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Le Coran, Parole vivante
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16 avril 2013 23:08
Assalam alaikoum

Je mets en partage ces textes, de conférences, ayant sujet le Coran, comme Livre, comme Révélation divine destinée à l'Homme, comme Parole vivante, s'adressant, constamment, à chacun et à tous.
La première conférence intitulée " Le Coran, la modernité et l'ijtihâd " de Tareq Oubrou. La deuxième intitulée " La dimension spirituelle dans la Révélation " de Patrick Laude. La troisième (en partie) intitulée " Les commentaires du Coran du cheikh Ahmad al-'Alâwî " de Denis Grill.






Le CORAN, LA MODERNITÉ ET L'IJTIHÂD


Résumé

Depuis l'avènement du Coran, l'histoire a vu les Arabes passer d'une nation illettrée à une civilisation universelle. Malgré les aberrations et les dérives propres à toute civilisation, l'islam a permis aux hommes de rencontrer Dieu et il a aussi été à l'origine d'une production intellectuelle considérable. En effet, si l'islam repose sur un Livre, le Coran, celui-ci ne donne son sens que si la raison et le cœur du croyant s'en approprient. Ce sont les circonstances historiques qui ont permis que des champs du savoir et des expériences subjectives et rationnelles soient découverts ou inventés par les Musulmans. L'islam est certes une religion révélée mais il n'en demeure pas moins qu'elle est aussi une construction et une reforme (tajdîd) permanentes dont la responsabilité incombe aux Musulmans eux-mêmes. Ceci s'explique par la nature dynamique et ouverte de la Révélation coranique. Le Coran n'est pas un simple texte de lois, il a un sens, une méthodologie et une pédagogie universels.

Le Coran, ou le mystère d'un souffle (rûh)
Le Coran est une Parole divine transcendante qui a fait irruption dans notre monde à une certaine époque, dans une région de notre globe et au sein d'un peuple. Ce n'est pas la première fois que Dieu se manifeste ainsi. Cet acte divin que l'on nomme Révélation (wah-y) nous informe que Dieu agit dans et sur le monde et intervient dans la condition de 'Homme. Le Dieu du Coran est un Dieu existant, exigeant.
Seule une expérience mystique profonde pourrait en dévoiler quelques mystères. En effet, certains saints de l'islam ont pu atteindre l'écoute de cette Parole comme si elle émanait directement de Dieu Lui-même, mais cette démarche expérientielle mystique d'al-ihsâne – qui consiste à adorer Dieu comme si on Le voyait, pour reprendre un Hadîth du Prophète – en tant que proximité intérieure avec le Coran, et qui se situe au-delà de tout langage, ne pourrait faire l'objet ici d'une approche strictement rationnelle. Nous allons nous contenter, pour notre part et à défaut de toucher ce mystère du Coran de très près, d'aborder ce qui est accessible à l'entendement commun : son aspect scripturaire, selon une écoute et une lecture confessantes et intelligentes dans la mesure de notre possible.

Le Coran, du spécifique à l'universel
Le Coran est un Texte en langue arabe qui s'adresse d'abord à un certain peuple, arabe. Cependant, et depuis les premiers versets révélés, il annonça son caractère universel. Autrement dit, Dieu parla à toute l'humanité, quelle que soit l'époque, mais à travers un peuple et une histoire.
Pour comprendre cette portée universelle, il faudrait chercher comment la Révélation a procédé dans son articulation, sa pénétration et son intégration dans l'histoire du peuple arabe du Hedjâz d'alors; et comment l'universel coranique s'est incarné dans un particulier anthropologique conjoncturel.
Après examen, on découvre que le fond et la forme de la Révélation sont restés ouverts sur une réalité souvent contradictoire, répondant à des événements qui n'étaient pas prévus, ni par la communauté ni même par son Prophète. La sîra (récit de la vie du Prophète) nous donne une traçabilité relative de la Révélation coranique qui s'est arrêtée avec la mort du Prophète, alors que les Paroles de Dieu sont infinies. Ce qui veut dire que tout ce qui est dans le Coran est Parole de Dieu certes, mais toutes les Paroles de Dieu ne sont pas contenues dans le Coran.
Cette perception historique de la Révélation, dynamique et ouverte sur l'Histoire, implique l'Homme afin de poursuivre le dessein coranique jusqu'à la fin des temps.
Nous l'aurons compris : il ne s'agit de reproduire le mode de vie du peuple récipiendaire du Coran, mais plutôt de voir comment le Coran l'a pris en considération dans l'économie pédagogique de son discours pour s'en inspirer. Cette posture transforme le rapport au Coran d'une simple référence mécanique à ses enseignements, à une approche qui y voit une méthode traçant la voie (minhâj) pour la raison et l'expérience musulmanes, afin d'inventer des modes nouveaux de penser, d'interpréter et de pratiquer les enseignements de l'islam à la lumière d'une réalité, d'un Destin divin existentiel ouvert. Il n'est pas question d'y voir uniquement une somme de lois, toutes définitivement arrêtées pour l'éternité, applicables systématiquement, quelles qu'elles soient. Bien évidemment, il y a des enseignements spirituels et des principes moraux invariables, mais ceux-là correspondent à ce qui est permanent chez l'Homme, notamment croyant, quelle que soit sa condition.

La Révélation coranique et l'Histoire
Il existe, dans la théologie de la Révélation, une notion coranique centrale, celle du tanzîl (descente), qui est également un concept résumant tout un paradigme herméneutique (de ta'wîl).
En effet, une archéologie ou une généalogie attentive du tanzîl nous informe que le long d'une épaisseur historique de 23 ans très dense en événements, la Révélation apportait par fragments ses enseignements, accompagnant ainsi les états spirituels, moraux, psychologiques, sociétaux, politiques... de la communauté des Compagnons du Prophète. C'est ce qu'on appelle le principe de tanjîm, ou tartîl, une notion subsidiaire du tanzîl.
Sans a priori doctrinal formalisé, les enseignements coraniques se révélaient progressivement par doses scripturaires en fonction des occasions historiques. Tout en créant l'Événement, le Coran venait répondre à des situations, sans anticiper. Pourtant Dieu sait l'avenir. Ces dialectiques et postures divines sont très importantes à saisir pour comprendre notre théologie de la Révélation. Elle a permis au sens du Coran de circuler dans le temps et à l'époque de son contexte initial afin que l'interprétation, que nous devons en faire, prolonge ce dessein à travers l'Histoire et jusqu'à la fin des temps.
C'est dans cette logique de l'Histoire que les récits coraniques des autres Prophètes et de leurs peuples venaient répondre à des situations similaires que vivaient le Prophète et ses Compagnons, au fur et à mesure de l'évolution de leur destin. Ces récits avaient l'essentielle fonction de soutenir le Prophète et d'orienter la communauté vers une issue historique.
Le fait de restituer la dimension du contexte initial – qui n'a cessé d'évoluer – et avec lui le contenu et même la forme du Coran et ses spécificités, donnera une perception herméneutique mobile de la Parole divine comme Attribut divin, à l'image de Dieu lui-même qui : « À chaque moment, est dans une entreprise (kulla yawmine huwwa fî sha'n) ». Cela permettra de voir autrement la forme du scripturaire coranique qui n'est que virtuellement statique.
N'évoquant ni chronologie ni géographie, le Coran a agi sur l'Histoire, mais refuse d'être un livre d'histoire. Il échappe ainsi totalement à la logique du temps et à son emprise pour mieux l'intégrer dans l'économie de son discours. Dieu nous enseigne ainsi que le temps et l'espace font partie du discours divin, lequel se situe lui-même en dehors du temps et de l'espace. Que dire alors du discours, de l'interprétation et de l'ijtihâd des hommes ? De fait, Il nous invite à l'imiter et à prendre en considération l'époque (al-'asr) pour reprendre le titre de la sourate 103.

Une morphologie scripturaire atypique
Le Texte coranique n'est pas organisé en fonction d'une quelconque thématique aisément identifiable. Son discours apparaît de prime abord discret, discontinu. Il vient répondre à des événements précis (asbâb al-nuzûl) dans le temps, mais l'ordonnance scripturaire des versets et des sourates, ainsi que les sujets qui y sont traités, obéissent à une autre réalité, celle du contexte intra-scripturaire (al-siyâq). Il y a une chronologie de la Révélation, de la descente (tanzîl), qui n'est pas traduite dans le Texte. C'est pour cette raison que l'agencement scripturaire ne se laisse pas aisément intellectuellement saisir, si ce n'est après une extraction fine du sens (istinbât). Ceci fait que le genre littéraire du Coran reste réfractaire à l'organisation classique des textes que nous connaissons.
C'est dans le contenu sémantique immédiat des versets, souvent volontairement ambivalents (mutashâbih) voire amphibologiques (mushkil), qu'on va chercher le sens, mais pas exclusivement. Il faudrait aussi l'explorer dans les interstices des discontinuités du contexte scripturaire et historique de la Révélation ; c'est-à-dire dans le Texte et en dehors de lui, dans son histoire. Ces territoires de la connaissance herméneutique du Coran, pourtant obligés, sont négligés. Ils permettent de donner une unité au sens et lever les contradictions qui ne sont que fictives.


