérique centrale dans les années 80.
M. Negroponte doit-il être lui aussi vu comme un inspirateur de la « Sensibilité A », avant toute chose « antitotalitaire » ?


Cédric Housez
Spécialiste français en communication politique, rédacteur en chef de la rubrique « Tribunes et décryptages ».
"L'orgueil du savoir est pire que l'ignorance"
a
4 avril 2006 18:34
Charlie Hebdo » et Prochoix
Vendre le « choc des civilisations » à la gauche
par Cédric Housez*

L’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo et l’association féministe Prochoix, après s’être donné une identité libertaire et avoir trouvé une audience chez les électeurs de gauche, se sont mués en relais des thèses néoconservatrices du « choc des civilisations ». Cette rapide dérive leur a permis de trouver des soutiens institutionnels et médiatiques tout en conservant une partie de leur lectorat. Ils s’emploient désormais à vendre à gauche les politiques de Washington et de Tel Aviv et à casser le mouvement anti-impérialiste.


(de gauche à droite) Caroline Fourest, Philippe Val et Fiammetta Venner
On savait déjà que les concepts, tels que la démocratie ou les libertés, peuvent être détournés de leur sens pour servir une politique impérialiste [1]. Ainsi, dans ses différents discours, George W. Bush est passé maître dans l’art de vider ces mots de leurs sens. Mais, compte tenu de la haine qu’éprouve son administration envers le concept de laïcité [2], elle répugne à utiliser ce terme pour promouvoir sa politique. Au mieux, on parlera du développement de sociétés « séculières » comme d’un des objectifs, mineurs, de la « démocratisation » du « Grand Moyen-Orient ».
En revanche, pour toute une frange de la population européenne, et notamment française, la laïcité est un élément déterminant dans l’approbation d’une politique. C’est surtout un modèle d’organisation sociale faisant barrage au « choc des civilisations » [3]. C’est pourquoi, aujourd’hui, ce concept est à son tour récupéré et perverti par les partisans européens de l’administration Bush.

Détourner le sens des mots
La laïcité est un mode d’organisation sociale où la Loi est le fruit d’un débat raisonné d’où sont exclus les convictions particulières. Ce système garantit à chacun la liberté de conscience (ce qui inclut le droit à l’apostat et au blasphème) et à tous la paix civile. Les États à se réclamer de ce modèle sont rares et la France fait figure d’exception. Toutefois, dans ce pays, le discours politico-médiatique est en train de conférer un autre sens au mot « laïcité ». L’affaire « à propos » du voile islamique en France en a été le révélateur [4].
À cette occasion, on a vu se développer un discours faisant de la laïcité non pas le garant de la coexistence entre tous les citoyens, quelle que soit leur religion, mais un moyen de fustiger une population particulière, les musulmans, et, derrière eux, les Français d’origines arabes. La classe dirigeante française refuse de partager le pouvoir économique et politique avec cette partie de la population. Fustiger l’islam est donc un moyen d’empêcher les Français ayant des parents maghrébins de s’insérer dans les plus hautes sphères. Ces attaques sont d’autant plus virulentes qu’elles s’associent au discours du « choc des civilisations » [5]. Ainsi, la « défense de la laïcité » est devenue la défense de la supposée identité judéo-chrétienne de la France [6]. Dans ce discours, les musulmans sont présentés comme intrinsèquement hostiles à la laïcité, aussi, empêcher leur affirmation politique et identitaire est présenté comme le seul moyen de défendre une laïcité dénaturée.

Pour toute une partie de la gauche européenne, le discours opposant monde judéo-chrétien et monde musulman n’a aucun sens. Pétrie d’internationalisme et de sentiments laïques, elle ne considère pas l’identité religieuse et culturelle supposée d’un espace géographique comme un argument convainquant pour justifier un affrontement. Pourtant, le détournement des mots « laïcité », ou « République » est présenté par certains médias, étiquetés « à gauche », sous une forme rendant les politiques de Washington et de Tel-Aviv acceptables. On voit en effet se développer de plus en plus un discours opposant un monde arabo-musulman supposé hostile aux Droits de l’homme, à la laïcité et aux droits des femmes et un monde occidental autoproclamé démocratique, imprégné par les Droits de l’homme et la laïcité et qui est menacé par l’islam.
Ce discours peut être vu comme une adaptation du concept de « choc des civilisations » dans un langage permettant de sensibiliser les électeurs de gauche et les mouvements contestataires à ces problématiques. En outre, en diabolisant l’islam dans son ensemble par le biais d’assimilations successives douteuses, on rend les organisations musulmanes infréquentables et on empêche la construction d’une large alliance anti-impérialiste.

Washington a montré par le passé qu’il était tout particulièrement intéressé par le contrôle des mouvements contestataires. Cette mise au pas est passée par des financements d’organisations de la mouvance altermondialiste [7], mais bien souvent, tout l’art consiste à imposer ses problématiques, son vocabulaire et à fixer les limites du débat dans les mouvements de contestation. En France, cette démarche a trouvé des alliés, volontaires ou non mais essentiels, avec le journal Charlie Hebdo et l’association Prochoix.
Charlie Hebdo est un hebdomadaire phare pour toute une partie de la gauche radicale française. Lancé en 1992 par Philippe Val, il peut s’enorgueillir d’une filiation avec Hara-Kiri et Charlie, des revues satiriques des années 60 et 70. Son rédacteur en chef, Philippe Val, est un ancien chansonnier et humoriste apprécié des milieux alternatifs. Dans les années 90, il participa à la fondation du Réseau Voltaire, dont il fut un éphémère administrateur, et d’ATTAC France. Il a progressivement pris ses distances avec les organisations contestataires même si sa revue conserve de l’influence dans ce milieu.
Prochoix est une organisation féministe fondée en novembre 1997 par Fiammetta Venner, Caroline Fourest et Moruni Turlot. À l’origine centrée sur les questions du droit des femmes et des homosexuels face aux mouvements religieux et extrémistes, l’organisation publie une revue et assure la promotion des ouvrages de Fiammetta Venner et Caroline Fourest, ses principales animatrices. Progressivement, cette revue et l’association se sont dédiées à la lutte contre « l’islamisme », notion dont elles ont étendu largement la définition jusqu’à recouvrir un grand nombre d’organisations musulmanes [8]. Fourest et Venner collaborent à Charlie Hebdo depuis 2004.

Aujourd’hui, dans Charlie Hebdo, Prochoix et dans les publications donnant la parole à Val, Fourest et Venner, on peut trouver une lecture essentialiste de l’islam qui est opposée à une vision tronquée de la laïcité, de la République et des Droits de l’homme. Dans leur vision des choses, les musulmans français veulent, par des provocations successives, saper le modèle laïque et de nombreuses organisations musulmanes françaises seraient en lien avec des mouvements islamistes et terroristes, ce qui les rend infréquentables pour les organisations de gauche.

