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Un bel article sur l'histoire du maroc
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5 décembre 2004 17:20
[www.telquel-online.com]

Par Driss Ksikes, avec Youssef Aït Akdim
L'histoire occultée du Maroc

(Le voyage du peintre Delacroix
au Maroc. Ed. Adam Biro)
Nos élèves apprennent dans leurs manuels une histoire tronquée, mythifiée du Maroc. Face à des séquences où l’occultation est flagrante, des spécialistes de renom nous aident à rétablir la vérité. Pour l’Histoire, la vraie.


Un manuel d’histoire n’est pas fait pour révéler toutes les vérités aux élèves. Il n’est pas fait non plus pour leur raconter des histoires. Certes, un ouvrage de classe censé vulgariser et transmettre toute l’histoire d’un pays, simplifie les périodes, gomme les nuances, passe outre les détails. Il participe,
forcément, à consacrer des mythes nationaux. Mais entre livrer des vérités partielles et occulter des vérités nécessaires, il y a un pas que le Maroc a allégrement franchi. Le souci de mystifier est excessif chez nous, parce que le passé permet de mieux contrôler le présent et le discours historique aide à légitimer le pouvoir. Mais est-ce une raison pour livrer au Marocain de demain une version biaisée de son passé, qui ne tienne pas compte de ses origines, résistances, dissidences et autres révolutions ? Au vu des derniers manuels en date et des occultations majeures qui y persistent, on a toutes les raisons de croire que l’État est coupable. Le ministère de l’Éducation nationale établit des critères qui limitent fortement le champ de la vérité historique à mettre à la disposition des élèves. Il confie à des inspecteurs, déconnectés de la recherche universitaire, la tâche ardue d’éditer les manuels. Il ne jette pas les ponts avec les historiens, susceptibles d’apprécier scientifiquement l’effort des auteurs. Il confie à de simples cadres, peu à même de juger la justesse du propos historique, la tâche purement administrative de valider les ouvrages. Enfin, il édite des manuels avec des chapitres idéologiquement orientés, des zooms sur des événements triés selon leur degré de gloire, sans mise en contexte aucune pour en relativiser les faits. Face à une telle mascarade, nous avons interrogé des universitaires de renom sur des séquences tronquées à souhait, pour rétablir la vérité. Et pointer du doigt les mensonges.

Préhistoire et antiquité
Officiellement, les Marocains n’ont pas d’origine identifiée
"Les premiers habitants du Maroc sont des Berbères. Ils sont venus du Yémen et de Syrie, via la Nubie et l’Égypte". Le Maroc officiel, n’ayant plus un faible pour l’idéologie panarabe, ce gros mensonge ne figure plus dans nos manuels d’histoire. À la place, rien n’est dit sur les autochtones du pays. Omission volontaire ou manque de preuves scientifiques ?

En fait, ils sont de l’Atlas, de Nubie et d’Europe
Les sites rupestres permettent d’attester, aujourd’hui, que les "pasteurs éleveurs de bœufs" étaient déjà à l’époque néolithique des Berbères. Les recherches prouvent aussi que l’écriture libyque (ancêtre du tifinagh), repérée dans l’Atlas et l’Anti-Atlas, date de 3000 ans. D’où viennent donc nos ancêtres les Imazighen ? D’Europe ? Du Sahara ? De l’Orient ? Les historiens les plus scrupuleux n’excluent aucune des trois pistes. Il s’agit d’un mélange : des habitants sédentarisés, dits les "paléo Berbères", auxquels s’adjoignent deux groupes venus de la Méditerranée orientale, les uns blonds car transitant par l’Europe et les autres noirs métissés, provenant de Nubie et d’Afrique orientale. Les Maxyes qu’évoque Hérodote comme habitants de l’Afrique du Nord au 5ème siècle Av. J-C ne sont autres que des Imazighen. Il décrit même le troc muet qu’ils effectuent avec les Carthaginois au-delà des colonnes d’Hercule. Les preuves ne manquent pas pour attester d’une civilisation berbère sempiternelle. Alors pourquoi occulter cette question des origines ?

À partir du 12ème siècle av J-C
Officiellement, les Imazighen ont résisté aux invasions
L’élève de première année de collège apprend que le Maroc antique était un carrefour de civilisations. Que les Phéniciens et les Carthaginois (12ème s. Av. J-C - 1er s. Ap. J-C) ont atterri au Maroc pour des raisons purement commerciales et n’ont eu qu’une influence culturelle sur les Imazighzen. Et que les Romains (1er - 4ème s. Ap. J-C) ont fini par occuper la Maurétanie tingitane (comprenant le nord du Maroc), mais ont buté sur la résistance farouche des dynasties amazighes, surtout les Bacchus, qui régnaient sur le Maroc, dans ses frontières actuelles. Ainsi, donc, les Imazighen sont réhabilités par l’histoire. Mais étaient-ils si résistants que cela ?

