Silhouette droite, teint bronzé, visage tout plissé, Boujemaâ, 104 ans, vend des bougies et des cartes postales à l’église du Sacré Cœur de Casablanca. La colonisation, l’exil de feu Mohammed V, la résistance, l’indépendance… ce vieil homme s’en rappelle «comme si c’était hier». Sa mémoire n’a pas pris une seule ride. Né en 1902, dans un petit patelin au sud de Marrakech, Boujemaâ Baâlla n’a jamais été à l’école. Ses 7 frères et sœurs sont tous décédés. Leurs enfants sont aujourd’hui des retraités. Boujemaâ a connu plusieurs générations. Durant la colonisation française, il a travaillé au service du Pacha Thami El Glaoui pendant 3 ans. «Je préparais le méchoui pour lui et pour ses hôtes français», raconte le centenaire. A l’âge de 25 ans, il s’installe à Marrakech où il est contremaître dans une grande ferme appartenant à un Français, «Gérard». Il assume cette fonction pendant 12 ans. «J’étais fort et costaud à l’époque. Je supervisais des centaines d’hommes et de femmes», précise -t-il. Sur un coup de tête, il quitte la ferme. Direction Kénitra, puis Casablanca, où il s’installe définitivement. Il travaille dans différents commerces avant d’intégrer la maison Volvo. «J’ai beaucoup de fierté. Je faisais mon travail convenablement et je ne tolérais pas qu’on me manque de respect», note-t-il. Il quitte Volvo après plusieurs années pour faire du Sacré cœur de Casablanca son second domicile. Il s’y sent très à l’aise. Boujemaâ ne cache pas qu’il aime les femmes. «Je n’ai jamais fumé, jamais bu, mais je change souvent de femmes». Il en a épousé une demi-douzaine. «J’ai épousé six femmes, l’une après l’autre. J’aimais ça et j’avais les moyens alors, pourquoi m’en priver ?», plaisante-t-il. Sa première femme l’aura beaucoup marqué. Leur mariage a duré trois décennies. «J’avais 23 ans lorsque je l’ai épousée, et j’ai beaucoup souffert lorsqu’elle est morte. Dommage que je n’aie jamais eu d’enfants avec elle», se lamente-t-il. Avec ses autres épouses, il n’est jamais resté plus de 2 ans. Seule sa dernière lui a fait des enfants. Il l’a épousée alors qu’elle avait à peine16 ans. Lui, plus de 70. Cette sacrée différence d’âge n’a pas empêché le couple de durer. Boujemaâ a eu 5 enfants avec elle: 3 filles et 2 garçons. L’aînée a 27 ans et le cadet 18 ans. Au bout de quelque 27 ans de mariage, sa femme est à peine âgée de 43 ans. «Ma femme est encore toute jeune», se vante Boujemaâ. Ce vieil homme n’aura consulté un médecin qu’une seule fois durant toute sa vie. Il est fier de le rappeler : «Je n’ai jamais eu besoin de voir un docteur». Son secret, il fait très attention à son alimentation : «Je ne mange que du pain d’orge, beaucoup de salades avec toutes sortes de légumes», explique-t-il. Tant dans sa vie que ses idées, Boujemaâ demeure attaché à la vieille époque. «Tout allait mieux lorsque les femmes étaient aux ordres des hommes. Aujourd’hui, elles abusent trop de leurs libertés», déplore ce macho centenaire, mais toujours vert.
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