L’émergence du « danger islamiste »
La focalisation de Charlie Hebdo sur le danger que représenterait les mouvements musulmans a commencé à la fin de l’année 2003. Auparavant, cette dimension était bien moins présente et se noyait dans une antireligiosité globale, touchant toutes les croyances.
Cependant, le 23 octobre 2002, un article avait déjà surpris les lecteurs de l’hebdomadaire. Le philosophe Robert Misrahi, contributeur régulier du périodique avait écrit un éloge du livre La Rage et l’orgueil, le pamphlet raciste anti-musulman de la journaliste italienne Oriana Fallaci. Bien que cette dernière comparait la reproduction des musulmans vivant en Europe à celle des rats, le chroniqueur affirmait : « Le livre et son auteur ont été calomniés : Oriana Fallaci n’est pas raciste. » [9] et il ajoutait : « Elle proteste aussi contre la dénégation qui a cours dans l’opinion européenne, qu’elle soit italienne ou française par exemple. On ne veut pas voir ni condamner clairement le fait que c’est l’islam qui part en croisade contre l’Occident et non pas l’inverse. On ne veut pas voir que les très nombreux attentats, partout dans le monde, relèvent à l’évidence d’une volonté unique et d’un projet commun. » [10]. Nous avions là, la présentation d’un islam (et pas seulement d’un islamisme) agressif, en guerre contre l’Occident et uni dans un projet commun aux desseins inconnus. Des propos que n’auraient pas renié un Daniel Pipes [11], pourtant réputé à l’autre extrémité du spectre politique. Dès la semaine suivante, l’hebdomadaire publiait un courrier de protestation émanant de lecteurs choqués et la réponse de la rédaction laissait entendre que certains de ses propres journalistes n’étaient pas non plus enchantés par cette chronique. Robert Misrahi ne fit bientôt plus partie de l’équipe de Charlie Hebdo et on pouvait croire qu’il ne s’agissait que d’un accident de parcours.

Tout changea à partir d’octobre 2003 et plus exactement du Forum social européen (FSE) de Saint-Denis, marqué par une polémique sur la participation des organisations musulmanes. Premier rassemblement de la sorte depuis l’invasion de l’Irak par les États-Unis, cette manifestation fut l’occasion pour les mouvements altermondialistes et musulmans de se rassembler pour amorcer le débat sur l’impérialisme. Dès l’été qui précédait cette réunion, la présence annoncée des organisations musulmanes fut dénoncée par les cercles atlantistes. La protestation se focalisa sur la possible venue de Tariq Ramadan après que celui-ci ait publié une tribune sur l’attitude communautariste de certains intellectuels juifs français dans leur défense d’Israël [12].
Dans son éditorial du 5 novembre 2003, Philippe Val prit fait et cause contre la présence de Ramadan au FSE [13]. Dès lors, sa revue s’orienta progressivement vers une dénonciation systématique du péril islamiste, multipliant les caricatures présentant les musulmans comme des barbus en djellaba, battant les femmes, antisémites et incitant aux actes kamikazes, des caricatures autrefois réservés à la presse d’extrême droite.

C’est également dans cette période que Caroline Fourest et Fiammetta Venner publièrent Tirs Croisés [14]. En quatrième de couverture, on peut lire que « Depuis le 11 septembre 2001, le monde vit dans la hantise du terrorisme musulman. Mais ce traumatisme n’a pas permis une réflexion en profondeur sur l’origine de ce terrorisme : l’intégrisme. Quand il l’a fait, le monde occidental à voulu se persuader que seul l’islam pouvait susciter de la barbarie. Ce qui a le mérite de rassurer et d’accréditer la thèse du « choc des civilisations ». (...) [Caroline Fourest et Fiammetta Venner] apportent un démenti à cette illusion en démontrant que, sur bien des points (...) le monde dont rêvent les intégristes musulmans ressemble à s’y méprendre à celui prôné par les intégristes juifs et chrétiens. ». Cette note d’intention de l’éditeur est trompeuse. En réalité, loin d’énoncer un plaidoyer pour la laïcité, Tirs croisés est construit de façon à donner l’impression au lecteur que dans tous les domaines, l’intégrisme musulman est bien plus dangereux que les intégrismes chrétiens et juifs. Ainsi, chaque chapitre est construit de façon à démontrer cette thèse et plus de la moitié de l’ouvrage est consacrée au seul intégrisme musulman. Les auteurs ne s’en cachent pas : « Il serait faux d’affirmer, que l’intégrisme musulman ne présente pas un risque accru. L’islamisme occupe effectivement la pole position chez les intégristes. Il est actuellement le mieux placé pour exercer ses diktats et terroriser ceux qui lui résistent. Mais cette force n’est pas liée à une différence de fond avec ses homologues juif et chrétien. (.) Ce surcroît de nocivité n’a rien à voir avec la religion, mais avec l’instrumentalisation de la religion. » [15], « À côté de l’intégrisme musulman, les intégrismes juifs et chrétien donnent l’impression de phénomènes marginaux plutôt folkloriques, en tous cas sans conséquences. » [16].
Si l’islamisme est le plus dangereux des intégrismes, c’est en raison de ses spécificités. Ainsi, s’il n’a pas le monopole de la violence, « Il est le seul à bénéficier d’un stock de bombes humaines » [17]. Le fait que les intégristes juifs puissent bénéficier de l’appui de Tsahal pour développer leurs colonies dans les territoires palestiniens n’est pas pris en compte, pas plus que les incantations d’un Billy Graham dont l’ONG suivait les troupes états-unienne en Irak dans le but affiché de convertir les populations « libérées ». En outre, pour les auteurs, l’islamisme profite de moyens qui le rendent plus dangereux que les autres : « Son financement, lui aussi, bénéficie d’une absence de garde-fous » [18], il est donc « susceptible d’être mis au service d’une entreprise terroriste. » [19]. Si les intégrismes juifs et chrétiens disposent de beaucoup de fonds, ils proviennent de l’économie légale et ils sont donc encadrés par des règles juridiques. Ce n’est pas le cas du financement islamiste dont l’origine est opaque et proviendrait de la criminalité internationale.
En fait, d’après les auteurs, le vrai problème de l’intégrisme musulman est qu’il est la forme extrême d’une religion qui contrairement au christianisme et au judaïsme, n’a pas connu son agiornamento, la faute à un monde arabe incapable de se réformer : « Le manque de développement de certains pays arabes et/ou musulmans est à mettre en relation avec leur incapacité au sécularisme. Ces deux phénomènes s’auto-entretiennent. » [20], « Par refus de l’hégémonie occidentale, les seuls mouvements sociaux réellement populaires ne sont pas guidés par l’esprit des Lumières mais puisent leur radicalité dans le fondamentalisme musulman, quitte à entretenir l’archaïsme et le sous-développement ayant permis à l’Occident d’asseoir son hégémonie sur l’Orient. » [21]. Et c’est ainsi qu’on glisse de la dénonciation de l’islamisme, à la dénonciation d’une civilisation dans son ensemble.