(À suivre)
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17 avril 2013 13:59
Assalam alaikoum


La Révélation et la Raison
Une fois ces aspects du Texte coranique partiellement dévoilés, il en demeure un autre, tout aussi important. Il s'agit de la place que réserve la Révélation divine à la raison humaine.
En effet, le Coran appelle à la réflexion et invite le lecteur à user de sa raison, comme lumière intérieure, censée rejoindre harmonieusement celle de la Révélation : « lumière sur lumière (nûr 'alâ nûr) » dit le Coran. Les appels à la réflexion, à la méditation, y sont récurrents. Il parle à ceux qui sont dotés de raisons (ulî al-nuhâ ou ulî al-alâb) qui refusent le mimétisme et le suivisme aveugles.
Hormis les domaines dogmatiques et cultuels, le coran renvoie à la raison savante – que certains théologiens et philosophes musulmans qualifient de fitra - afin d'y trouver le sens, la sagesse...mais aussi de chercher les raisons de la loi coranique en matière éthique, juridique, politique, etc.
La maslaha vient entre autres principes universels – justice, sagesse, miséricorde – s'imposer comme notion centrale de la philosophie juridique et éthique qui résume l'esprit de la sharî'a.
S'il n'y a plus de Révélation après le Coran, c'est tout simplement parce que l'Homme est devenu mature. Informé sur sa raison universelle, il devra désormais compter sur lui-même et continuer sa marche existentielle, intellectuelle, morale, spirituelle, sans attendre le secours d'une nouvelle Révélation.
Nous comprenons dès lors la parole attribuée au Prophète qui aurait dit : « les savants de ma communauté sont l'équivalent des Prophètes d’Israël ». Le muftî au sein de la communauté musulmane – pour ne citer que cette fonction religieuse parmi d'autres – fait fonction vicaire du Prophète, comme le fait remarquer Shâtibî. Dans le même sens, le grand juriste Izz al-dîne Ibn 'Abd al-Salâm appelé le «sultan des oulémas» dit que : les gens (i.e. Les savants musulmans) font des lois en fonction de chaque époque ».
La sortie de la clôture scripturaire est-elle une sortie de la Religion ?
« Parmi Ses signes, la création des cieux et de la terre et la diversité de vos langues et de vos couleurs, c'est là un signe pour les gens qui réfléchissent » (Coran).
L'Homme est invité à chercher la vérité dans le Coran. Il doit parallèlement la chercher dans le livre cosmique, celui du Monde sensible et intelligible. Il est aussi invité à la sonder dans sa propre conscience :
« Nous allons leur montrer Nos signes dans les horizons et en eux-mêmes jusqu'à ce que la vérité leur apparaisse » ;
« Dans la terre il y a des signes pour ceux qui ont acquis la certitude, et en vous-mêmes, n'observez-vous pas ? » (Coran)
Autrement dit, les signes de Dieu n'ont jamais cessé de nous interpeller à travers la Nature, l'Histoire et à travers nous-mêmes, pour ceux qui savent écouter. Le silence de Dieu n'est qu'apparent. Dieu ne s'est jamais retiré du Monde. Sa sémantique coranique et Sa sémiologie cosmique continuent encore à nous interpeller. Il nous parle également à travers notre livre intérieur.
On a donc la possibilité de concevoir l'islam comme une religion qui peut être théologiquement être lisible, en y reconnaissant l'effet d'une cause (Dieu) qui agit métonymiquement, à travers le Coran et la Nature. En même temps, une démarcation intellectuelle s'impose pour parer à une identification de Dieu au Coran et/ou à la Nature, dans le sens où Il serait tout sauf Transcendant, confondu ontologiquement avec Sa parole révélée et/ou avec la Nature.
La pensée musulmane n'est pas exclusive, dans la mesure où la soumission aux Écritures n'est pas antinomique à l'herméneutique dans l'objectif d'émanciper la connaissance et de lui ouvrir des horizons universels. Par conséquent, certaines méthodes utilisées pour étudier la nature (sciences exactes) et la culture (sciences humaines) ne sont pas exclues si l'on admet que l'islam dans toutes ses dimensions n'est pas toujours lisible uniquement et immédiatement à partir des Écritures. Cette assertion est lourde en conséquences. Cela veut dire que le fait d'établir a priori une théorie de lecture qui s'intéresse au sens des Textes en même temps qu'à leur vérité, ne doit pas être écartée. Une vérité reste cependant évidente, la démarche cognitive (de connaissance) ne s'arrête pas au niveau autocentré sur le Texte (Coran ou Sunna).
C'est ce que les premiers Musulmans (salaf) ont parfaitement compris et très tôt. Ils bâtirent un grand édifice de connaissance de toutes sortes, des plus religieuses aux plus rationnelles et scientifiques. Tout en respectant une forme de distinction et de démarcation, la sécularisation musulmane n'a pas crée de rupture entre les deux registres : le spirituel et le temporel. À ces époques où l'itihâd était une culture répondue, un savant digne de ce nom n'était reconnu comme tel que lorsqu'il avait maîtrisé les connaissances religieuses et les connaissances rationnelles et universelles de son époque.

La double herméneutique
« Lis au nom du Seigneur qui créa... » (Coran)
La lecture ici est double, celle de la Révélation et celle de la Création. il ne s'agit pas d'une récitation passive de l'information révélée, sous prétexte qu'elle est sacrée, elle est indubitablement une interprétation réflexive (nadhar), une herméneutique (ta'wîl).
Il faudrait d'abord trouver un paradigme qui nous permette de saisir ce qui, dans l'islam, relève du champ du sacré constant et ce qui relève d'un temporel en mouvement. Ce qui nous permettra de lire correctement la Révélation, à la lumière de notre époque.
L'herméneutique doit aussi résoudre la question du rapport avec le passé : enchaînement ou rupture ? Le discours islamique doit consister à enchaîner un nouveau discours originel, le nôtre [celui de notre époque], c'est-à-dire dans un contexte culturel inédit et imprévu, que ni le schéma interprétatif classique des Textes-références (Coran et Sunna) ni les mécanismes principologiques concernant le normatif n'ont directement résolu. Le sens profond des Écritures n'est pas abandonné, mais médiatisé par une nouvelle interprétation en lien avec le nouveau contexte, à savoir un monde bien différent de celui du moment coranique. Mais ceci, tout en s'inspirant des concepts coraniques du tanzîl et du tartîl. L'appropriation (dans le sens rendre approprié) est donc une des finalités de l'herméneutique. Elle doit survoler les différences culturelles et la distance séculaire qui séparent l'univers originel du Coran pour atterrir sur le terrain de notre situation moderne.
Elle est en quelque sorte une résistance contre l'éloignement ou l'oubli du sens des Écritures, c'est-à-dire des systèmes de valeurs que le Coran et la Tradition du Prophète ont établis lors du «moment coranique». Vue ainsi, l'interprétation rapproche, rend contemporain le discours religieux, par le renouvellement sémiologique des significations coraniques et prophétiques apparaissant, historiquement et culturellement, comme distantes et étrangères. C'est ainsi que nous pouvons élever l'exégèse des textes scripturaires au niveau supérieur d'une herméneutique authentique, en transférant dans une situation culturelle moderne ce qui est l'essentiel du sens de nos Textes, un sens qui a revêtu une forme en rapport à une situation culturelle historique qui a cessé, depuis très longtemps, d'être la nôtre.
Cette exégèse devient ainsi une interprétation, c'est-à-dire une traduction de la signification liée à un contexte culturel vers un autre selon des règles qui préservent l'équivalence du sens. L'herméneutique n'est pas la lecture directe des Textes, nous l'avons assez mentionné. Elle innove [innovation signifiant créativité] dans l'ambivalence, l'amphibologique et dans les omissions et mutismes volontaires des Textes scripturaires, tout cela grâce au caractère inédit des situations d'un Destin qui échappe et échappera toujours à nos prévisions. C'est ainsi que la connaissance des significations relève de l'inattendu que l'on pourrait qualifier de «sérendipité» herméneutique. L'ijtihâd, de ce point de vue, montre que la distance culturelle et temporelle est un désert à franchir, mais aussi un médium à traverser, qui mène à la découverte de vérités coraniques jusqu'alors inexplorées. C'est une réinterprétation constitutive d'une tradition vivante qui permet la (re)découverte du sens coranique, qui change de couleurs et de formes sans trahir le Message.

