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Dur, dur...les changements au pays
N
1 juin 2005 20:43
Soutenus par le Palais, les membres de l'institut culturel berbère mis en place par Mohammed VI se plaignent de l'hostilité de l'administration.

Le 27 juin 2002, dans l'immense salle du trône du Palais royal de Rabat, une quarantaine de militants amazighs attendent d'être nommés par le roi Mohammed VI au conseil d'administration de l'Institut royal de la culture amazighe (Ircam), mis en place par le chef de l'État le même jour. Comme toutes les cérémonies officielles, la manifestation est couverte par les deux chaînes de télévision publiques. Mais, ce jour-là, ordre leur a été donné de ne pas retransmettre les nominations royales, les membres du nouvel institut ayant, tout simplement, décidé de ne pas faire le baisemain rituel au souverain.

Ce « précédent » fait la une de toute la presse écrite. Le roi, quant à lui, ne réagit pas. Il se contente de définir les missions du nouvel organisme : « la sauvegarde, la promotion et le renforcement de la place de la culture amazighe dans l'espace éducatif, socioculturel et médiatique national ». Pour les membres de l'Ircam, c'est le point de départ vers la réalisation d'un certain nombre d'objectifs : rassembler les dialectes amazighs pour faire ressortir une « langue écrite et unifiée », relire l'histoire du Maroc en y incluant l'apport de la culture amazighe, assurer l'enseignement du berbère dans les écoles... Manuels scolaires, bandes dessinées, documents sonores, etc., constituent l'armature d'un projet piloté par une centaine de chercheurs.

Financé intégralement par le Palais, le budget de l'Institut n'est pas négligeable : plus de 7 millions d'euros par an. Mais la mission académique de l'Ircam est doublée d'une dimension politique reconnue par tous les observateurs. Les membres du conseil d'administration, nommés par le roi, sont en effet, dans leur majorité, d'anciens militants associatifs.

Si l'institut royal dispose de moyens financiers suffisants pour mener un projet scientifique aussi important, les problèmes ne manquent pas : « Ils concernent surtout les rapports avec l'administration, souligne Mohamed Chafik, ancien directeur du Collège royal et figure emblématique du mouvement amazigh. On peut même parler de guerre idéologique. » Pour les membres de l'Institut, il y aurait une franche hostilité de l'administration à l'égard de leur projet. « On le vit quotidiennement lors de nos réunions avec les responsables du ministère de l'Éducation nationale, pour la diffusion et la distribution des manuels scolaires », note Ahmed Assid, membre du conseil d'administration.

En avril dernier, la grogne prend une forme plus apparente. Sept membres de l'Institut décident de se retirer. Ils seront reçus à deux reprises par Meziane Belfqih, conseiller du roi, en vain. Dans un communiqué, ils expliquent les raisons de leur geste : « Le ministère de l'Éducation nationale, qui avait établi, au terme de 2008-2009, un programme de généralisation de l'enseignement de l'amazigh à tous les élèves et à tous les niveaux de l'enseignement... continue à déclarer officiellement son attachement au "livre blanc" et à la "charte nationale", documents élaborés avant 2001 qui assignent à la langue amazighe la fonction humiliante de support d'apprentissage de l'arabe durant les deux premières années du primaire ».

Les sept démissionnaires n'ont toujours pas été remplacés, ce qui traduit une certaine lassitude du Palais. Les membres de l'Ircam restés en poste partagent les mêmes reproches à l'encontre des départements ministériels concernés - l'Éducation nationale et la Communication notamment -, mais, pour eux, la politique de la chaise vide n'est pas la meilleure solution. « La culture amazighe a été, de tout temps, marginalisée, commente Ahmed Assid. On ne peut pas tout avoir tout de suite. Il faut au moins cinq ans pour voir plus clair. C'est la première fois qu'une stratégie globale est menée, de concert, entre toutes les composantes berbérophones. » Mohamed Chafik est sur la même longueur d'ondes : « Il y a, dans l'administration marocaine, et particulièrement dans les structures de l'enseignement national, une certaine amazighophobie qui puise ses fondements dans l'Histoire. Mais rien ne justifie ces démissions. »

Autre question délicate, la constitutionnalisation de la langue. Elle fait partie d'un débat plus large sur l'opportunité ou non d'une réforme de la Charte fondamentale. Mais constitutionnaliser quoi, et comment : l'amazigh en tant que langue « officielle » ou langue « nationale » ? Ou encore, se contenter de souligner, dans la Constitution révisée, l'apport de la culture amazighe ? Les membres de l'Ircam semblent décidés à revendiquer, sous peu, la constitutionnalisation de l'amazigh en tant que langue officielle. Pour l'instant, disent-ils, il faut « la préparer, pour qu'elle soit présentable en tant que langue rationnelle, écrite et moderne ».

Au Palais, on ne conçoit pas la question sous cet angle. Et on le fait savoir. Lors d'une déclaration à Beni Mellal (à 300 km à l'est de Rabat), il y a un an, le porte-parole du Palais royal, Hassan Aourid, a déclaré que « l'amazigh ne peut être considéré autrement que comme une langue nationale ».

Pourtant, et c'est là un des paradoxes du royaume chérifien, la monarchie est le principal soutien du mouvement amazigh. Les « militants » de l'Ircam, qui constituent le noyau dur de son conseil d'administration, sont convaincus, à l'instar de Mohamed Chafik, de « l'hostilité des partis politiques issus du mouvement national ». Ils procèdent, donc, par étapes : l'affirmation de l'amazigh comme langue écrite et unifiée d'abord, sa constitutionnalisation ensuite. Ceux qui n'ont pas quitté le navire se disent confiants en l'avenir.

OMAR BROUKSY
Source : Jeune Afrique
 
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