Quelques mois après la publication de ce livre, Fiammetta Venner commencera une collaboration active avec Charlie Hebdo, tandis que Caroline Fourest rédigera des piges pour l’hebdomadaire. Elles pourront alors appliquer à l’actualité le point de vue défendu dans Tirs croisés et écriront régulièrement des articles où elles dénonceront le péril qu’incarne d’après elles l’islam pour le modèle laïque français. Par la suite, elles rédigeront, séparément cette fois, deux livres, Frère Tariq [22] et OPA sur l’Islam de France [23].
Dans ces deux ouvrages, elles affinent encore leur dénonciation de l’islamisme. Se concentrant sur Tariq Ramadan et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), elles livrent une image d’un islam conquérant voulant détruire la laïcité française et faire plier la République pour imposer ses propres règles. Ainsi, dans ces deux essais (où parfois des paragraphes sont identiques à la virgule près), elles prétendent que ce sont les musulmans français qui ont relancé le débat sur le voile, espérant faire plier la République via un patient travail de sape. Retournant les faits, elles affirment que la législation sur le voile n’est pas le fruit des manipulations de Nicolas Sarkozy pour relancer cette question [24] et importer en France le « choc des civilisations », c’est une loi qui s’impose à la France une fois qu’elle a pris conscience du travail de sape des islamistes contre elle : « Au départ, 80 % des membres de la Commission Stasi sont hostiles à l’idée de légiférer, mais les auditions vont bientôt les faire changer d’avis. Pendant des semaines, les médias et l’opinion publique découvrent, ahuris, l’étendue des dégâts : des femmes refusant d’être soignées par des médecins hommes au nom de la « pudeur islamique » dans les services d’urgence, des élèves qui protestent lorsqu’on parle de Voltaire ou lorsqu’on évoque l’évolutionnisme, une élève qui demande la direction de La Mecque pour faire la prière en plein cours. » [25]. Nicolas Sarkozy gardera mauvaise presse auprès des deux auteurs, non pas pour avoir relancé le débat, mais pour s’être montré trop complaisant à leur goût avec « l’islamisme ».

Cette présentation des évènements sera bien évidemment reprise dans Charlie Hebdo qui ne manquera pas une occasion de montrer des « barbus » forçant les femmes à porter le voile et s’attaquant aux lois de la République. C’est la thèse que Philippe Val défendra dans ses éditoriaux : « En gros, le voile, c’est juste un outil stratégique pour, en rabaissant les femmes, combattre l’égalité à l’école de la République. » [26].
À cette vision de l’islam en France s’ajoute bien sûr une image du terrorisme forcément musulman, qui sera dénoncée à longueur de colonne par Fiammetta Venner, Philippe Val et une partie de la rédaction de l’hebdomadaire. Cette nouvelle orientation sera l’une des raisons affichées par le sociologue Philippe Corcuff lorsqu’il quittera le journal satirique : « Charlie Hebdo s’est directement mis à la fabrication de « complots », avec les articles de Fiammetta Venner sur l’islam. Recourant à des amalgames répétés entre l’islam comme religion, les différents courants de l’islam politique, l’intégrisme et le terrorisme, Charlie Hebdo - hormis quelques courageux résistants de la nuance et de la complication - s’est alors inscrit dans une croisade de la Civilisation (« européenne ») contre la Barbarie (« musulmane ») » [27].

Lutter contre la politique arabe de la France
Compte tenu de cette image du monde musulman, Charlie Hebdo va se lancer dans des attaques régulières contre la politique arabe de la France. Pour Fiammetta Venner, elle est dictée par la population musulmane française. Elle accuse même à mots couverts la population française d’origine maghrébine d’avoir contribué à faire battre Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle de 2002 pour lui faire payer la remise en cause de cette politique : « Le 5 mai 2002, Jacques Chirac est réélu président de la République avec plus de 82 % des voix. (...) Le soir même, sur la place de la République, des dizaines de milliers de Français viennent exprimer leur soulagement et leur joie devant la tribune de Chirac. Beaucoup sont d’origine maghrébine. Les caméras immortalisent cette adhésion au candidat de la droite. Un homme connu pour sa politique étrangère pro-arabe, tandis que son adversaire socialiste Lionel Jospin avait reçu des pierres en Palestine pour y avoir qualifié le Hamas [28] de mouvement terroriste. » [29].

Puisque le monde arabe est peuplé de théocrates et de terroristes et qu’il est ataviquement antisémite, la France ne ferait que se déshonorer en ayant des rapports cordiaux envers les pays qui le composent et les groupes religieux musulmans. Cette lecture de la diplomatie française sera particulièrement développée dans les articles consacrés aux prises d’otage de journalistes français en Irak.
Pour commencer, il ne fait aucun doute à Charlie Hebdo que ces prises d’otages sont toutes le fait des islamistes [30], bien souvent assimilés à la résistance irakienne. Ainsi, durant toute la captivité du reporter de Libération, Florence Aubenas, la Une de Charlie sera ornée de dessins rappelant la captivité de la journaliste et mettant la plupart du temps en scène la figure caricaturale de l’islamiste (barbe, djellaba, couteau ou ceinture d’explosif, sourire vicieux, mouche l’entourant parfois). Dans ces affaires, Charlie ne cessera de s’interroger sur le rôle des organisations de musulmans français et sur les contacts que la France devait prendre pour faire libérer les journalistes.
Philippe Val s’inquiètera de la mobilisation des groupes musulmans en faveur de la libération des otages : « Il est pour le moins curieux que les « autorités de l’islam » les plus radicales appellent à la libération des otages français. (...) Tariq Ramadan, évidemment, saute sur l’occasion pour intervenir afin qu’on lui soit enfin redevable de quelque chose. Les mollahs iraniens, le Hamas, le Hezbollah, l’Union des organisations islamiques de France, des théoriciens intégristes comme le très influent al-Qaradâwi, très populaire chez les Frères musulmans et animateur d’une émission sur Al-Jezira, les salafistes du Conseil pour la prédication, leur chef, Mehdi al-Soumeidàï, un des dirigeants du mouvement fondamentaliste sunnite, Fakri al-Qaïssi, tous agissent, envoient des émissaires, déploient une intense activité secrète pour tenter de sauver les deux journalistes français. Tous ces gens n’ont jamais levé le petit doigt lors des autres enlèvements. » [31] . La liste de ces dirigeants et la façon de les présenter et de les assimiler bien qu’il s’agisse parfois de mouvements opposés ressemble fortement aux articles et aux ouvrages de Fiammetta Venner et Caroline Fourest. En conclusion Philippe Val s’interroge : « Que les plus farouches défenseurs de la charia, pourtant d’obédiences et de tendances différentes, dont certains sont les inspirateurs d’attentats kamikazes qu’ils n’ont jamais désavoués, soient aujourd’hui tous d’accord pour condamner cette prise d’otages est pour le moins matière à réflexion... » [32]. Pour le rédacteur en chef de l’hebdomadaire satirique, le fait que des preneurs d’otages se présentant comme musulmans refusent les demandes de libération de toutes les autorités musulmanes, aussi diverses soient-elles, n’est pas surprenant ou ne mérite pas qu’on se pose des questions. Ce qui est inquiétant, c’est ce que les groupes se mobilisant pour la libération des otages exigeront en échange. Ce qui compte, c’est ce que la France risque d’avoir à accepter en échange de cette aide : les musulmans sont forcément coupables, ceux qui ne le sont pas sont complices ou profitent de la situation pour tirer un gain politique de la situation.