La modernité, de l'archéologie à l'actualité
Monde musulman, monde occidental, brèves histoires de la sécularisation
Notre monde réel est pour l'instant dominé par la civilisation occidentale. Nous ne pouvons donc pas faire l'économie de ce fait incontestable dans notre façon de penser et de pratiquer l'islam.
La civilisation occidentale a produit le progrès technologique, scientifique, médical, social, politique, économique... qui fut le premier de son genre dans l'histoire de l'humanité, malgré les reproches que l'on peut lui faire sur le plan moral et spirituel.
La sécularisation du monde musulman, quant à elle, fut d'une autre nature. Elle s'est faite contre une religion qui, au départ, cultivait une foi intelligente et prônait l'autonomie de la raison et l'accès direct aux Textes, et qui a permis, à partir des savoirs les plus sacrés et les plus religieux (l’exégèse, la théologie spéculative, le droit, le soufisme, etc.), de produire des connaissances rationnelles et scientifiques (mathématiques, astronomie, botanique, médecine, architecture...).
Méprisant la valeur du temps, enfermés dans une histoire et dans une inertie mentale, nous avons un sérieux problème avec la notion du progrès, d'évolution, d'invention, de créativité, d'imagination. Inhibés par une fausse idée, nous croyons que tout sur l'islam et sur la vérité coranique a été dit. Il ne reste plus rien à trouver. Nous psalmodions le passé et l'héritage des ancêtres, comme si l'islam nous avait livré tous ses trésors et que l'ensemble de ses territoires herméneutiques, mystiques, théologiques, éthiques avaient été tous explorés et exploités. En effet, une certaine notion du salafisme, mal comprise, freine aujourd’hui le discours et l'agir islamiques et les empêche de contribuer à l'essor de la civilisation désormais globale de notre humanité actuelle.
Au risque de caricaturer, je dirais que les musulmans donnent l'impression de conduire la voiture de leur Destin, mais avec un rétroviseur aussi grand que le pare-brise. Ils progressent ainsi dans le temps, mais vers un «avenir-passé», cherchant un paradis perdu, un âge d'or égaré. L'illusion nous viendrait, entre autres raisons, d'une perception de l'Histoire qui confond la logique de la religion avec celle de la civilisation. Elle est fatale.
Or, c'est sur les traces de la civilisation musulmane que la civilisation occidentale a vu le jour, exactement comme le stipule la loi de la thermodynamique, laquelle nous informe que rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. C'est ce que le Coran appelle sunnat Allâh, la Loi de Dieu dans l'Histoire, ses transformations et ses renversements.


(À suivre)



Modifié 1 fois. Dernière modification le 17/04/13 14:00 par faqir.
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17 avril 2013 23:19
Assalam alaikoum


De la modernité à la post-modernité, un retournement
Fille du siècle des Lumières, la modernité pourrait se résumer à ces mots clés, entre autres : la science (la recherche scientifique), la technique (ou la technologie), la sécularisation politique, comme émancipation du pouvoir religieux et émergence des notions telles que : la société civile, la citoyenneté, l'État-nation, la démocratie, etc. C'est le règne et le paradigme du progrès.
Le monde musulman, dont la géopolitique n'est qu'un reste du colonialisme du siècle dernier, a déjà raté la modernité, sa modernité. Il est en train de rater la postmodernité dont le centre de gravité se déplace sous nos yeux de l'Occident vers d'autres entités, comme l'Extrême-Orient et d'autres pays émergents.
Notre situation postmoderne est un renversement de l'Histoire, un tournant qui passe par une crise globale et systémique. Et nous avons du mal à réaliser les renversements et les retournements qui s'opèrent aujourd'hui sous nos yeux. En effet, si la caractéristique principale de la modernité était la sécularisation à tous les niveaux, la postmodernité, quant à elle, se caractérise par un mouvement contraire, celui de la dé-sécularisation, pour ne retenir que cet aspect du phénomène. La science qui était un moyen de sécularisation écartant l'esprit religieux des champs du savoir objectif et rationnel, passe à présent par une crise épistémologique sans précédent, ouvrant la voie à des visions ésotériques de notre monde physique, comme la mécanique quantique. Le principe d'incertitude d'Heisenberg a contaminé les autres domaines du savoir.

Quelques chantiers de l'ijtihâd
Comment revisiter no registres théologiques, éthiques et spirituels, entre autres chantiers de la pensée et de l'agir musulman ?
La réponse se trouve en partie dans notre théologie de la Révélation, évoquée plus haut. Celle-là même qui a inspiré intuitivement les ancêtres (salaf) – même s'ils ne l'ont pas qualifiée et formalisée ainsi – et qui leur a permis d'inventer une civilisation universelle qui a su intégrer le génie des autres peuples et des autres nations, chrétiens et juifs, etc.
D'où l'importance d'une théorie éthique et juridique de communication et non de rupture ; une théorie globale qui nous permettrait de nous ouvrir et de nous intégrer à notre monde, tout en gardant nos invariables coraniques théologiques, axiologiques [de valeur], cultuels, spirituels et éthiques, au lieu de nous enfermer dans une prison particulariste, incapables de faire face aux exigences d'un environnement complexe et imprévisible.

Une perspective théologique
Un nouveau discours sur l'islam audible et intelligible à nos contemporains est plus que nécessaire. Cela passe en partie par une théologie d'acculturation qui consiste à «envelopper» le message coranique par la culture du temps, avec, bien sûr, des règles d'acceptation et de réfutation de celle-ci, lorsqu'elle est antinomique à l'essence du message coranique lui-même. Cette théologie ou théorie d'acculturation ou visibilité proximale, aussi bien intellectuelle, pratique, sémantique que sémiologique, est nécessaire pour la transmission du message spirituel coranique aux nouvelles générations musulmanes. Elle est en outre nécessaire comme moyen de communication avec les aires culturelles et civilisationnelles non musulmanes, dans lesquelles se trouvent aussi des minorités musulmanes représentant environ le tiers des musulmans dans le monde.
Aussi, l'Homme développe-t-il une nouvelle perception du temps, de l'espace et de la complexité du réel. Cette nouvelle situation anthropologique doit nous inciter à inventer une phénoménologie qui s'inspire du Coran, par le biais de la théologie de la Révélation, laquelle nous montre comment l'esprit coranique a pris forme dans le réel et comment il a pénétré la conscience de l'humanité du moment coranique, pour s'en inspirer et répondre à la conscience collective de notre humanité d'aujourd'hui. C'est un vaste chantier.
Pour cela, il faudrait commencer par développer une théologie optimiste de l'Homme – crée à l'image de Dieu et selon la fitra – qui permette aux musulman, au-delà des différences, de vivre avec les autres, non musulmans. Si le Ciel nous divise, ce bas monde, lui, nous unit. Ce qui veut dire qu'il faudrait, entre autres chantiers, travailler pour une théologie d'un Salut dans ce bas-monde qui profite à toute l'espèce humaine et préserve la Nature.

Une réforme de la sharî'a
La décolonisation a laissé derrière elle des frontières politiques et des États-nations qui ont forgé des identités nationales nouvelles. Le monde musulman était jusqu'alors organisé en logiques régionales communautaires, ethniques..., au sein d'un même système où la géographie politique nationale (dâr al-islâm) correspondait à celle d'une communauté spirituelle, à quelques exceptions près. Le notion de la Umma spirituelle se confondant ici avec celle de la Umma nationale politique.
Le contact massif et inégalitaire de l'univers musulman avec l'Occident a provoqué de grands bouleversements dans ce système, aussi bien au niveau des pratiques qu'au niveau idéologique. Le droit musulman subira deux révolutions profondes : l'une par rapport à sa conception classique, l'autre au niveau de sa mise en pratique. Chronologiquement, la sécularisation politique a modifié d'abord sa forme pour qu'ensuite la sécularisation idéologique vienne interroger sa légitimité même.
L'invasion du droit étatique, né en Occident à partir du XIXe siècle, va gagner les États musulmans qui vont inscrire dans leurs corpus législatifs des normes islamiques, pour en faire des règles de droit positif (qânûn).
Pour comprendre le sort actuel du droit musulman, son imbrication dans les droits étatiques et son impact sur les sociétés musulmanes, il ne faut pas se limiter uniquement à analyser les dispositions constitutionnelles qui font référence, selon le pays, à la sharî'a, au Coran, à la religion musulmane. Ces inscriptions dans la Constitution ne revêtent, pour les croyants musulmans majoritaires de ces pays, qu'une dimension plus esthétique et affective qu'effective.

