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Un autre visage de l'Islam
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5 août 2006 18:42
On peut précisément dater l’intérêt pour l’Islam de ce qu’il est commun d’appeler « l’occident » : la révolution islamique iranienne de 1979. Cet évènement fondateur sera suivi de la fin de l’invasion soviétique de l’Afghanistan, qui entraînera la prise du pouvoir par les talibans, de la terrible guerre civile en Algérie entre le FIS islamique et le pouvoir issu du FLN, de l’ « intifada » palestinienne, avec aujourd’hui l’arrivée au pouvoir d’un parti fondamentaliste, le hamas, des attentats du 11 septembre 2001 de New York et Washington qui entraîneront la chute des talibans, de l’occupation de l’Irak avec l’émergence politique du chiisme sous influence iranienne et, il faut appeler un chat un chat, une guerre civile. Malheureusement, chacune de ces situations présente le visage d’un Islam radical à l’occident. La vision de l’Islam par ce même occident en devient elle aussi radicale.


Des séries télévisées américaines (24 h / 24 par exemple) peuvent systématiquement présenter l’Arabe comme au mieux suspect, au pire un terroriste patenté, sans que beaucoup de monde ne réagisse ; des gouvernants américains, abondamment relayés par des chaînes de télévision (Fox notamment), présenter l’Irak, certes pays dirigé par un dictateur sanguinolent, comme complice du terrorisme islamiste, alors que le seul groupe qui se trouvait être effectivement présent sur ce territoire ne contrôlait que trois petits villages de montagne, qui plus est dans une zone interdite à l’armée irakienne et sous protection aérienne des avions américains ! Deux écrivain, MM Bernard Lewis et Samuel Huntington peuvent écrire des livres devenus best-seller (respectivement Le retour de l’Islam et Le choc des civilisations), sans que beaucoup de critiques osent dire que ces livres sont à l’évidence réducteurs, manipulateurs et manichéens. La télévision et la radio officielles iraniennes ou une chaîne télévisée libanaise (al-Manar) peuvent relayer à longueur de journée les propos révisionnistes de M. Ahmadinejad, président de l’Iran, grand pays influent et berceau d’une grande civilisation, ses appels à « rayer de la carte » Israël, ou diffuser un téléfilm inspiré des protocoles de Sion, sans que beaucoup de dirigeants ou intellectuels musulmans ne fassent entendre leur voix pour une condamnation ferme ; un prêcheur (M. Youssef al-Qardâwî) intervenir chaque semaine sur une chaîne arabe d’information en continu (al-Jazîra) sans que d’autres prêcheurs, plus modérés, ne puissent présenter un autre visage de l’Islam.


Depuis l’époque médiévale et les croisades, « l’occident » n’avait donc probablement jamais autant parlé et écrit sur l’Islam.


Il existe certes des différences entre le moyen âge et la période contemporaine.


Au moyen âge, les populations vivaient sur des territoires bien distincts ; le conflit était donc semblable à un conflit territorial entre deux nations, de fait confiné à deux régions bien déterminées : l’Andalousie d’une part, avec pour objectif la reconquête de l’ensemble des territoires espagnols par la royauté chrétienne, et le proche orient d’autre part (les actuels Syrie, Liban et Palestine, et dans une moindre mesure les côtes d’Egypte et Tunisie), avec pour enjeu Jérusalem, berceau des trois religions monothéistes. Avec le mélange des populations, résultant de la période de colonisation et des mouvements migratoires des années 1950 jusqu’à aujourd’hui, les points de confrontation sont devenus plus diffus.


Au moyen âge, la confrontation ne concernait finalement, sauf en Andalousie, qu’une petite partie des populations, principalement les « élites » politiques et religieuses. Aujourd’hui, développement des outils médiatiques aidant, ce sont les masses, l’ensemble des populations, qui se sentent impliquées ou, parfois, que l’on cherche à impliquer.


Au moyen âge, la question religieuse était au cœur : l’idée de conversion, d’un côté comme de l’autre, était très présente, bien qu’elle n’ait pratiquement jamais vu une quelconque application, si ce n’est, dans une certaine mesure, en Andalousie. Aujourd’hui, l’aspect religieux peut demeurer, mais il a perdu de son importance : le concile Vatican II a ouvert l’Eglise catholique aux autres monothéisme, et d’autres questions, notamment les enjeux économiques et financiers, le contrôle de la détention des matières premières, et particulièrement du pétrole, le développement et son corollaire le sous-développement, enfin le conflit israélo-palestinien, sont désormais au cœur de la confrontation.