Après la libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, la diplomatie française ne trouvera pas davantage grâce aux yeux de Charlie Hebdo et de son rédacteur en chef. Une fois bien vite expédiée la joie de revoir les journalistes français en vie, c’est l’inquiétude sur les engagements que la France aurait pu prendre dans cette affaire qui reprend le dessus : « Pourquoi une rançon serait-elle plus déshonorante qu’on ne sait quelle tractation secrète qui fera de la France la complice d’on ne sait quelle armée islamique d’on ne sait où ? Qui sont ces gens séduits par la politique arabe de la France ? Ceux qui tuent comme ils respirent ? » [33]. Il appelle donc les Français à se méfier du discours officiel de leur État : « Comme si Chirac et Raffarin n’avaient qu’une hâte : que toute la France souffre du syndrome de Stockholm, et se mette à rendre grâce parce qu’il existe des terroristes islamiques attachants au point de libérer nos journalistes et d’apprécier notre politique étrangère. ». Ainsi, peu importe la libération des otages et peu importent les zones d’ombres entourant leur enlèvement, la seule leçon à retenir est que la France ne doit pas entretenir de liens avec ceux que les cercles atlantistes présentent comme des terroristes ou leurs alliés. Le rédacteur en chef ira encore plus loin la semaine suivante dans un article censé analyser la vision de l’enlèvement d’Ingrid Bétancourt par la mouvance altermondialiste. Énumérant ce qui ferait la distinction entre les enlèvements de la sénatrice franco-colombienne et celui des deux journalistes français aux yeux de ceux qu’il entend stigmatiser, il en profite pour dénoncer l’antisémitisme, intrinsèque selon lui, des pays arabes : « [Christian Chesnot et George Malbrunot] ont été enlevés par des terroristes islamiques qui adorent égorger les Occidentaux, sauf les Français, parce que la politique arabe de la France a des racines profondes qui s’enfoncent jusqu’au régime de Vichy, dont la politique antijuive était déjà, par défaut, une politique arabe. » [34]. La politique arabe de la France serait donc fondée sur une vieille tradition antisémite. Pire encore, par cette politique la France collaborerait de facto à ce que les États-Unis et leur relais de diplomatie publique présentent comme la plus grande menace pour notre époque : l’acquisition par des terroristes d’armes de destruction massive : « grâce à l’Iran, qui nous doit sa technologie nucléaire, grâce à l’Irak, qui nous doit la même chose, et grâce à un paquet d’autres pays arabes auxquels nous avons fourni tout le matériel de guerre nécessaire pour avancer vers la démocratie, nous avons des amis un peu partout où les réseaux Ben Laden sont en train de prospecter afin d’ouvrir de nouvelles stations service. » [35].

On le voit, l’analyse par Charlie Hebdo de la politique arabe de la France se fonde à la fois sur une vision péjorative du monde arabo-musulman et sur les orientations de politique étrangère de l’administration Bush. Il n’y a rien d’étrange là-dedans puisque Philippe Val s’était déjà fait un propagandiste zélé de l’OTAN lors de la Guerre du Kosovo. Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que les politiques impérialistes de Washington et de Tel-Aviv soient jugées de façon ambiguë dans le colonnes de l’hebdomadaire et par Prochoix.

Les ennemis de mes ennemis sont mes amis
Tout d’abord, une précision s’impose. Je n’affirme pas que les responsables de Charlie Hebdo ou de Prochoix ont écrit des articles faisant explicitement l’apologie de la politique d’Ariel Sharon ou de George W. Bush. Ces deux dirigeants sont des repoussoirs pour les opinions occidentales et les dessinateurs de Charlie Hebdo ont souvent réalisé des dessins très mordants contre eux. Notons également que l’hebdomadaire satirique comprend en son sein quelques rédacteurs résolument anti-sionistes [36]. Toutefois, on peut noter que bien souvent, s’ils ne sont pas applaudis, et parfois condamnés, ces deux dirigeants sont excusés, ignorés ou voient leurs grands axes de propagandes adoptés. Ainsi, on ne trouve pas dans les éditoriaux de Charlie Hebdo la même violence quand il s’agit de dénoncer les crimes de la Coalition en Irak ou ceux de Tsahal dans les territoires palestiniens que quand il est question du « péril islamiste » ou de la diplomatie française en direction du monde musulman. Même chose du côté de Prochoix qui consacre bien plus d’articles à stigmatiser l’antisémitisme des islamistes palestiniens [37] que le racisme d’État en Israël.

Les rédacteurs de Charlie fidèles à Philippe Val, Fiammetta Venner et Caroline Fourest intègrent régulièrement dans leurs analyses les principaux éléments de la propagande sioniste. Il ressort de leurs articles que le problème régional central est l’absence d’un partenaire arabe avec qui faire la paix. Cette orientation est également une des raisons invoquées par Philippe Corcuff pour justifier son départ de Charlie Hebdo [38].
Ainsi, pour les fondatrices de Prochoix, les dirigeants des pays Arabes instrumentalisent Israël pour se maintenir au pouvoir ou pour ne pas réformer leurs régimes et s’ouvrir à la modernité : « Pour la majorité des peuples du Machrek et du Maghreb, le fait qu’Israël occupe des territoires en Palestine sert aussi souvent de prétexte pour reporter l’aggiornamento de l’islam à plus tard. C’est en tout cas, l’argument avancé par certains gouvernements dictatoriaux pour refuser la démocratisation de leur pays. » [39]. Suivant cette logique, les pays arabes n’ont aucun intérêt à faire la paix avec Israël ; raison pour laquelle ils encouragent le terrorisme palestinien, en accord avec l’Autorité palestinienne : « le gouvernement israélien peut se vanter de désamorcer les bombes (des intégristes juifs) avant qu’elles n’explosent (...) les États arabes et l’Autorité palestinienne ne font pas preuve de la même détermination pour dissuader leurs concitoyens de se transformer en bombes humaines. » [40]. Outre son incapacité à empêcher les attentats, l’Autorité palestinienne est accusée de complicité dans l’organisation des attentats : « À force d’élever des générations entières dans le culte du martyre que ce soit à l’école, en famille ou lors des enterrements tout en promettant sans cesse une vie de rêve après la mort, l’Autorité palestinienne se trouve de plus en plus confrontée à des phénomènes suicidaires chez les enfants. » [41].
Cette dénonciation de l’Autorité palestinienne se retrouve chez Philippe Val qui fustigera l’attitude de Yasser Arafat à plusieurs reprises et ce, même avant le grand tournant anti-musulman de sa revue à la fin de l’année 2003 : « Aujourd’hui, la totalité de la presse et des médias français soutient Arafat, un peu comme on a soutenu José Bové (…) Sharon et Arafat sont deux rouages complémentaires de la machine qui fabrique la peur sur laquelle se fonde la servitude volontaire des peuples. Si Sharon est coupable de se laisser entraîner à l’irréparable, Arafat est coupable d’avoir voulu et prémédité cette stratégie. » [42]. Notons que dans cet extrait, si Sharon et Arafat sont renvoyés dos-à-dos, c’est bien le Palestinien qui est jugé responsable de la situation. Le Premier ministre israélien n’a que le tort de mal réagir. Fourest et Venner n’hésitent pas pour leur part à présenter les Palestiniens comme les responsables du lancement de la seconde Intifada [43]. Ce faisant, elles oublient que les premières violences palestiniennes lors de cette seconde Intifada sont une réaction à une provocation d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées.
Enfin, de façon classique, la critique d’Israël est souvent assimilée à de l’antisémitisme chez ces auteurs. À titre d’exemple, signalons que Philippe Val n’avait pas supporté qu’un sondage commandé par la Commission européenne établisse que 59 % des citoyens de l’Union européenne estimaient qu’Israël était une menace pour la paix dans le monde [44]. Et reprenant un des pires axes de la propagande sioniste, il accuse les critiques de la politique coloniale israélienne de crypto-négationisme : « Nous arrivons au temps absurde où l’émotion suscitée par une attaque - condamnable - de l’armée israélienne dans une zone palestinienne permet d’ignorer la mémoire des victimes des nazis » [45]. Le rédacteur en chef de Charlie Hebdo se gardera bien de citer le moindre propos pouvant démontrer son point de vue, mais qu’importe.