Le retour au souffle spirituel initial
Tout en restant foncièrement spirituel, le discours coranique s'est mêlé aux circonstances anthropologiques et politiques des hommes, pour opérer une transformation intérieure du peuple arabe dans les limites des conditions situées et datées d'alors. Voici la mystique du Message coranique : tout en étant dans le temporel, il ne renonce jamais à la profondeur morale et spirituelle de son message, qu'il porte pour l'éternité. Le Royaume est dans l'au-delà certes, mais il est adevenu aussi dans le monde des hommes, ici et maintenant. Il témoigne de ce que le Prophète et ses Compagnons ont vécu comme expérience de la rencontre de Dieu en réalisant cet enseignement : « Adore Dieu comme si tu Le voyais », ce que les soufis appellent le dévoilement. Pourtant, ils passèrent vingt-trois ans à lutter pour survivre et résister à toutes les hostilités de leurs ennemis, qui finirent par devenir leurs frères spirituels.
S'il y a une dimension de l'islam des origines qui doit être reproduite à l'identique, c'est bien celle de la rencontre du divin, au cœur de notre monde, comme l'ont fait exactement le Prophète et ses disciples à travers leur expérience mystique ; cette expérience vécue par les saints de l'islam, dont l'un disait : « Mon paradis est dans mon cœur, il est avec moi où je me déplace... ». Cette assertion d'Ibn Taymiyya, dévoilée à un moment historique crucial pourtant : l'invasion du monde musulman par les Mongoles. Il disait aussi : « Dieu a son Paradis sur terre, celui qui n'y entre pas dans l'ici et maintenant risque de ne pas y entrer dans l'au-delà ». Cette tension de transcendance vers le Divin ne doit obéir à aucune condition historique, si dure soit-elle. Elle ne doit pas être perturbée par la tempête par notre mondialisation. Au contraire, elle doit être le moteur véritable d'une transformation par un combat (jihâd) moral et spirituel, en quête de rectitude, de force, d'équilibre et de paix intérieure. Une mystique qui produit de l'intelligence, de la culture et de la civilisation. Car Dieu ne changera pas l'état des gens tant que ceux-ci n'auront pas changé leur intérieur, nous rappelle le Coran. Autrement dit : change-toi, ton monde changera ! Fais régner le Royaume de Dieu sur ton cœur, il adviendra dans ton monde !
Mais il ne faut pas se tromper de combat, ni d'ennemis, ni de champs de bataille. « Le vrai combattant (mujâhid), nous dit le Prophète, c'est celui qui combat son ego (nafs), comme lieu de passions négatives dans la voie de Dieu ».
En effet, il est très difficile d'affronter son ego, et c'est pourquoi nous le fuyons, lui préférant l'acharnement contre des ennemis virtuels, faciles à désigner. Or le véritable ennemi est celui qui nous habite, et souvent, nous le défendons et le protégeons : il s'agit de l'ignorance et de la décadence intellectuelle, morale et spirituelle.
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19 avril 2013 17:32
Assalam alaikoum


LA DIMENSION SPIRITUELLE DANS LA RÉVÉLATION


Résumé
Poser la question des relations entre la spiritualité et la Révélation revient à réfléchir sur les relations entre deux modes de connaissance, ou deux modes de dévoilement. En islam, peut-être plus qu'ailleurs, cette relation est inscrite dans la personnalité et l'exemple du Prophète puisque la vocation prophétique fut orientée, ou à tout le moins préparée, par une vocation spirituelle. Le rapport de la spiritualité à la Révélation est donc dès l'abord double : la spiritualité est prédisposition humaine à la réception de la Révélation, mais elle est aussi et surtout, relation intérieure à la Révélation elle-même, intériorisation spirituelle du message de cette dernière (de la Révélation). Le Coran nous enseigne en effet que le Prophète a été envoyé pour enseigner aux humains le Livre et la Sagesse, yu'allimukum al-kitâba wa-l-hikma.

Poser la question des relations entre la spiritualité et la Révélation revient à réfléchir sur les relations entre deux modes de connaissance, ou deux modes de dévoilement. En islam, peut-être plus qu'ailleurs, cette relation est inscrite dans la personnalité et l'exemple du Prophète puisque la vocation prophétique fut orientée, ou à tout le moins préparée, par une vocation spirituelle. Comme on le sait, le Prophète, avant les premières révélations, avait coutume de fréquenter la grotte de Hira pour se livrer à des retraites spirituelles. Ces retraites ne furent évidemment pas déterminantes par rapport à la Révélation elle-même, puisque cette dernière (en tant que tanzîl) est un don parfaitement libre de Dieu. Cependant il est impossible de ne pas prendre en compte le fait que le Prophète, en tant qu'homme, ne se trouve pas seulement marqué a priori par une vocation morale et sociale se manifestant dans ses qualités de marchand, d'époux et de membre éclairé et juste de la tribu, mais aussi par un appel spirituel issu des zones les plus profondes du cœur, lequel embrasse et anime, en définitive, l'action publique du Prophète. Cet appel se traduit par une « spiritualité », c'est-à-dire par une concentration sur le Divin qui transcende et relativise les prérogatives de l'individu dans une attitude d'islâm, d'abandon intérieur. Au niveau prophétique lui-même, c'est-à-dire à partir de la Révélation coranique, la spiritualité est essentiellement vécue par le Prophète comme un état de parfaite réceptivité et de parfaite obéissance. Et c'est sur la base de cette parfaite réceptivité que le Prophète peut être considéré comme dhikru-llâh, puisqu'il incarne à la fois la prière (« mention » de Dieu) et la vertu (« souvenir » vécue du Bien). Il s'identifie ainsi en son être le plus profond au souvenir de Dieu et à tout ce que ce souvenir implique ou engage.
Le rapport de la spiritualité à la Révélation est donc dès l'abord double : la spiritualité est prédisposition humaine à la réception de la Révélation, mais elle est aussi et surtout, relation intérieure à la Révélation elle-même, intériorisation spirituelle du message de cette dernière. Le Coran nous enseigne en effet sue le Prophète a été enseigné pour enseigner aux humains le Livre et la Sagesse, yu'allimukum al-kitâba wa-l-hikma. On remplirait des volumes à tâcher de définir la hikma. Ce qui est sûr, c'est qu'elle est la plus insigne excellence qui puisse être donnée à l'homme, et qu'elle comprend divers niveaux de manifestation et d'application. Ce qui est non moins sûr, c'est qu'elle découle de la connaissance de Dieu et en constitue, à un niveau ou un autre, une réalisation et une mise en pratique. Il serait fondé en raison, bien que peut-être par trop expéditif, de dire que le Prophète, en enseignant le Livre et la Sagesse, enseigne la forme, l'extérieur, le Livre récité ou écrit, mais aussi l'intérieur, le contenu, le Livre vécu, pour ainsi dire. C'est la raison pour laquelle la hikma a souvent été identifiée par les mufassirûn (exégètes) à la Sunna ; il s'agit donc, en définitive, d'une capacité à percevoir les choses telles qu'elles sont, et ce sur le modèle du Prophète lui-même ; ce qui revient concrètement à une excellence de caractère vis-à-vis de Dieu et des hommes, dont la Sunna dans toute sa diversité est le moule formel et circonstancié.
Le Prophète enseigne donc la lettre et l'esprit, les deux n'étant pas tant en opposition qu'en relation de complémentarité. On peut dire que la sagesse est l'essence du Livre, ou son contenu central, puisque le Livre n'enseigne rien d'autre, en définitive, qu'une conformité de connaissance et d'action à la Réalité divine et à son ordre créateur. En même temps, la sagesse est nécessaire pour accéder au sens profond du Livre, et c'est ici qu'éclate au grand jour le débat ancestral entre Zâhirites et Bâtinistes : les premiers niant tout sens intérieur du Coran au nom d'une évidence un unilatérale et planimétrique, les seconds considérant que la position des premiers est une insulte à l'infinitude divine – et secondairement à l'intelligence humaine, et une réduction du message universel et inépuisable du Livre aux limites de tel lecteur. C'est ici que la voie de connaissance soufie prend ses distances vis-à-vis de tout littéralisme étroit. Selon Berque, le cheikh al-'Alâwî se faisait, dans l'intimité spirituelle, le défenseur et le témoin de la « pluralité anagogique du Coran ». Cette polysémie (pluralité d'aspects) du texte révélé était en fait à la base de sa spiritualité. Allant même plus loin, « il avouait que les hautes vérités sont un Don divin à l'initié ». Le Livre est donc un trésor de vérité spirituelles que Dieu dévoile à qui Il veut ; les vérité spirituelles peuvent être de purs dons divins, indépendantes en amont des limites formelles mais nécessairement revêtues, en aval, de formes accessibles à tel ou tel contexte, en vertu de le sentence prophétique : « parle aux gens à la mesure de ce qu'ils savent ». Le rapport entre spiritualité et Révélation est donc principalement une affaire de consonance entre le lecteur et le Livre. Comme le disait Henry Corbin, c'est le mode d'être du fidèle qui détermine le niveau d'actualisation du Livre. Tel lecteur, tel Livre : c'est donc bien la spiritualité qui actualise, ou plutôt ré-actualise la Révélation.
Ainsi, au début de la Voie, le cheikh al-'Alâwî a vu sa vocation spirituelle manifestée sans sa capacité intuitive et soudaine à saisir le sens intérieur des âyâts coraniques : « un autre effet de l'invocation fut que je comprenais plus que le sens littéral du texte (…) en un mot ma compréhension antérieure ne pouvait être comparée à celle dont j'étais maintenant doué, et la profondeur de celle-ci s'accrût au point que, si quelqu'un récitait un passage du Livre de Dieu, mon esprit s'élançait pour percer le mystère de sa signification, avec une surprenante rapidité, à l'instant même de la récitation ».
On est frappé par deux points : premièrement, c'est l'invocation qui, en tant que source divine de connaissance, et synthèse de tout savoir spirituel, actualise la compréhension intérieure du Coran. Deuxièmement, cette compréhension [spontanée] n'est pas fonction d'une réflexion rationnelle étalée dans le temps, mais elle est pure inspiration dans l'instant, c'est-à-dire dans la présence divine elle-même qui ne peut être saisie qu'ici et maintenant. Dans le cas du cheikh al-'Alâwî, c'est le dhikr qui actualise l'intelligence du Coran, parce qu'il actualise précisément l'intelligence du Cheikh, l'un n'étant en un sens que le reflet de l'autre, et tous deux n'appartenant en définitive qu'à Dieu.
On pourrait voir, dans la situation herméneutique et spirituelle que nous venons de décrire, une sorte de « cercle » stérile et une relation fondamentalement statique, mais il n'en est rien ; car la sagesse a des degrés, et l'écriture a des niveaux. La sagesse est un approfondissement de la connaissance de Dieu qui va de l'écorce au noyau. Il n'y a pas d'un côté sagesse, et de l'autre absence de sagesse : la sagesse est un cheminement de l'ignorance vers la certitude : un dévoilement progressif, lent ou rapide selon les cas, de la nature des choses. Quant au livre, ses sens se superposent à l'infini puisqu'il procède de l'infini et y ramène selon une indéfinité de modes et degrés de compréhension.
Le plus profondément, la réciprocité entre Livre et Sagesse, entre Révélation et spiritualité si l'on veut, ressortit de ce que le Livre est fondamentalement rappel (dhikr) ; il est rappel de ce qui est connu de toute éternité dans la fitra-l-ilâhiyya, et donc par là rappel de la sagesse. C'est là l'instinct spirituel le plus profond qui, selon le cheikh al-'Alâwî, est « un sentiment impossible à étouffer entièrement quoi qu'on fasse ». Il y a donc approfondissement réciproque [dynamique et non statique] de la sincérité intérieure du cœur (par fréquentation du Livre, le rappel) et de la compréhension du Livre dans ses degrés les plus profonds. En d'autres termes, il y a réciprocité dans l'actualisation du contenu du Livre et celle (l'actualisation) du contenu de l'âme : le Coran comme un miroir pour l'âme [où elle s'actualise, elle se connaît], et l'âme un miroir pour le Coran [où il s'actualise, il se connaît]. C'est ainsi que, selon Ibn 'Arabi, Dieu est le miroir dans lequel l'homme se connaît [et comme le dit le Coran, l'oubli de Dieu entraîne l'oubli de soi-même, et inversement, le rappel de Dieu est un rappel à soi-même], ce qui signifie essentiellement que l'homme est un miroir dans lequel Dieu se connaît [et comme dit le hadîth : celui qui connaît son âme, connaît Dieu, ce qui signifie que l'âme est un miroir dans lequel se connaît Dieu].