Au moyen âge, une ligne séparait clairement musulmans d’un côté, chrétiens de l’autre, la communauté juive étant absente du conflit si ce n’est en Andalousie mais sans pouvoir y prendre une part réellement active, car plutôt victime, prise en tenaille entre les deux camps. Aujourd’hui, il existe non plus une mais plusieurs séparations, que l’on peut décrire, de manière certes caricaturale : Israël - pays arabes, musulmans - juifs, sunnites - chiites, occident - orient, pauvres - riches, nord - sud. Qui plus est, à l’intérieur de ces communautés ou catégories deux groupes se distinguent et transcendent les lignes de démarcation ; grosso modo, mais là encore de manière quelque peu caricaturale, le panel de situations étant beaucoup plus varié : les modérés - pacifistes d’un côté, les fondamentalistes - intégristes de l’autre.


Au moyen âge, les idéologies, tels le marxisme, le capitalisme, le colonialisme, le nationalisme, étaient inconnues.


Au moyen âge, il s’agissait d’une guerre classique, entre deux armées. Aujourd’hui, la guerre militaire n’a pas disparu, mais elle s’accompagne, ou se complète, d’une guerre médiatique, retransmise en boucles : de longs discours enflammés télévisés, des journalistes soigneusement contrôlés qui accompagnent les chars fonçant dans le désert, des missiles qui ressemblent à de jolis feu d’artifices, des cassettes vidéo montrant un groupe d’hommes, masqués et armés, pointant leurs armes sur un otage, ce dernier lisant un message soigneusement dicté, des gros plans sur des ruines, des enfants en sang, des conférences de presse de généraux en tenue d’apparat, un président qui partage la popote avec ses hommes, des parents déclarant leur fierté de voir leur fils partir vers une guerre stupide, des photos de torture qui paraissent dans la presse alors qu’elles auraient du ne jamais être connues, des forums Internet où les extrêmes font leur propagande, etc. Les mots et les images ont parfois plus d’impact que les balles.


Mais, dans les deux périodes malheureusement, hier comme aujourd’hui, la méconnaissance au mieux, la méfiance, voire la caricature ou la haine, tendent à prédominer.


Certes, loin de là et heureusement, du moins dans leurs formes les plus immédiatement dangereuses, elles ne sont pas forcément majoritaires dans les populations. Mais après tout, le nazisme est arrivé au pouvoir de manière parfaitement démocratique et les talibans afghans ont pris Kaboul dans l’indifférence de la population ; le FIS algérien avait gagné les élections municipales ; toutes choses égales par ailleurs, les partis à idéologie sioniste ou islamiste ont été élus démocratiquement en Israël comme en Palestine ; la révolution islamique en Iran a d’abord bénéficié du soutien de la population ; l’actuel président iranien a été élu grâce à la mésentente de ses adversaires ; un président américain a pu décider d’une occupation de l’Irak avec le soutien, dans un premier temps au moins, de la majorité de son peuple mais contre l’avis de la quasi-totalité de la communauté internationale. Pourquoi ? Parce que généralement, gagnent ceux qui ont le plus d’argent, ceux que l’on élit en désespoir de cause parce qu’on ne les a jamais essayé, ou encore, parce qu’ils parlent ou menacent le plus fort (a-t-on déjà entendu un modéré hausser le ton ?).


Certains diront, et notamment les sociologues, avec quelques raisons, que l’Islam radical, ses aspirations et ses comportements, trouvent leur source, justification, et par conséquent, légitimation dans des situations sociales, économiques, politiques, marquées au quotidien par les injustices : colonialisme, racisme, chômage, bidonvilles, ghettoïsation, occupation de la Palestine, politique américaine, etc.


Que les musulmans soient sensibles à ces situations inacceptables, c’est une évidence. Mais il est une autre évidence : les fondamentalistes, les extrémistes, usent et abusent de ces situations, pour s’immiscer insidieusement dans les sociétés et dans les mosquées. Le discours radical, intégriste est bien réel.


Pour lutter contre ce discours, il est certes essentiel de combattre inlassablement ce qui lui sert de support : les injustices quotidiennes. Mais il importe aussi de montrer, sans relâche, un autre visage de l’Islam, celui qui correspond au réel message de la Révélation, celui du Coran, transmis aux hommes par l’entremise du Prophète de l’Islam, Mohammed, la volonté divine, le cœur du message de Dieu, à savoir un projet éthique, la transformation de la vie des hommes et des femmes par la paix, la justice sociale, le développement humain et l’enrichissement de leur vie spirituelle. Montrer ce visage est tout aussi important pour le musulman que pour le non musulman : c’est le seul moyen de prendre quelques distances avec l’actualité et d’éviter, enfin, le « choc des ignorances ».