D’une manière générale, comme on considère que le principal danger au niveau international est l’islam, toute politique ayant comme but affiché de combattre le terrorisme islamique trouve des circonstances atténuantes. C’est le cas de celle du président Ben Ali pour les animatrices de Prochoix. Contrairement à d’autres État, la Tunisie ne sera pas présentée par les auteurs comme une dictature, mais comme une « démocratie officielle tenue d’une main de fer par l’armée » [46]. En réalité, en Tunisie, l’armée n’a pas un rôle essentiel et le pouvoir s’appuie bien plus sur la police. Mais cette situation politique n’est-elle pas une nécessité puisque : « les mouvements islamistes menacent toujours un processus timide de modernisation » [47] ? Cela conduit Caroline Fourest et Fiammetta Venner à condamner Reporter Sans Frontière coupable d’avoir fait campagne pour la libération de Mohamed El Hachmi, journaliste tunisien condamné pour délit d’opinion, et qu’elles accusent, comme le régime de Tunis, de faire l’apologie de la charia. Toutefois, bien que les auteurs soient devenues proches d’Antoine Sfeir [48], elles ne vont pas aussi loin que ce dernier qui présente la Tunisie comme un modèle de processus de démocratisation pour le monde arabe [49].

Compte tenu de l’adversaire, même le crime que représente l’occupation de l’Irak doit être relativisé. Toujours à propos de l’enlèvement de Christian Chesnot et George Malbrunot, Philippe Val s’était emporté contre ce qu’il considérait comme de l’ingratitude française vis-à-vis des forces de la Coalition qui avaient bien dû jouer un rôle dans cette libération : « Pas un mot non plus sur les Américains et les Anglais qui, pourtant, occupent l’Irak. On est allés là-bas, on a négocié, on a fait aller et venir des colonnes de bagnoles, atterrir et décoller des avions, mais les Américains n’y sont pour rien et n’ont rien vu ? » [50]. En fait, ce qui est surtout inquiétant pour Philippe Val, c’est que l’Occident puisse se diviser face à la menace islamique. Qu’importent les crimes de la Coalition ou les exactions menées au nom de la guerre au terrorisme, il est essentiel que l’Europe reste l’allié des États-Unis. Ainsi, après que, dans une cassette attribuée à Oussama Ben Laden, une voix ait déclaré qu’il offrait une « trêve » aux États promettant de cesser d’attaquer des musulmans, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo s’était insurgé : « Il s’adresse d’abord aux populations européennes qu’il méprise. En misant sur leur pleutrerie, il veut les convaincre de se doter de gouvernements qui resteront passifs pendant qu’il assassine, par exemple, des Américains. Après, il s’occupera de nous, mais ça, il ne le dit pas, il espère que le con moyen préférera croire le contraire, préférera faire semblant de croire le contraire, en attendant son tour. » [51]. Ainsi, si l’Europe n’élit pas des gouvernements qui s’associent à la guerre au terrorisme de Washington, elle fera preuve de « pleutrerie ». On est là dans la même logique que les faucons qui dénonçaient la victoire du Parti socialiste espagnol lors des élections qui ont suivi les attentats de Madrid du 11 mars 2004.
Charlie Hebdo dénonce comme des déserteurs les Européens qui auraient l’outrecuidance de refuser de voir les questions géopolitiques au travers du prisme de Washington. Autrefois journal libertaire, l’hebdomadaire en vient même à exiger une politique de contrôle aux frontières plus stricte pour combattre le terrorisme. Ainsi, sous le titre, tout en finesse et en retenue, « Barnier a-t-il fait entrer Ben Laden en France ? » [52], le journaliste de Charlie Olivier Boulens s’insurgeait contre l’entrée sur le territoire français de 6000 pèlerins revenant de La Mecque sans que les contrôles n’aient été suffisants selon lui à l’aéroport de Riyadh : « En plein plan Vigipirate, et alors que la France déconseille à ses ressortissants tout séjour chez les wahhabites en raison d’un « risque élevé d’attentat terroriste », le gouvernement n’a pas jugé bon de demander plus de garanties sur ces avions, qui ont donc pu atterrir en France en dépit des règles de sécurité en vigueur. Sans doute Paris a-t-il considéré que les passagers étaient protégés par leurs gourdes d’eau sainte de Zemzem... ». Comme le danger est énorme, les moyens pour le combattre doivent être importants et tant pis si cela va à l’encontre des libertés publiques. C’est pourquoi, de son côté, Caroline Fourest dénonce l’attitude de la Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH) quand cette dernière s’est inquiétée des procédures antiterroristes utilisées par le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière [53], pourtant extrêmement contestables : « La FIDH se bat depuis des années pour faire dissoudre la 14e section antiterroriste de Paris du juge Bruguière, qu’elle dénonce comme « une machine à fabriquer des " coupables " musulmans en faisant peser sur eux une présomption de terrorisme » ! À noter, il ne s’agit pas de dénoncer certaines bavures, mais d’accuser la lutte contre le terrorisme dans son ensemble d’être une immense chasse au faciès... Des propos édités après le 11 septembre. » [54].
Il ne s’agit là que d’une des attaques contre la FIDH ou la Ligue des Droits de l’homme contenues dans Frère Tariq. Ces deux organisations sont accusées de faire trop de cas des atteintes aux droits des populations d’origine arabe, un combat obsolète depuis le 11 septembre 2001 d’après l’auteur.