(À suivre)



Modifié 1 fois. Dernière modification le 20/04/13 13:34 par faqir.
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20 avril 2013 13:33
Assalam alaikoum

Le Coran est à la fois Vérité et Présence. Il est à la fois le fondement du message de Vérité de l'islam en même temps que le véhicule privilégié de la Présence divine, en tant que Parole de Dieu. Il est d'une part saine « nourriture » pour le mental qui distingue, discerne et médite, d'autre part « breuvage » enivrant pour l'âme qui s'abandonne à sa théurgie unitive. C'est là une subtile alchimie que celle des relations entre un contenu didactique et un contenant mystique. Et c'est aussi, en un certain sens, une des significations des deux désignations du Livre comme Qur'ân et Furqân. Le Furqâne discerne : c'est le Livre clair qui distingue l'erreur de la Vérité, le bien du mal. Cette distinction s'impose à l'esprit du Musulman comme une sorte de dualité mentale analogue aux deux parties de la première shahâda, le nafy (la négation) et l'ithbât (l'affirmation). Mais cette dualité n'est en un certain sens que l'écorce du message, puisque le Coran est aussi et avant tout message d'Unité et véhicule d'Union, donc Miséricorde. Les racines attribués au mot Qur'âne, « Q-R-' » ou « Q-R-N », signifient réciter, lire à haute voix, mais se réfèrent aussi parallèlement aux actions de lier, de rassembler et de réunir. Cette lecture est une recollection, elle rassemble la multiplicité existentielle et la transmue en une unité spirituelle. La lecture du Coran n'est donc pas un exercice mental, mais, pourrait-on dire, un exercice existentiel, puisqu'elle engage la voix, et en un certain sens le centre de la personne (l'être) débouchant sur cette Présence que le Coran désigne comme étant plus proche que notre veine jugulaire. C'est là aussi comme une expression des niveaux du dhikr, du dhikr de la langue au dhikr du cœur [et même plus].
La Révélation nous enseigne donc une intelligence qui n'est pas seulement mentale. Selon Martin Lings, « une des premières choses que doit faire le disciple (le novice) c'est de se défaire le plus possible de l'agilité de “l'intelligence profane” qu'un faqîr (disciple) comparaît un jour, pour notre profit personnel aux “pirouettes d'un singe attaché à un poteau”, et d'acquérir une agilité d'un autre ordre, comparable à celle d'un oiseau qui modifie constamment le niveau de son vol. Le Coran d'abord puis les Traditions du Prophète sont en islam les grands prototypes de cette sorte de mobilité ».
Le Coran est donc le modèle par excellence de l'intelligence spirituelle. Il nous enseigne à vivre l'intelligence dans sa dimension de profondeur, de verticalité, et aussi de fluidité, et non d'horizontalité et de fixité. Que sont ces changements de niveau auxquels le Coran nous invite ? Il ne s'agit pas ici d'une lecture ou d'une pensée simplement rationnelle, et donc toute située sur le même plan horizontal d'une chaîne, d'une séquence logique de concepts ou de mots. Dans une telle « logique », dans une telle phrase « bien construite » , sans ruptures et sans « non sequitur », la référence est toujours ce qui précède ou ce qui suit, c'est dire un élément de la même chaîne. c'est aussi, métaphoriquement, la chaîne par laquelle le singe est attaché au poteau. Ce à quoi le Coran nous invite, par contraste, c'est à des changements subits de niveau en fonction de la seule référence réelle, à savoir le Centre divin. Dans une telle perspective spirituelle, tout point est potentiellement ou actuellement relié au Centre [immuable et infini]. Ici se situe l'axe qui libère des enchaînements, ou par lequel s'opère l'aspiration par le haut. Au lieu de se donner l'illusion d'une maîtrise rationnelle de la pensée [ainsi s'enchaîner], il s'agit bien de s'abandonner à l'intelligence divine, universelle, et de se laisser porter par elle, autant que faire se peut [ainsi se libérer, telle la chrysalide se métamorphosant en papillon pour prendre son envol].
C'est aussi ce que nous enseigne, entre autres multiples significations, un verset de la sourate al-Nahl (l'abeille) :
« N'ont-ils pas vu les oiseaux assujettis [au vol] dans l'atmosphère du ciel sans que rien ne les retienne en dehors d'Allâh ? Il y a vraiment là des preuves pour les gens qui croient. » (16-79)
f
23 avril 2013 15:50
Assalam alaikoum


LES COMMENTAIRES DU CORAN DU CHEIKH AHMAD AL-'ALÂWÎ


Résumé

Les écrits du cheikh al-'Alâwî sur le Coran ne peuvent être qu'en partie qualifiés de « commentaires ». Dans plusieurs traités qui relèvent de la science traditionnelle du commentaire coranique (tafsîr), le Cheikh n'interprète pas seulement le Coran, il le vit intensément comme une réalité intériorisée en lui.

