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clichy sous bois- france
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26 janvier 2007 00:33
[www.dailymotion.com]

Docu fiction ARTE

Le 27 octobre 2005, trois jeunes de Clichy-sous-Bois poursuivis par la police se réfugient dans un transformateur EDF. Deux y mourront électrocutés, le troisième grièvement blessé trouvera la force de donner l’alerte.

Dès le lendemain du drame, le ministre de l’Intérieur soutient une version mensongère des faits : il n’y a pas eu de course-poursuite. Il faudra attendre huit jours pour que soit ouverte une information judiciaire.

Cette vérité, niée au plus haut sommet de l’Etat, sera le détonateur d’une explosion sans précédent des banlieues françaises. Trois semaines d’émeutes ont réveillé la mauvaise conscience d’une société sourde à la détresse de ses cités. Plus d’un an après, du côté des autorités, le silence a remplacé les déclarations tonitruantes. Les institutions démocratiques ont failli, des familles ont été méprisées, c’était à 17 km de Paris, surtout n’en parlons-plus…

Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Cinq mois après les faits, Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, les avocats des familles de Bouna et Zyed, et de Muhittin, le survivant, publient L’Affaire Clichy, Morts pour rien, un livre d’entretiens dénonçant la tentative d’étouffement de la vérité. Grâce à la productrice Fabienne Servan-Schreiber, leur « passion citoyenne » pour cette affaire trouve aujourd’hui un relais à la télévision, sous la forme inattendue d’une fiction. Libre adaptation du livre, L’Embrasement en restitue la force d’engagement et la dimension humaine. Chose rare, le projet sera finalisé en six mois grâce à la mobilisation de toute une équipe. Echéance électorale oblige.

Le premier à entrevoir la trame d’une fiction sous les mots des deux avocats, c’est Marc Herpoux, coscénariste du téléfilm. Il impose très vite sa conviction, qui sera aussi celle de Philippe Triboit, réalisateur et coauteur : pour exister, la fiction doit décoller des faits. En élargissant le propos au-delà des contours de l’affaire, L’Embrasement éclaire, à la manière d’un instantané, un peu de la réalité humaine qui se cache derrière le malaise des banlieues. Il a été conçu comme un objet romanesque à part entière intégrant sans complexe une dose de suspense ou d’émotion. Et introduit pour cela des personnages imaginaires : Alex, le journaliste Belge et son regard distancié, Sylvie, une policière au bord de la dépression, et un jeune émeutier, Ahmed, partagé entre rage et chagrin. Des personnalités à la fois justes et emblématiques qui ne croisent jamais les protagonistes réels pour ne pas influer sur le cours des événements.

Malgré les précautions, le choix de la fiction pour traiter un dossier aussi brûlant a de quoi susciter le doute. Difficile, en effet, de ne pas s’interroger sur la mise en image d’une affaire toujours en cours d’instruction (1). Pourtant, loin de constituer un obstacle, cette situation a guidé l’écriture du scénario. Tout ce qui est montré est avéré par les témoignages, le rapport de l’IGS (2) – la police des polices –, et le PV d’audition de Muhittin (3). Ces éléments sont distillés tout au long du film en réponse aux déclarations du ministre de l’Intérieur intégrées à la narration. Dans ce démontage cru de la version officielle, le film affirme sa raison d’être et comble, contre toute attente, un trou de mémoire collectif. Qui, sur la scène médiatique, s’est soucié de demander des comptes à Nicolas Sarkozy, et aux pouvoirs publics, pour la gestion catastrophique de cette affaire ? « Le but est d’intéresser des gens qui a priori ne se sentent pas concernés par le sujet », explique Philippe Triboit. Une démarche à laquelle Jean-Pierre Mignard adhère totalement : « Nous soutenons tout ce qui peut empêcher l’étouffement de l’affaire, à la condition qu’il n’y ait aucun risque de polémique préjudiciable à nos clients. »

De ce pari risqué aurait pu naître le pire, il en sort le meilleur : une œuvre dense, rigoureuse et engagée. « L’Embrasement est un film politique au sens républicain du terme, pas un film militant, explique Philippe Triboit. La manière dont il s’est fait était aussi importante que son contenu. » Rien n’aurait été possible sans l’approbation des familles et leur relecture vigilante du scénario. Le tournage sur les lieux du drame a aussi permis la participation de nombreux habitants de Clichy.

S’il adopte le point de vue des victimes, le téléfilm – et c’est sa grande force – évite toute vision manichéenne du fossé qui sépare les jeunes, la police, les institutions, les politiques. A aucun moment il ne s’agit de pointer du doigt des coupables, et encore moins de stigmatiser les forces de l’ordre. « Nous n’avons pas pu rencontrer les policiers de Livry-Gargan [il n’y a pas de commissariat à Clichy, NDLR], regrette Marc Herpoux, mais nous avons vu des reportages sur le mal-être des policiers en banlieue. Ils subissent une pression énorme. » Mesuré et nuancé, le film ne tombe pas pour autant dans la démonstration tiède, ni même dans une forme d’angélisme. Il s’attache à travers le regard d’Alex, le journaliste belge, à remplacer par des visages et des destins individuels des termes génériques chargés de fantasmes. Et explore jusque dans sa plus absurde réalité un monde où « les jeunes courent parce que la police les course, et la police les course parce que les jeunes courent… ».

Courir comme Zyed, Bouna et Muhittin, parce qu’on n’emmène pas ses papiers pour jouer au foot, courir pour ne pas passer des heures au commissariat, et pour ne pas faire déplacer les parents un soir de ramadan… Cette vérité-là, aussi simple et éclairante soit-elle, n’a jamais fait les gros titres. Isabelle Poitte

(1) Deux plaintes ont été déposées, l’une pour non-assistance à personne en danger, la seconde pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

(2) Début décembre, un rapport de l’IGS établit qu’il y a eu deux poursuites successives dont l’origine est l’intrusion de quelques jeunes sur un chantier privé. Il pointe également « la légéreté » d’un des policiers et le manque d’initiative de plusieurs autres, qui n’ont pas jugé utile d’appeler les services EDF.

(3) Les conditions de cette audition menée à l’hôpital ont été qualifiées de « manquement à la déontologie » par la Commision nationale de déontologie de la sécurité (CNDS).
 
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