La FIDH n’est pas la seule à avoir subit les foudres des fondatrices de Prochoix ou des articles de Charlie Hebdo. S’associer avec des organisations musulmanes ou contester les politiques impérialistes de l’administration Bush qui se cachent derrière la guerre au terrorisme, c’est prendre le risque d’être présenté comme un ennemi, un « islamo-gauchiste », un « rouge-brun » ou autre épithète délégitimant.


Les amis de mes ennemis sont mes ennemis
En partant des terroristes islamistes, Prochoix et Charlie Hebdo en sont venus à présenter tous les islamistes comme des personnes incroyablement dangereuses, puis tous les musulmans anti-impérialistes comme des complices de ce mouvement intégriste hypertrophié. Cette méthode d’accusation par assimilations successives fonctionne également avec les groupes non musulmans contestant les politiques atlantistes et sionistes qui s’associent à des groupes musulmans. La diabolisation successive de ces organisations permet ainsi de brocarder n’importe quel adversaire politique sans avoir même à tenir compte de ses arguments ou de son discours. Une technique que le Réseau Voltaire connaît d’autant mieux que nous en avons fait les frais.
Compte tenu de notre vision de la politique internationale et des grands enjeux géopolitiques à venir, il était évident que le Réseau Voltaire ne pouvait devenir qu’une bête noire de Prochoix et Charlie Hebdo. Le livre L’Effroyable Imposture avait en effet le tort de « [dédouaner] en partie les islamistes puisque selon lui aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone et que la liste des kamikazes embarqués à bord de l’avion aurait été rajouté a posteriori par le FBI (…) on en sort avec le sentiment que le gouvernement américain est extrêmement manipulateur et finalement presque plus dangereux que l’islamisme » [55]. Philippe Val ira plus loin encore lors d’un débat sur la chaîne Arte le 13 avril 2004 puisqu’il présentera ceux remettant en cause la version officielle du 11 septembre comme des « criminels » comparables aux négationnistes [56].
Remettre en perspective le « péril islamiste » et démonter le discours dominant sur les attentats du 11 septembre et les politiques que ce crime a permis de justifier faisait de nous un ennemi à abattre. Le Réseau Voltaire et son président, Thierry Meyssan, ont donc eu droit à un traitement de choix : accusation de négationnisme, de paranoïa et d’antisémitisme au travers de caricatures ou de multiples articles, trop long à recenser, et même rédaction d’un livre visant à traîner Thierry Meyssan dans la boue en livrant une lecture romancée de sa biographie [57]. Toutefois, il me semble intéressant de surtout analyser les accusations concernant les sympathies islamistes qu’aurait le Réseau Voltaire, car ces attaques sont révélatrices du fonctionnement de la méthode par assimilations successives utilisée par Prochoix et Charlie Hebdo.

Mohamed Bechari est un élu du Conseil français du culte musulman. Lors de la prise d’otage de Christian Chesnot et George Malbrunot, il a mené une tournée dans le monde arabo-musulman afin d’obtenir le plus d’engagements possibles de dirigeants musulmans en faveur de la libération des journalistes français. Au cours de cette tournée, M. Béchari a rencontré le dirigeant du Front islamique du salut algérien, en exil au Qatar, Abassi Madani. Celui-ci avait entamé une grève de la faim en solidarité avec les otages français et à cette occasion, M. Bechari l’embrassa sur le front, acte qui fut pris en photo et qui fut condamné par Caroline Fourest dans Frère Tariq [58] et par Philippe Val dans Charlie Hebdo. Progressivement, le contexte de cette photo fut oublié et M. Béchari ne fut plus présenté dans les publications de Fourest et Venner et dans Charlie que comme l’homme qui avait embrassé Abassi Madani. Au point que quand Voltaire publia une tribune de M. Bechari, Prochoix put y voir une preuve des sympathies islamistes du Réseau Voltaire : « Mohamed Béchari, président de la Fédération nationale des musulmans de France, vient de publier une tribune dans le journal Voltaire dirigé par Thierry Meyssan, l’homme pour qui aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone. En 2004, Mohamed Béchari avait défrayé la chronique en se faisant photographier en train d’embrasser le leader du FIS, Abassi Madani. » [59]. Comme Abassi Madani est un islamiste, M. Bechari est nécessairement un islamiste et Voltaire une publication pro-islamiste. CQFD. Seule ombre au tableau dans ce raisonnement, M. Béchari a signé dans Voltaire une tribune en faveur de la laïcité qu’il présente comme la vraie fondation culturelle de l’Europe [60].
Ainsi, sans tenir compte des propos tenus, Prochoix et Charlie Hebdo se sont construit une liste de personnes infréquentables dont la simple participation à un projet permet de décrédibiliser le projet dans son ensemble. Parmi eux, on compte le Réseau Voltaire, Tariq Ramadan, les membres de l’UOIF, de la FNMF, les participants au site Oumma.Com et bien d’autres [61]. Cette absurde méthode d’analyse aboutit parfois à des dénonciations risibles puisque le journaliste du site sioniste Proche-Orient.Info, Sylvain Attal, a été récemment inscrit sur une liste de personnes condamnables selon Prochoix pour avoir participé au site Oumma.Com alors qu’il n’y avait publié qu’un droit de réponse [62].

Toutefois, ces pratiques visent avant tout les mouvements altermondialistes qui se rapprochent d’organisations musulmanes en vue de construire une coalition anti-impérialiste. Des personnalités de la mouvance altermondialiste seront ainsi brocardées pour avoir débattu avec les figures préalablement diabolisées par les animatrices de Prochoix ou dans les colonnes de Charlie. Comme ces organisations ne peuvent pas être stigmatisées pour leur islamisme, elles le sont pour leur naïveté ou pour leur antisémitisme. À nouveau Philippe Val utilise l’image d’une mouvance islamiste étendue, manipulatrice et travaillant à un objectif secret bernant les gogos altermondialistes : « Les intellectuels [islamistes] analysent fort bien le phénomène de perte de mémoire de la société occidentale et la disparition prochaine des mémoires vivantes de la période nazie. Ils sentent que leur heure est venue. Qu’enfin ils vont peut-être arriver, avec l’islam, à fédérer un ressentiment qui travaille tout le tiers-monde, et tous ceux qui, dans les sociétés occidentales, se sentent exclus. Les pitres altermondialistes (…) font penser à ceux qui buvaient les paroles de l’ayatollah Khomeyni en exil à Neauphle-le-Château. ». [63]. Mais s’il dénonce une bonne part de crédulité chez les altermondialistes, le ciment de l’alliance entre les organisations musulmanes et les mouvements contestataires, c’est l’antisémitisme, un point de vue également partagé par Prochoix. Ainsi, à propos de la conférence de l’ONU à Durban, elles affirment : « Organisée en principe sur le thème du racisme, la Conférence mondiale de Durban d’août 2001 restera gravée comme un moment où certains militants d’extrême gauche se sont rapprochés des islamistes au nom de la lutte contre l’américano-sionisme. Lors du discours de Fidel Castro, au forum des ONG, certains activistes ont clairement entendu fuser quelques " Kill Jews " à la suite de " Free Palestine". » [64].