C’est par un tel travail de la part des musulmans sur eux-mêmes, un tel effort (jîhad) vis-à-vis d’eux-mêmes que le reflet que leur renverra l’autre sera plus flatteur qu’il n’est peut être aujourd’hui mais aussi que les musulmans se verront autrement que par le regard de l’autre, qu’ils existeront autrement que dans le regard de l’autre.


La révolte contre les injustices ne doit pas constituer la seule identité musulmane, d’autant qu’ils en sont eux aussi responsables : la victimisation est un chemin trop facile. Leur identité est avant tout constituée de leurs racines, de leur histoire et de leur foi en Dieu l’Unique. L’historien George Duby pensait qu’une société ne s’explique pas seulement par ses fondements politiques, économiques, sociaux, mais aussi par la représentation qu’elle se fait d’elle-même. Aujourd’hui, les musulmans se voient-ils autrement que par le regard de l’autre ? Et quel est ce regard ? Positif ? Négatif ?


Ceux que l’on a dénommé « Les nouveaux penseurs de l’Islam », suivant le titre d’un livre de Rachid Benzine, se sont courageusement attelés à ce travail. Mais ils n’ont principalement touché que des intellectuels, déjà eux même convaincus du bien fondé de cette démarche, sans grande prise sur le plus grand nombre ; sans doute en sont-ils responsables pour partie, leurs écrits étant bien souvent par trop ardus ; il est vrai aussi que les médias, occidentaux comme de pays musulmans, ne leur ont guère laissé de place : d’un côté parce qu’un « modéré » se vend moins facilement qu’un Bin Laden, de l’autre parce que les pouvoirs n’aiment guère que l’on remette en cause l’ordre établi.


Un certain nombre de musulmans le font aussi au quotidien, dans leur immeuble, dans leur quartier, dans leur travail, dans leur dialogue avec des non musulmans, dans leurs rencontres, dans leurs voyages.


Présenter cet autre visage de l’Islam, celui de la majorité silencieuse : ce pourrait être l’objet de ce forum, avec la contribution, les lectures et les expériences au quotidien du plus grand nombre. Quel meilleur outil qu’Internet pour présenter « cet autre visage » ? Chacun pourrait ensuite, quand il en a l’occasion, diffuser autour de lui les écrits de ce forum qui l’ont sensibilisé.


Les règles du jeu sont simples : la liberté d’écrit mais dans le refus de la propagande et du prosélytisme et dans le respect.



Modifié 3 fois. Dernière modification le 05/08/06 18:58 par TOUNE.
T
5 août 2006 21:19
Farid Esack, Sud Africain né dans une famille musulmane originaire du sous-continent indien et particulièrement pauvre, jusqu’à faire les poubelles, a vécu dans les bidonvilles. Il y a connu la solidarité des voisins, et notamment des voisins chrétiens, l’imprégnant dès son enfance de la valeur du « religieusement autre » : « Comment aurais-je pu regarder Mme Batista et Tante Katie dans les yeux tout en croyant que, malgré la gentillesse qu’elles manifestaient dans toute affaire à notre égard, elles étaient destinées à la malédiction de l’enfer ».


Il fera ses études supérieures au Pakistan en études, droit et théologie islamique, où il se liera d’amitié avec la petite communauté chrétienne locale (3 % de la population) : « Je puisais beaucoup de force et d’encouragement dans la simple existence d’un tel groupe, et j’ai partagé de nombreuses années épatantes à partager leur réflexion. Leur amitié a beaucoup fait pour m’aider à maintenir ma foi de musulman ». Il y enseignera aussi la religion musulmane aux étudiants musulmans d’un lycée tenu par la congrégation des Frères des écoles chrétiennes.


Revenu en Afrique du Sud, il s’engage contre l’apartheid, au sein du mouvement The Call of Islam (L’appel de l’Islam), mouvement non violent qui lutte pacifiquement avec d’autres mouvements, religieux (chrétiens, juifs) ou non. Il enseignera en Grande Bretagne et sera l’invité de la faculté théologique Saint Georges de Francfort comme chercheur associé en herméneutique biblique (exégèse, commentaire).


Sa pensée est résumée dans son œuvre principale : Qu’ran, Liberation and Pluralism, an Islamic pesrspective of Interreligious Solidarity against Oppression aux éditions One World d’Oxford, 1994. De lui, on pourra lire aussi Coran, Mode d’Emploi, aux éditions Albin Michel, 2004.
 
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