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À Derb Ghallef, on ne parle que du “Jihad numérique”.
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16 décembre 2006 13:40
Pour venger les palestiniens, ces as de l'informatique sèment la panique sur les sites web israéliens ou américains. Ils ne cherchent pas à vendre leurs services mais s'affichent très clairement comme “hacktivistes”. Qui sont-ils ?

“Tant que vous tuerez des Palestiniens, nous tuerons vos serveurs”. L'inscription de ce message, rédigé dans un anglais approximatif, s'affiche sur la page d'accueil des 850 sites attaqués le 28 juin 2006 par un groupe de hackers marocains qui se fait appeler “Team Evil”. Beaucoup de ces sites n'ont toujours pas pu être réparés. Selon la brigade israélienne d'intervention du web, il est clair que le virus a été préparé bien avant l'incursion israélienne dans Gaza mais que le groupe a attendu le lancement de l'opération “Pluies d'été”, pour l'utiliser en signe de représailles. Un porte-parole du groupe a précédemment déclaré à l'agence d'information israélienne : “Nous sommes un groupe de hackers marocains qui pirate les sites en signe de solidarité avec la guerre de résistance menée contre Israël. Nous attaquons des sites israéliens chaque jour : c'est notre devoir. Le hacking n'est pas un crime. Cessez de tuer des enfants et nous cesserons de pirater”. L'attaque fait suite à l'opération de l'armée israélienne dans la bande de Gaza.

Les e-manifestants marocains bousculent Israël
Le groupe d'e-manifestants est d'ailleurs bien connu pour être très actif dans le combat informatique contre l'occupation d'Israël en Palestine et celle de l'armée américaine en Irak. Il aurait déjà piraté plus de 7605 sites dont, en avril 2006, plusieurs sites de grosse taille, comme celui de l'Institut israélien de recherche biologique et celui de McDonalds Israël. Ces viols virtuels ne datent pas d'hier : il y a un an de cela des sites hébergés au Canada étaient attaqués par d'autres hackers marocains qui se font appeler “LeRommanTique”. Cultivant un côté obscur, l'équipe LeRommanTique des hackers marocains se définit comme “un groupe anti-américain, anti-terrorisme”. Leurs messages sont adressés aux Etats-Unis et à Israël qui sont, à leurs yeux, des “Etats terroristes”. Leur appel : “Des gens meurent tous les jours en Irak et en Palestine, des enfants perdent leurs parents, gâchent leurs vies, et que se passe-t-il ? ô gens, bougez ! Bougez pour faire quelque chose, votre tour viendra, allez-vous rester calmes ?”.

Ce texte engagé provient de hackers, apparemment de nationalité marocaine, qui, rappellent les spécialistes, figurent parmi les plus doués au monde après les pirates informatiques brésiliens. Certes, la hausse des opérations de hacking des sites web à la suite d'opérations militaires est un phénomène dorénavant connu et prévisible en Israël. Il n'empêche, la guerre sur le Net prend là-bas l'allure d'un débat national sur les capacités intellectuelles des arabes. Sur un forum de discussion, un jeune Israélien s'interroge sur la leçon à tirer de ces attaques : “Arrêtons de prendre les arabes pour des abrutis et de croire que nous sommes les plus intelligents de la planète. Ils peuvent pirater les sites les plus sécurisés. Qu'avons-nous pu faire ? Rien, sinon constater les dégâts. Et nous, en menant les actions les plus criminelles, nous réussissons juste à nous faire passer pour des bourreaux aux yeux du monde entier”.

De ce côté-ci, l'affaire est vécue comme une victoire de David contre Goliath. Le géant israélien ridiculisé par “une bande de gamins”, c'est un peu le sentiment qui se dégage des discussions publiques autour de la question. A Derb Ghallef, on ne parle que de ça, ce “jihad numérique” est encensé mais, dès qu'on aborde l'identité du groupe, les visages se ferment. “On ne sait pas grand-chose sur l'identité de ces hackers. C'est tellement facile pour un internaute de garder l'anonymat que je doute qu'on puisse un jour remonter jusqu'à eux”, explique un jeune informaticien spécialisé dans le décodage des cartes TPS.

Dans cette flambée du “e-djihad”, les Marocains, on le voit bien, se taillent la part du lion. Un rapport du département d'Etat américain transmis en mars 2003 aux multinationales US, alors que la deuxième guerre du Golfe se profilait, relève qu'une vague d'attaques numériques perpétrées par des pirates informatiques perturbe de nombreux sites. Le Maroc figure sur la liste des pays qui abritent des hackers anti-US. De là à associer nos “hackers” au groupe Al Qaïda, il y a un pas que même les services américains ne semblent pas prêts à franchir.