Cette tactique de diabolisation a parfois bien fonctionné. Ainsi, d’après le site TouTEsEgaux.net [65], de nombreux militants auraient renoncé à participer à la grande manifestation antiraciste du 7 novembre 2004 au vu d’une mise en garde de Philippe Val trois jours auparavant affirmant que « Ceux qui défileront dimanche, qu’ils le veuillent ou non, marcheront pour une défense des communautés, de leurs mœurs, de leurs coutumes, de leurs croyances. Ceux qui refuseront de défiler resteront chez eux parce qu’ils défendent un statut humain universel » [66]. La manifestation était pourtant lancée à l’appel de la LDH, du MRAP [67], de la CFDT, de la CFTC, de la CGT, de l’UNSA, de la FSU, de G10 Solidaires, de la Fédération des conseils de parents d’élèves, et de la Ligue de l’enseignement. Seuls la LICRA et SOS Racisme s’étaient désolidarisés. Pour Philippe Val, participer à cette manifestation contre toutes les formes de discrimination revenait à prendre la « défense de la liberté d’exhiber des signes communautaires, et principalement le voile - puisqu’il faut l’appeler par son nom -, [c’] est en réalité la défense à la fois d’une oppression de la femme et l’importation d’une vision ethnique du conflit israélopalestinien. » [68].
Militer en faveur des droits des musulmans et contre la discrimination à leur encontre, ce serait oublier que le vrai problème est l’antisémitisme et donc se montrer complice des islamistes qui le propagent : « Le fait qu’un antisémitisme musulman qui s’exprime en Europe soit en train de fusionner avec un vieil antisémitisme européen est un phénomène qui nous prend par surprise, contre lequel nos contrepoisons habituels - associations antiracistes diverses - sont désarmés au point d’être en voie d’implosion. Une des conséquences en est le désir de certains Juifs de quitter l’Europe. Si le phénomène prenait de l’ampleur. » [69].

Si les accusations d’antisémitisme ne suffisent pas, il est toujours possible de faire dans la désinformation pure et simple. Par exemple en donnant foi à des rumeurs sur un possible sur-déploiements d’islamistes au Forum social européen (FSE) de Londres. C’est ce qu’a fait Fiammetta Venner à propos d’une hypothétique visite de Youssef al-Qaradhawi dans un article intitulé « FSE : un autre jihad est possible » [70]. S’appuyant sur cette rumeur, la journaliste prophétisait le prochain noyautage total du mouvement altermondialiste par les islamistes : « Au milieu de cette avalanche de débats organisés en partenariat avec des islamistes au FSE de Londres s’est glissé un colloque intitulé : « Le mouvement islamique : partenaire ou ennemi ? ». Au train où vont les choses, on imagine déjà l’interrogation autour du prochain FSE : « Le mouvement laïque : ennemi ou ennemi ? » ». Cet article sera vivement contesté par la mouvance altermondialiste et Charlie Hebdo sera obligé de se justifier difficilement [71].

Cette affaire n’est pas en soit plus grave que toutes les autres campagnes de calomnies auxquelles se sont livrés Prochoix et Charlie Hebdo mais elle fut révélatrice d’une tendance nouvelle. Quand Charlie Hebdo a été mis sur la sellette, il a reçu le soutien d’une partie de la presse mainstream, une aide sur laquelle il n’aurait sûrement pas pu compter quelques années auparavant.

La légitimité dans le « milieu de l’information »
Lors de la mise en cause de Charlie et de Fiammetta Venner pour l’article sur le FSE de Londres, le journal et l’auteur ont pu s’appuyer sur Claude Askolovitch, figure du Nouvel Observateur et soutien sans faille des responsables de Prochoix depuis la sortie de Tirs croisés. Invité en même temps que Philippe Val dans l’émission de France Culture, Le Premier pouvoir, le 2 octobre 2004, il félicitera le rédacteur en chef de l’hebdomadaire satirique pour l’excellente enquête réalisée par Fiammetta Venner. Le 21 octobre 2004, il signe dans son hebdomadaire un article intitulé « Les gauchistes d’Allah » où, comme Fiammetta Venner, il dénonce l’influence de l’islamisme dans la mouvance altermondialiste. Il fustige également la présence de Tariq Ramadan lors de cette manifestation en citant Frère Tariq de Caroline Fourest, qui vient alors de sortir en librairie. Ce n’est que justice, son propre article « L’encombrant M. Ramadan » [72], écrit l’année précédente à l’occasion du FSE de Saint-Denis est cité plusieurs fois en référence dans l’ouvrage.

Claude Askolovitch n’a pas attendu Philippe Val, Caroline Fourest et Fiammetta Venner pour dénoncer le « péril islamiste » et « l’antisémitisme » à gauche. Le journaliste avait auparavant dénoncé « l’antisémitisme » supposé du chercheur Pascal Boniface après que celui-ci ait quitté la direction du Parti socialiste français, après avoir, sans succès, recommandé à ce parti de prendre ses distances avec la politique d’Israël. Par la suite, il avait dénoncé « l’antisémitisme » de Bernard Langlois, fondateur du magazine Politis, dans le Nouvel Observateur du 14 août 2003, après que celui-ci ait pris la défense de Boniface [73].
Il imputait cette dérive antisémite au rapprochement de la mouvance altermondialiste avec les organisations musulmanes [74]. Cette thématique de l’infiltration islamiste sera reprise et amplifiée à partir d’octobre 2003 et de la venue de Tariq Ramadan au FSE de Saint-Denis [75].
La sortie de Tirs croisés arrivera à point nommé dans cette campagne et Claude Askolovitch multipliera les références aux deux auteurs dans ses articles. Le 7 janvier 2004, il consacre à Fourest et Venner une interview sur deux pages dans le Nouvel Observateur, le 22 février 2004, il s’appuie sur leur travail pour fustiger « l’islamo-gauchisme » et les présente comme l’archétype de cette gauche laïque qui combat l’infiltration islamiste et le 27 mai 2004, il brosse un portrait élogieux des deux animatrices de Prochoix.

Toutefois, si Claude Askolovitch est un soutien médiatique fort des deux auteurs, il n’est pas le seul. La réorientation des problématiques de Prochoix a donné à Caroline Fourest et Fiammetta Venner une aura qu’elle ne pouvait pas espérer auparavant [76]. Philippe Val a lui aussi bénéficié de la réorientation de la ligne de son hebdomadaire. Il est désormais régulièrement invité sur les plateaux de télévision pour pourfendre la « menace islamiste » et servir d’alibi de gauche à la condamnation des mouvements contestataires. Choses impensables il y a quelques années, Philippe Val voyait ses propos applaudis par l’ancien Premier ministre Raymond Barre lors d’un débat télévisé [77] et son argumentation en faveur du référendum sur le Traité constitutionnel européen repris par Bernard Henri Lévy dans son Bloc Note du Point [78]. Une reconnaissance que le rédacteur en chef de Charlie Hebdo désirait ardemment puisqu’en février 2005, il déclarait au magazine TOC : « La seconde chose que j’ai essayé de faire, c’est de légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui j’entretiens des rapports cordiaux. Le vrai danger pour un journal, c’est d’être marginal. On peut avoir de grosses ventes et être marginal. À l’inverse, un journal peut faire très peu de ventes et être important. Il faut accepter d’être minoritaire et refuser d’être marginal. Évidemment, il ne faut être minoritaire qu’un temps, sinon le marché vous tue. ».