Tel l'exprime son poème, bien connu, la Lutfiyya, prière à Dieu :

Tu sais notre amour du Coran, comment il a pris place dans le cœur et sur la langue
Jusqu'à se mêler à notre sang, notre chair, à nos veines, nos os et tout notre être.

Assurément, ces vers expriment une expérience de la Révélation propre aux « Gens du Coran » dont la tradition dit qu'ils « sont les Gens de Dieu et Son élite » Ahl al-Qur'ân ahl Allâh wa khâssatuh [et le Coran : les « Gens du dhikr »].
Si l'on considère l'ensemble de son œuvre, on constate la place éminente qu'y tient le commentaire coranique dès son accès à la maîtrise spirituelle et jusqu'à la fin de sa vie. Le commentaire de sourate l'Étoile (al-Najm, 53), le Lubâb al-'ilm, celui des premières lettres de l'alphabet, al-Unmûdhaj al-farîd, le commentaire de la sourate le Temps (al-'Asr, 103), Miftâh 'ulûm al-sirr. Son tafsîr inachevé , al-Bahr al-masjûr, est une œuvre de maturité, interrompue par la mort de son auteur. Ces textes, comme toutes ses œuvres, sont de portée différente et ont été composés pour répondre aux exigences du moment. Ils n'en suivent pas moins une même orientation, celle d'un être qui plonge son calame dans l'encre de la science inspirée, sans négliger toutefois, comme point de départ, le recours à la littérature de l'exégèse coranique.

Les faces multiples du Coran
Le commentaire inachevé, al-Bahr al-masjûr fi tafsîr al-qur'ân bi mahdh al-nûr, pourrait être qualifié d'introduction à une lecture plurielle du Coran, depuis le sens obvie nécessitant une simple explication, jusqu'au sens le plus profond. Celui-ci reste discrètement abordé, même s'il inspire l'ensemble.
L'introduction de ce commentaire énonce six principes que le lecteur doit garder en mémoire pour progresser dans la lecture. Ils expriment une vision du Coran que le Cheikh veut transmettre à son lecteur, pour l'en convaincre mais surtout pour le guider sur la voie du Coran vers Celui qui l'a fait descendre sur le cœur du Prophète et qui ne cesse de le faire descendre sur le cœur de ceux qui, à sa suite, le récitent et le lisent comme une révélation.

Premier principe : le Cheikh défend précisément l'ininterruption de l'inspiration divine dans la communauté du Prophète et la présence en elle dune élite spirituelle comparable à celle des premières générations de l'islam : « À Dieu ne plaise que le Bien-Aimé laisse la communauté de Son bien-aimé – sur lui la grâce et la paix – en pure perte ». De nombreux hadîths sont cités à l'appui.

Second principe : Le Coran ne cesse, tel un jardin verdoyant ou un arbre de grande taille aux branches étendues [parabole citée dans le Coran sur la bonne parole, et il n'y a pas de parole plus bonne que celle du Coran], de produire des fruits de connaissance et de sens, car, selon la parole attribuée 'Alî Ibn Abî Tâlib, « ses merveilles (du Coran) ne s'épuisent point (lâ tanqadhî 'ajâ'ibuhu) ». Il comporte de multiples possibilités d'interprétation, selon le hadîth d'Abû al-Dardâ' : « On n'a pas une compréhension [[i]fiqh[/i]] totale de la religion tant qu'on ne voit pas dans le Coran de nombreux aspects (lit. « faces ») » : lan tafqaha qulla-l-fiqh hattâ tarâ li-l-qur'ân wujuhân kathîra ». Quant à la hiérarchie des interprétations, la référence scripturaire en est le hadith bien connu, cité également par le Cheikh : « le Coran a un sens extérieur (dhâhir) et intérieur (bâtine), une limite (hadd) et un point de vue supérieur (matla') ». L'Imâm 'Alî commentait ainsi cette tradition : « Le sens extérieur en est la récitation, le sens intérieur la compréhension, la limite en est l'expression claire ou allusive et les statuts légaux de l'illicite ; le point de vue supérieur est ce que Dieu attend du serviteur dans chaque verset ». Le cheikh al-'Alâwî s'inscrit ainsi dans une longue tradition d'exégèse spirituelle remontant aux Compagnons et donc au Prophète lui-même.

Troisième principe : cette compréhension intérieure du Coran relève d'une connaissance inspirée, jaillissant du cœur et non simplement transmise par la langue et l'écriture. À la suite de certains Compagnons du Prophète, y ont accès ceux dont « les corps sont sur la terre et l'esprit attaché au plus haut qui soit », les vrais représentants (khulafâ) de Dieu sur terre. Pour le Cheikh, comme pour tous les maîtres, la compréhension du Coran est fonction de la sainteté et du degré spirituel du lecteur.

Quatrième principe : le Coran doit être lu comme un discours adressé à chacun personnellement, de même que le Prophète est envoyé ici et maintenant à chaque homme. Il ne suffit pas, par ailleurs, de croire que le Coran est la Parole de Dieu. Il faut l'entendre et l'écouter ainsi. Ici encore herméneutique et sainteté coïncide car la parole doit être entendue comme étant celle de Dieu lui-même, selon le hadith « du saint » (hadîth al-walî) : « …Mon serviteur ne se rapproche de Moi par quelque chose que J'aime plus que les œuvres obligatoires et il ne cesse de se rapprocher de Moi jusqu'à ce que Je l'aime et quand Je l'aime, Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit... ». L'audition et l'interprétation de la Parole divine sont donc à la mesure de l'état de l'homme avec Dieu et, à la mesure de cet état, la Parole exerce un effet, tant sur le plan spirituel que physique [ce qui consiste en le principe de réciprocité déjà mentionné auparavant, la lecture est fonction de l'état spirituel, et l'état spirituel est fonction de la lecture]. Le Cheikh raconte à ce propos qu'il éprouvait à la lecture du Coran un tremblement : « C'était, dit-il, comme si j'entendais un son retentissant encore du tintement de la cloche (mine baqiyyat salsalat al-jaras) », allusion à la modalité la plus éprouvante de la descente du Coran sur le Prophète. La sainteté prenant toujours la forme d'un héritage prophétique, ceci se traduit entre autre par la manière dont les hommes de Dieu reçoivent le Coran. Le Prophète le reçut tout d'abord intérieurement dans sa globalité (jumlatane), puis de manière successive et fragmenté (ou « étoilée » : munajjamane) ainsi que les Compagnons (de manière successive et fragmentée), tandis que les générations suivantes le reçoivent tout d'abord (extérieurement) dans sa globalité, sous la forme de l'exemplaire du Coran (mus-haf), puis il redescend (intérieurement) à nouveau sous cette forme « étoilée » sur le cœur des connaissants qui accèdent ainsi à la compréhension de certains versets et sourates. Les anges accompagnent cette descente pour qu'ils en reçoivent le sens et réalisent ainsi l'héritage prophétique qui fait d'eux les véritables gardiens de la religion, l'argument de Dieu à l'égard des hommes (hujjat Allâh 'lâ l'âlamîne), comme les prophètes avant eux. C'est ainsi que le Cheikh comprend le verset : « Ceux qui disent : notre Seigneur est Dieu puis font preuve de rectitude, les anges descendent sur eux... » (Coran 41, 30). Mais il sait aussi se mettre à la portée de tous les lecteurs du Coran pour leur faire partager la manière dont il faut le recevoir. Il faut, dit-il, se mettre à le lire avec une émotion comparable à celle d'un étranger qui, loin de sa patrie et de ses siens, vient de recevoir une lettre de sa famille. Belle image du Coran, patrie spirituelle du croyant.

Cinquième principe : le discours s'adresse à tout un chacun et plus précisément à ceux qui sont concernés par tel passage, quelle que soit l'époque. Ainsi, lorsque le Coran interpelle le Prophète en lui disant : « ô Prophète » ou « ô Envoyé », ce vocatif vise après lui ses héritiers et au premier chef le Pôle muhammadien. C'est pourquoi, explique le Cheikh, le Prophète n'est généralement pas appelé dans le Coran par son nom propre mais par sa qualité ou sa fonction. Remontant dans l'histoire de la Révélation, il considère que le verset de la Torah commençant par : « ô puissant, prends ton épée », peut très bien viser le Prophète, car il évoque l'une de ses qualités, en l'occurrence de celle de khalîfa, à l'instar de David. Qu'il s'agisse de ses héritiers ou de ses prédécesseurs, c'est en réalité le Prophète qui est toujours interpellé car l'appel a été entendu par la lumière cachée de la prophétie. La règle herméneutique ainsi énoncée repose sur la doctrine de la Lumière ou Réalité muhammadienne, source de toute illumination et présente dans son intemporalité ou plutôt son actualité, incluse de toute éternité dans le Verbe. C'est par cette Lumière que la Parole confère également à chaque héritier de la prophétie « notre part ou plutôt notre compréhension du Livre de Dieu », tout particulièrement dans les nombreux versets ou propositions commençant par l'impératif « dis ! (qul) ». Tous ceux qui, à l'instar du Prophète, lisent la parole comme venant de Dieu, non d'eux-mêmes, sont concernés, à un degré ou un autre par ces versets.