En fait, ils ont été envahis à plusieurs reprises
Dans les manuels coloniaux, les Imazighen sont décrits comme un peuple "frappé d’une inaptitude congénitale à l’indépendance", dixit Charles André Julien. L’image qui était véhiculée, pour justifier le Protectorat, est celle d’une "cascade ininterrompue de dominations étrangères". Où se situe la vérité historique ? Il y a eu, certes, une période antérieure aux invasions, où une dynastie maurétanienne régnait. Depuis le 7ème siècle av. J-C, il y a eu une série de colonisations, plus ou moins partielles et peu contestées par les Imazighen. Lixus et Mogador ont été soumis aux Phéniciens. Les Carthaginois ne se contentaient pas de commercer avec nous, mais occupaient plusieurs de nos villes côtières. Venons-en aux Romains. Ils ont occupé le triangle Rabat - Tanger - Oujda. Certes, le meurtre de Ptolémée, fils de Juba, par Caligula, prouve qu’il y avait des velléités d’indépendance chez nos amazighes. Certes, le mot Arrumi, a d’abord été brandi par les Imazighen pour désigner les Romains avec mépris. Mais bien avant la colonisation datée au 1er siècle, des rois maurétaniens étaient des vassaux de Rome, Juba II a même été adopté par les Romains et l’un des rois de la dynastie Bacchus (établie au Maroc) a livré sans scrupule son rival algérien Jugurtha à Rome - nos voisins nous en veulent encore. Cinq siècles plus tard, nos colonisateurs ont rebroussé chemin. Peut-on parler de décolonisation ? Plutôt "déromanisation". Les historiens précisent que le Maroc d’alors était d’un enjeu mineur pour Rome. Ce qui arrive, après, et que les manuels gomment complètement, montre que la thèse des "invasions successives" n’est pas tout à fait farfelue. Après 40 ans de Vandales, les Byzantins ont pris le relais du 4ème au 7ème siècle. Malgré leur présence effective, confinée au Détroit, ils ont eu le temps d’essaimer des églises dans le pays profond (Aghmat, Ribat Chakir, etc.). Mais la christianisation n’a touché que certaines villes. Les campagnes, plus résistantes, sont restées juives ou païennes. Mais tout cela, nos élèves ne le sauront pas.

8ème - 10ème siècle
Officiellement, les Idrissides ont fondé un État islamique
L’élève fait une trêve, durant la majeure partie de la première année de collège, apprenant les bases de l’État islamique, le califat et l’apport des croisades. L’année d’après, il entame son cours d’histoire par l’avènement de l’État Idrisside musulman à Volubilis puis à Fès. L’accent est mis d’emblée sur le document de la bey’a et de longs passages sont alloués à la place prépondérante de Fès, comme capitale spirituelle et antenne de l’islam médiéval. Et les aléas de la conquête ?

En fait, certaines principautés leur ont échappés
La conquête islamique n’a pas été de tout repos. L’Orient est en pleine crise de califat entre Ali et Moaouiya. Moussa Ibn Noussaïr, administrateur d’Ifriqia (actuelle Tunisie), arabise la société amazighe du Maghreb occidental, impose des impôts au profit de la capitale de l’empire musulman et recrute des esclaves pour mener sa guerre contre les Imazighen irréductibles. En réaction, le Maroc devient un refuge de kharijites (forme de dissidence religieuse). L’arrivée des Idrissides est rendue possible par la volonté de Damas d’accéder au Maghreb via la Méditerranée, afin de contrecarrer la Byzance chrétienne. Idriss Ier est établi en 788 comme "commandant de culte, de la guerre et des biens". Il est d’obédience zaïdie (chiite modéré) et doit se battre contre le sunnite Haroun Rachid, qui finira par commanditer son meurtre. Sur place, même son fils, Idriss II, ne pourra pas venir à bout de la principauté des Berghouata, établie au pays de Tamesna (entre Salé et Azemmour). Ces Imazighen développaient une religion mi-musulmane, mi-chrétienne, empreinte de paganisme et refusant de céder à l’arabisation forcée. Leur république a survécu jusqu’en 1148, sous les Almoravides. À l’époque, ces "hérétiques", devenus pieux, avaient même une ambassade à Cordoue. À partir du 10ème siècle, un mouvement similaire, des Lghmara, s’est insurgé contre "l’esclavagisme des Idrissides". Mais la dynastie idrisside ne souffrait pas uniquement de l’opposition autochtone. Même des concurrents venus d’Orient lui contestaient sa suprématie. Ainsi, à Nakour au Rif, un État concurrent, fondé par Salih, a survécu jusqu’au 11ème siècle. Et à Sijelmassa, une principauté kharijite, menée par les Bani Midrar, était aux aguets. Nul besoin de rappeler qu’après la mort d’Idriss II en 829, ses successeurs se sont longtemps combattus.