Comme ce nouvel écho médiatique le montre, Charlie Hebdo et Prochoix, sont aujourd’hui devenus les vecteurs au sein des mouvements contestataires des préjugés et des orientations géopolitiques des médias dominants, eux-mêmes largement influencés par les problématiques de Washington. Leurs articles et ouvrages servent à dissuader les mouvements contestataires de s’associer aux mouvements musulmans et de former une coalition opposée aux politiques atlantistes et sionistes. Les évolutions géopolitiques des dix dernières années ont entraîné une réorientation d’une partie de la gauche française. Ne pas s’en rendre compte et conserver ces groupes comme référence ne fait que retarder la constitution d’un pôle anti-impérialiste.


Cédric Housez



Modifié 1 fois. Dernière modification le 04/04/06 18:35 par rifton75.
"L'orgueil du savoir est pire que l'ignorance"
a
4 avril 2006 20:36
les extremes ne sont jamais bon
l
4 avril 2006 22:36
tout ça, c'est de la propagande. le but est de combattre la gauche qui ne lachera jamais rien sur la laicité. sarko, par contre a promis de revisiter la loi.
mafiez de ceux qui semblent vous vouloir du bien.
I
5 avril 2006 11:57
Citation
l'européen a écrit:
tout ça, c'est de la propagande. le but est de combattre la gauche qui ne lachera jamais rien sur la laicité. sarko, par contre a promis de revisiter la loi.
mafiez de ceux qui semblent vous vouloir du bien.

Val ou Sarko, c'est bonnet blanc et blanc bonnet...
l
5 avril 2006 12:45
et fabius et le pen, c'est pareil aussi?
I
5 avril 2006 12:46
Citation
l'européen a écrit:
et fabius et le pen, c'est pareil aussi?

Qui te parle de Fabius et le Pen? LE MONSIEUR TE PARLE DE VAL ET DE SARKO, CAPICHE?
l
5 avril 2006 12:49
si tu ne fais pas la difference entre val et sarko, c'est aue tu la fais pas avec les autres.
ignorance? manque de reflexion? j'en sais rien.
I
5 avril 2006 12:50
Citation
l'européen a écrit:
si tu ne fais pas la difference entre val et sarko, c'est aue tu la fais pas avec les autres.
ignorance? manque de reflexion? j'en sais rien.

Merci de m'apprendre, bwana. Je t'écoute.
i
5 avril 2006 13:43
ca m'etonne de Charlie hebdo.
Je crois juste qu'ils tirent de tous feux sur toutes les intolerances, y compris celles des arabes, parmis lesquelles il y a des cons comme partout ailleur.

C'est quoi ces gens qui paniquent dés qu'ils sont caricaturés ? pour des musulmans pur jus, vous me faites marrez, une petite critique et la foi est ebranlée ?
I
5 avril 2006 14:56
Citation
icare99 a écrit:
ca m'etonne de Charlie hebdo.
Je crois juste qu'ils tirent de tous feux sur toutes les intolerances, y compris celles des arabes, parmis lesquelles il y a des cons comme partout ailleur.

C'est quoi ces gens qui paniquent dés qu'ils sont caricaturés ? pour des musulmans pur jus, vous me faites marrez, une petite critique et la foi est ebranlée ?

Bsahtak
w
5 avril 2006 15:01
L'européen et IBnBattuta veuillez cesser vos chamailleries et débattre du sujet et non sur les personnes.

Respecter la charte et l'ensemble des intervenants.
"Marocainement vôtre"Le Webmaster http://www.yabiladi.com
I
5 avril 2006 15:06
walou walou walou



Modifié 1 fois. Dernière modification le 05/04/06 15:07 par IBnBattuta.
m
5 avril 2006 15:06
Citation
icare99 a écrit:
ca m'etonne de Charlie hebdo.
Je crois juste qu'ils tirent de tous feux sur toutes les intolerances, y compris celles des arabes, parmis lesquelles il y a des cons comme partout ailleur.

C'est quoi ces gens qui paniquent dés qu'ils sont caricaturés ? pour des musulmans pur jus, vous me faites marrez, une petite critique et la foi est ebranlée ?

Merci pour tes leçons de tolérance...
Si tu n'as pas relevé un racisme flagrant anti-musulman dans les articles de Charlie Hebdo c'est que tu devrais relire , relire et relire cettre lettre adressé à Cavanna , et si tu n'arrives pas encore à le voir dans ce cas il faudrait te poser des questions s'il faudrait pas t'acheter des lunettes...



Modifié 1 fois. Dernière modification le 05/04/06 15:27 par massouach.
I
5 avril 2006 15:06
a
5 avril 2006 15:23
Merci Rifton !

Merci pour avoir porté à ma connaissance cette excellente lettre de Olivier Cyran
i
5 avril 2006 15:37
Citation
massouach a écrit:
Citation
icare99 a écrit:
ca m'etonne de Charlie hebdo.
Je crois juste qu'ils tirent de tous feux sur toutes les intolerances, y compris celles des arabes, parmis lesquelles il y a des cons comme partout ailleur.

C'est quoi ces gens qui paniquent dés qu'ils sont caricaturés ? pour des musulmans pur jus, vous me faites marrez, une petite critique et la foi est ebranlée ?

Merci pour tes leçons de tolérance...
Si tu n'as pas relevé un racisme flagrant anti-musulman dans les articles de Charlie Hebdo c'est que tu devrais relire , relire et relire cettre lettre adressé à Cavanna , et si tu n'arrives pas encore à le voir dans ce cas il faudrait te poser des questions s'il faudrait pas t'acheter des lunettes...

Je pourrais relever du racisme flagrant dans le discour des imams, dans celui de certains dirigeants qui se reclament de l'islam etc...;

Meme si charlie hebdo a publié des caricatures, ou si un journaliste a fait preuve de vehemance envers les musulmans, pourquoi pas ? il faut lui repondre, disserter, expliquer, et non pas s'offusquer.


Apres tout, chacun a le droit d'etre aniti ce qu'il veut, ou même raciste.
D'ailleurs, si tu te sens a ce point concerné, pourquoi ne pas l'attaquer en justice ? la loi le permet, les textes sur le racisme sont foison.

Et serieux, quand la religion chretienne est attaquée par Charlie hebdo, quand des cineastes remettent en cause la principe du christ etc.... je ne vous entend pas crier au racisme, et pourtant, il s'agit d'une religion monotheiste, et le christ est un ''prophete'' aussi......
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