Sixième principe : le plus important dans la réception du Coran est de le considérer avec une foi infaillible comme venant de « la Présence du Tout-Miséricordieux » (hadrat al-Rahmân), car l'enseigne ('unwâne) du Coran est « Voilà le Livre; pas de doute à son sujet » (Coran 2, 2). Le cheikh al-'Alâwî sait tous les doutes émis sur l'origine divine du Coran, anciennement comme à son époque. La dimension historique de la Révélation, les circonstances de la constitution et de la mise en forme du Coran tel qu'il nous est parvenu, ne lui échappent pas. Il rappelle par exemple la question débattue de l'ordre des sourates, émanant d'une décision divine (tawqîf) ou relevant de l'initiative (ijtihâd) des Compagnons. Pour lui les faits historiques et l'action des hommes ne contredisent nullement l'inspiration de Dieu qui a garanti la protection de Sa révélation : « C'est Nous qui avons fait descendre le Rappel (al-dhikr = le Coran) et c'est Nous qui en sommes les gardiens » (Coran 15, 9). À travers la matérialité et l'historicité du texte, les connaissants perçoivent la présence et l'intervention divines dans l'ordonnance du Livre ainsi que la descente des anges qui, selon de nombreuses traditions, accompagne celle du Coran.


(À suivre)
f
24 avril 2013 20:33
Assalam alaikoum


La démarche exégétique du Cheikh (dans son commentaire « al-bahr al-masjûr ») consiste à aborder successivement quatre niveaux d'interprétation : le commentaire simple (tafsîr) concernant le sens général du verset (al-maqsûd al-'âmm), accessible à tous ; la déduction (istinbât) des statuts juridiques ou jugements intellectuels (ahkâm) ; l'allusion ou indication spirituelle (ishâra) exprimée selon la terminologie des soufis ; enfin le langage de l'Esprit (lisâne al-Rûh). « Ce sont quatre fleuves », précise-t-il, faisant allusion aux fleuves du Paradis, symbole de différents plans ou modalités de connaissance : « il y a en lui (en le Paradis) des fleuves d'eau non gâtée, des fleuves de lait dont le goût ne s'est pas altéré, des fleuves de vin, délice pour ceux qui boivent et des fleuves de miel purifié... » (Coran 47, 15). En citant encore, en conclusion de cette introduction (de son commentaire), l'abreuvement des Douze Tribus par Moïse, en frappant le rocher de son bâton : « Chaque homme savait où il devait boire » (Coran 2, 60), il suggère tout aussi allusivement que la lecture de la Révélation est nécessairement plurielle et qu'elle ne peut que jaillir du cœur, symbolisé par le rocher touché par le bâton miraculeux de la prophétie.

Pour donner un aperçu de ces quatre degrés, on se limitera ici au commentaire de la basmala : bismi-llâhi l-Rahmâni l-Rahîm « au Nom de Dieu, le Tout-miséricordieux, le Très-Miséricordieux », par laquelle commence le Coran ainsi que toutes les sourates sauf une.

C'est par l'évocation de la Miséricorde que le Cheikh inaugure son tafsîr. La mention de ces Attributs divins annonce la grâce subtile de Dieu pour Ses serviteurs (lutf Allâh bi-'ibâdihi), même s'ils se détournent de Lui. L'ordre divin et prophétique de prononcer et d'écrire cette formule en toute occasion a pour but de rattacher toute chose à Sa bénédiction et aux Noms divins qui la composent. Se situant à ce stade du commentaire sur un plan éthique-religieux immédiatement saisissable par quiconque, le Cheikh constate qu'évoquer le Nom de Dieu et non celui de quelque roi ou grand personnage, revient à mettre sur un pied d'égalité tous les serviteurs de Dieu. Le seul mérite d'un homme par rapport à un autre réside dans le degré de son rattachement à Dieu, selon le Coran : « Le plus noble d'entre vous auprès de Dieu est le plus pieux » (Coran 49, 13) ou le hadith : « Personne n'a de supériorité sur quiconque si ce n'est par la piété ». Par ailleurs, la prononciation de la basmala fait que l'acte accompli au Nom de Dieu, l'est aussi avec Sa permission(idhn) et donc conforme à Sa Loi, alors que celui qui agit sans invoquer Son Nom, institue en quelque sorte sa propre loi. À travers la simplicité de ce commentaire, on sent un maître immergé dans la Présence divine, soucieux d'appeler les hommes à Elle, en douceur, en leur faisant déjà pressentir quelques principes de la Voie.

Il passe ainsi au second degré de l'interprétation, l'istinbât (déduction) [dans un verset il est dit : « en auraient connaissance ceux d'entre eux qui en font apparaître le sens (yastanbitûna) »], consistant à faire « jaillir » du texte, par le travail de l'intelligence, un certain nombre de significations ou jugements (hukm pl. Ahkâm), une loi au sens large et non exclusivement juridique.
Il induit ainsi de la basmala les quatre ahkâm suivants :
- si Dieu a ouvert ainsi Son Livre, on comprend qu'il faut commencer par elle tout acte louable ;
- si Dieu a choisi de qualifier Son Essence par les deux Noms divins « le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux », c'est qu'Il veut être loué par Ses Attributs de Beauté ou de Miséricorde beaucoup plus que par ceux de Majesté ou de Rigueur ;
- la mention successive de ces deux Noms implique qu'ils ont chacun un sens propre, sinon ce serait une répétition ;
- le fait de dire « Au Nom de... », ou plutôt « Par le Nom... » suppose que le Nom soit le Nommé lui-même. Sinon, comment pourrait-on demander de l'aide par le « Nom » ?
On perçoit la pédagogie du Maître qui fait passer insensiblement, le lecteur ou le disciple du stade de la réflexion à celui de la réception intuitive du sens par l'allusion spirituelle (ishâra).
Comprendre le Coran par allusion, c'est percevoir à partir de la Lettre un sens qui concerne personnellement et directement le lecteur dans sa relation avec Celui qui lui adresse la Parole [c'est acquérir en quelque sorte cette disposition spirituelle pouvant détecter ce sens].
Le fait que la particule (la lettre) bâ' « au » ou « par » (le Nom de Dieu) soit collé (iltisâq) au Nom de Dieu indique que toute chose « colle » à Dieu, non bien sûr au sens d'un contact sensible car si le contingent touchait l'éternel, il s’évanouirait aussitôt, mais parce que toute chose subsiste par Dieu et non par elle-même si bien que son être (wujûd) est comme « emprunté » (musta'âr) à l'Être de son Existenciateur. À ce propos, le Cheikh cite souvent ce vers :