Hackers et services de renseignement
Réaction attendue, par le biais d'un communiqué laconique, le gouvernement israélien vient d'annoncer que cette attaque serait très certainement la dernière “atteinte à la sécurité et à l'économie nationales”. Autant dire que les agents du Mossad dépêchés à Casablanca ont une consigne claire : remonter le fil pour déterminer l'identité des hackers. “Je pense que les agents qui ont pris l'avion pour Paris avant de se rendre à Casablanca, veulent surtout savoir qui est derrière ces attaques”, précise une source journalistique à Tel Aviv, d'autant plus que tous les hackers marocains n'ont pas le culte du secret. Certains opèrent au grand jour. Ils ont même leurs sites, le Sfirita Hacking et le Forum des Hackers Marocains. On peut y apprendre notamment comment tricher dans les jeux, comment craquer un site, pirater une photo à partir d'un téléphone portable, etc.
Même les Américains seraient sur le coup. D'après une source diplomatique, le service le plus secret de la NSA, le “X Group Special Access Systems” aurait mis ses limiers sur l'affaire, sauf que l'objectif ici est plutôt de voir si on peut recruter les hackers les plus performants. Une source sécuritaire nous a confié que les services marocains s'inquiétaient eux aussi de cette cyber-guerre. “Le phénomène est d'autant plus inquiétant qu'il est facile pour un petit groupe terroriste d'avoir recours à un programmeur qui implante un virus-type, dit “cheval de Troie” dans un logiciel, détruisant ainsi n'importe quel réseau vital”, ajoute notre source.

Si la crainte est légitime, les moyens d'action demeurent limités. Il est vrai que la guerre sur le Net entre services de renseignement et cyber-islamistes a connu son apogée avec le piratage, il y a une semaine de cela, par les services de renseignement marocains, de tous les sites de propagande de la mouvance du cheikh Yassine. D'après une source proche des islamistes, il est tout aussi vrai que les virtuoses du Net opèrant à Derb Ghallef, quoique contactés par les lieutenants de Yassine, n'ont pas encore réussi à trouver la faille pour redonner vie à la revue électronique d'Al Adl Wal Ihsane. Mais légalement, le Maroc est loin du compte. Il n'existe pas, en effet, d'approche spécifique du phénomène en matière de police. Le Maroc fait partie des 60% des 178 pays composant Interpol qui n'ont pas de lois propres à la cyber- criminalité. Il y a bien le vague dahir du 11 novembre 2003 “sur les atteintes aux systèmes de traitements automatisés des données et le dahir 0303 relatif à la lutte contre le terrorisme” mais ces textes, qui ont été votés au lendemain des attentats du 16 mai, n'ont pas été pensés pour lutter efficacement contre le piratage informatique. Au niveau de la DGSN, il existe bien une cellule chargée d'épingler la falsification, la contrefaçon et les autres délits relevant du droit commun mais elle se contente de confier ses rapports aux services concernés par le délit informatique .

Intifada sur le Net
Au-delà de la riposte sécuritaire, que nous apprend cette affaire, au niveau sociologique ? Cette Intifada sur le Net des jeunes hackers est-elle le prélude à un réchauffement de la cause palestinienne auprès de la jeunesse marocaine ? A voir les milliers de jeunes qui se sont joints à la marche organisée à Casablanca pour le soutien au peuple palestinien, dimanche dernier, on peut être tenté de répondre par l'affirmative. La jeunesse scandait des slogans révélateurs : “USA et Europe, unis par leur lâcheté”, “Palestine musulmane, pas de négociation, pas de paix, pas de solutions défaitistes”, “Je suis contre le mur”. Un groupe de bacheliers fraîchement diplômés explique cette mobilisation par le ras-le-bol provoqué par “les crimes perpétrés par l'armée israélienne contre les enfants palestiniens sous le regard complice de la communauté internationale !”. “Nous en avons marre de voir chaque jour Israël et les Etats-Unis monter d'un cran dans l'escalade de la violence et le mépris des peuples”, martèle Moatassim. Il ajoute que les images diffusées chaque jour par la télévision sont insupportables. “Les jeunes d'aujourd'hui sont marqués par le syndrome Al Jazeera. Ils ne sont plus mobilisés par des slogans, par telle ou telle idéologie, par un parti politique quelconque mais plutôt par les images qui défilent devant leurs yeux. Ils réagissent par rapport à ce qu'ils voient en direct”, explique ce sociologue.

Pour Kamal Lahbib, l'explication de cet engouement des jeunes pour la cause palestinienne est à chercher du côté “d'une sensibilité plus accrue des jeunes face à la mondialisation de la politique américaine. Ils ne sont plus dans l'approche traditionnelle privilégiée par leurs aînés. Ils sont plutôt contre le terrorisme d'Etat américain que ce soit en Israël ou en Irak. Ceci dit, ils restent toujours marqués par un certain panarabisme toujours aussi réticent au sionisme”. Cyberguerre, Netintifada, hacktivisme, si les hackers marocains n'ont pas encore gagné la guerre du Net, ils auront au moins remporté la bataille du lexique de la Toile.
 
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