Celui dont l'essence n'a pas d'existence par elle-même,
Son existence, n'était Lui, serait l'impossibilité même.
Sur un plan graphique, l'écriture du bâ' de la basmala plus haut que le bâ' ordinaire pour indiquer l'alif supprimé de ism « nom », vient de ce qu'il se rattache au nom et donc au Nommé. Cette élévation du bâ' indique que les hommes de Dieu qui se rattachent au Nommé, s'élèvent pour cette raison au-dessus de l'humanité ordinaire. D'autre part, cette élévation qui tient lieu de l'alif fait allusion à la lieutenance (niyâba) que l'héritier muhammadien exerce de la part de Dieu sur la création.
La basmala, placée en tête et comme au sommet du Livre, indique l'élévation de Dieu au-dessus de toute chose et de Son trône, non pas ici en tant qu'Il embrasse ainsi toute Sa création [non par la considération d'immanence] mais en tant qu'Il est par Sa présence transcendante dans chaque être [par la considération de transcendance], tout comme chaque sourate commence par la basmala.
Enfin, la tradition selon laquelle tout le Livre est dans la basmala, est une allusion à la résorption (intiwâ') de toute chose dans l'être de Son existenciateur.
À propos des trois noms divins de la basmala : Allâh, al-Rahmâne, al-Rahîm, le Cheikh relève l'antériorité de l'Essence divine qui inclut en Elle, comme un trésor caché (fi hâl al-kanziyya), tous les Noms et Attributs. Parmi ceux-ci, al-Rahmân (le Tout-Miséricordieux) est le premier qui se soit manifesté, signe de son antériorité sur les autres noms divins, ceux de Colère et de Rigueur en particulier. Le Tout-Miséricordieux embrasse toute chose qu'elle quelle soit [ce dont consiste l'istiwâ, l'établissement du Tout-Miséricordieux, sur Son trône, ainsi Sa création]; par lui « l'incroyant jouit de délices de l'existence et Satan s'est rebellé ». Le nom al-Rahîm (le Très-Miséricordieux), la dernière des descentes (âkhir al-tanazzulât) est pour cette raison, caché dans la finalité des actes des créatures.
Revenant ensuite à l'ensemble de la basmala, le Cheikh s'interroge sur ce qui dépend d'elle. Qu'est-ce qui est « au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux » et qui se trouve, de point de vue de l'analyse grammaticale, sous-entendu (mahdhûf) ? L'allusion contenue dans cette question est à la mesure du degré spirituel du lecteur du Coran. Pour celui qui est immergé dans la vision de la grandeur de Dieu (al-mustghriq fî 'azamat Allâh), ce qui dépend de la basmala est totalement mahdhûf, lit. « supprimé », ni existant ni non existant. Celui qui est doué d'intuition spirituelle (shu'ûr) voit l'Essence de Dieu précéder Son acte et trouve donc en Dieu la preuve de ce qui procède de Son Être ; pour lui, le sous-entendu est donc postérieur. Celui qui progresse vers Dieu voit l'acte avant l'Agent et parvient ainsi jusqu'à Lui [à travers l'acte, qui pour lui comme preuve sur l'Agent, la création comme preuve sur le Créateur, alors que pour le premier, c'est le Créateur qui, en Lui-même, la preuve sur la création, voyant le Créateur avant la création, l'Agent avant l'acte]; pour lui, le sous-entendu précède la basmala.
C'est ainsi que le Cheikh fait accéder son lecteur à la compréhension du « langage de l'esprit », celui qui exprime la seule réalité divine où se résorbe la dualité de l'existence. Selon ce langage, la particule bi (le bâ', « b », avec kasra, « i », comme voyelle) par extension de la voyelle (de la kasra) est entendue « par Moi », ce qui signifie : « Par Moi est le Nom de Dieu. C'est Toi qui M'a manifesté, comme Moi, je T'ai manifesté ». Par l'intermédiaire du Nom, l'Essence se manifeste et se révèle à elle-même.
Le développement des quatre niveaux d'interprétation varie en importance selon les versets. Certains passages donnent lieu à de amples développements. On en donnera un exemple concernant le début de la sourate al-Baqara (la Vache), du point de vue de l'allusion spirituelle (sans les trois autres niveaux) : « A-L-M (alif, lâm, mîm). Voilà le Livre ; pas de doute à son sujet... » (Coran : 2,1). Le Livre signifie ici non seulement l'Écriture mais aussi l'ensemble de l'univers «descendu », c'est-à-dire issu de la «Présence sacro-sainte et du rayonnement de la Divinité », reliés à la dernière lettre de A-L-M, le Mîm qui symbolise la «Poignée de lumière et la Présence muhammadienne » à partir de laquelle les êtres ont été manifestés. « Le monde, dit-il, et tout ce qu'il contient est lumineux de tous les points de vue, que tu le saches ou non ; « Nous n'avons crée les cieux, la terre et ce qui est entre eux que selon le Vrai (al-Haqq) » (Coran : 15, 85 – 46 ; 3), que tu en aies ou non la contemplation. Celui qui ne voit pas le monde comme émanant du Vrai et descendu selon Lui ne peut saisir l'existence des lumières ; les nuages des altérités mettent un voile entre lui et le soleil des connaissances... ».

L'exégèse comme appel à Dieu

Le Miftâh 'ulûm al-sirr fî tafsîr sûrate wa-l-'asr « La Clé des sciences du secret dans le commentaire de la sourate “ Par le Temps ” » illustre un autre aspect de la personnalité intellectuelle et spirituelle du Cheikh. Son discours paraît tout d'abord s'inscrire dans une certaine tradition philosophique, celle de la Hikma, la sagesse islamique pour laquelle l'esprit doit se détacher du corps et des passions sensuelles pour parvenir à la félicité éternelle. L'interprétation du serment initial wa-l-'asr par le Temps (al-Dahr) commence par aller en ce sens, mais ne tarde pas à remonter vers le principe métaphysique du temps, à partir du hadith qudsî où Dieu s'identifie lui-même au Dahr. Après avoir envisagé différents aspects du temps, le Cheikh conclut finalement qu'il est le lieu où se déroule l'existence de l'homme, avec tout ce qu'elle comporte d'événements et de déboires, d'où l'accent particulièrement fort mis sur la perte de l'homme, par le serment du verset 1 : « Par le Temps » et par les particules d'insistance dans le verset 2 : « Certes l'homme vraiment est dans une perte (innal-insâna lafî khusr) ». L'insistance du Coran est d'autant plus forte que l'homme ordinaire est inconscient de cette perte tant que sa nature spirituelle (rûhâniyya) ne l'emporte pas sur sa nature physique ('unsuriyya). L'homme est dans cette situation de perte tant qu'il reste au niveau de « l'homme second » enfermé dans le monde des sens ou de l'homme animal (hayawânî) par opposition à l'homme « seigneurial » (rabbânî). Les rabbâniyyûn désignent dans le Coran les savants inspirés et plus précisément ceux qui se consacrent à l'enseignement et à l'étude du Livre (voir Coran 3, 79). L'homme devient rabbânî lorsqu'il accède au monde de l'esprit après avoir voyagé de son être extérieur vers son être intérieur et retrouve son statut d' « homme premier » (al-insân al-awwal), perdu depuis la Chute. La perte de l'homme vient de ce qu'il se considère être avant tout comme un corps, alors qu'il n'est pleinement homme que par l'esprit. C'est ainsi que le Cheikh comprend l'expression coranique : « Ils ont oublié Dieu et Il les a fait oublier leurs âmes » (Coran : 59, 19) qu'il rapproche de : « Nous avons crée l'homme dans la plus belle constitution. Puis Nous l'avons renvoyé au plus bas des bas » (Coran : 95, 4-5). Il distingue de même la création première de l'homme (l'homme premier, spirituel) de la formation de son être corporel (l'homme corporel) dans : « Nous vous avons crée puis Nous vous avons formés (puis Nous avons dit aux anges : prosternez devant Adam) » (Coran : 7, 11).
Sa démarche exégétique procède souvent par ce type de rapprochement qui donne aux versets une dimension supérieure (en fait, elle ne fait qu'illustrer cette dimension). L'interprétation du Coran consiste donc à rappeler à l'Homme sa nature première purement lumineuse pour le ramener à son origine et le conduire à la félicité éternelle, selon la phrase attribuée à l'Imâm 'Ali : « Vous avez été crées pour l'éternité originelle » (khuliqtum li-l-abad). Le commentaire, en développant une anthropologie spirituelle, donne toute sa force au nom de l'homme (al-insân). Le dernier verset : « Sauf ceux qui croient, accomplissent les œuvres saintes, se recommandent mutuellement la vérité et se recommandent mutuellement la patience » excepte de cet état de perte quatre catégorie d'hommes dont les vertus suivent un ordre hiérarchique. la foi est la condition évidente du retour à l'origine et son absence « une perte manifeste » (Coran : 4, 119) ; les œuvres confirment la foi et la plus haute d'entre elles (des œuvres) consiste dans le rappel mutuel de la vérité (al-haqq). En se conformant à l'ordre coranique de commander le bien et d'interdire le mal, ceux qui appellent à Dieu et à Dieu seul (al-haqq) se trouvent pour cette raison en but aux épreuves. C'est pourquoi ils doivent se recommander mutuellement la patience (al-sabr), comme le conseille Luqmân à son fils : « Ô mon fils, ordonne le bien, interdit le mal et supporte patiemment ce qui t'atteint ; cela est ferme détermination » (Coran : 31, 17). Seule la réunion de ces quatre vertus assure la délivrance finale (al-khalâs al-nihâ'î). Les prophètes les possèdent de manière innée et ceux qui, à leur suite, guident les hommes vers Dieu (al-murshidûn) les réalisent non sans un certain effort, à la mesure de leur héritage prophétique, en persévérant patiemment dans la voie qui est la leur. quant aux autres hommes, ils doivent se rattacher à celui qui rétablira en eux le lien d'amour ou d'amitié (al-wusla) qui les unit (spirituellement) à Dieu. Le Cheikh conclut par un enseignement prophétique bien connu, mais auquel il donne dans ce contexte toute sa force en le considérant comme le chemin le plus sûr vers la délivrance finale : « Aucun de vous ne sera véritablement croyant tant qu'il n'aimera pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même ». Cette conclusion du commentaire de la sourate al-'Asr montre combien l'herméneutique du cheikh al-'Alâwî illustre ce qu'il est, un maître spirituel muhammadien, aimant pour ses frères ce qu'il aime pour lui-même, œuvrant ici par la voie de l'exégèse à la délivrance de l'esprit.
 
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