12ème siècle
Officiellement, Mahdi Ibn Toumert était un saint
Le fondateur de la dynastie almohade est mis en parallèle par les auteurs du manuel avec le sultan almoravide, Youssef Ibn Tachfine, pour sa bravoure. Il est présenté comme un homme du Souss, descendant du prophète, connu pour sa dévotion et sa science en matière religieuse, acquise en Orient. D’abord guide spirituel, reclus dans la montagne, il avait invité les gens à lui faire allégeance et ouvert la voie à une dynastie de califes. Presque naturellement.

En fait, c’était un zélote fanatique
"Mahdi" n’était pas son prénom, mais son titre prophétique. Ibn Toumert était allé vers 1115 à Bagdad et Damas s’initier à la doctrine achaarite, orthodoxe. Il en est revenu tel un pur bigot. Traversant plusieurs villes marocaines pour trouver, enfin, refuge à Aghmat (près de Marrakech), il plaide un retour à l’islam des origines, interdit la mixité, en veut aux hommes qui portent des tuniques qui les féminisent, s’insurge contre les femmes du prince qui ne sont pas voilées et s’en prend au malékisme en vigueur. Se comportant d’abord comme imam, il est convaincu que le tawhidisme (unification de la foi, à l’origine de l’appellation, Almohades) doit devenir une morale imposée à tous. S’adressant en berbère à son auditoire dans les montagnes, il compose à partir de la mosquée de Tinmel d’où il agit, un groupe de dix adeptes puis un cercle de cinquante sympathisants, et déclenche une opération de purification morale au sein de la société. Pour les Almohades dont il est le fondateur spirituel, seuls les adeptes de l’almohadisme sont d’authentiques musulmans, les autres ont un islam suspect et sont tout simplement les "serviteurs" de cette dynastie de califes. Les premières cibles d’Ibn Toumert et de ses successeurs, sont les soufis et les juifs. Les premiers, dont Abdeslam Ibn Machich, Moulay Bouchaïb ou encore Abou Abbas Sebti, prônent l’égalité des croyants et se tiennent à l’écart, refusant tout contact avec le pouvoir. Quant aux seconds, ils sont obligés à se convertir et à porter des habits distinctifs en noir pour ne pas passer inaperçus. Le Maroc n’avait pas connu, jusqu’alors, de régime aussi fanatique.

13ème - 16ème siècle
Officiellement, les Mérinides ont perdu le jihad
Après avoir appris combien étaient vaillants les Almoravides et les Almohades et apprécié (bon point) le rationalisme d’Ibn Rochd, le jeune élève découvre que leurs successeurs, les Mérinides, avaient moins de poigne. La dynastie est étudiée sous le prisme de "la chute de l’empire marocain", avec un intitulé religieusement orienté, "le recul du jihad". Les premiers rois, surtout Yacoub, qui a tenté de relancer la conquête en Andalousie, sont mis en valeur. Quant aux autres, régnant près de trois siècles, pourtant, ils passent inaperçus. Seul compte leur intérêt pour l’architecture. Comme s’il s’agissait d’une consolation culturelle.

En fait, ils ont façonné le Makhzen d’aujourd’hui
L’histoire officielle semble en vouloir aux Mérinides de ne pas avoir réussi à s’imposer aux impies. Or, la reprise en main de l’Andalousie par les chrétiens a été balisée par la défaite des Almohades dans la grande bataille de Las navas de Tolosa (1212), que l’on compare à un Waterloo médiéval. Cette question occulte l’apport essentiel de la dynastie des Mérinides, des éleveurs qui n’ont pas de dogme et s’avèrent être très pragmatiques. Au fil des sultans, ils jettent les bases du royaume chérifien. Première pierre angulaire, l’alliance avec les zaouiyas, la réhabilitation des marabouts et principalement celui de Moulay Idriss. Le révisionnisme des Idrissides permet de réécrire l’histoire du Maroc de manière à glorifier la genèse de l’État islamique. Le chérifisme est aussitôt érigé en valeur suprême. La descendance du prophète, en source de légitimation. Le malékisme, en culte officiel du pays. Au-delà de l’aspect architectural, les médersas se développent et les premiers mellahs accueillant les juifs sont conçus. C’est l’époque où Ibn Khaldoun observe la société et l’État. En trois siècles, les Mérinides ont connu des hauts et des bas, ont reconquis l’empire perdu, mais ont également connu une fin sans éclat, coïncidant et subissant avec la reprise en main de la Méditerranée par les Ibériques, depuis 1415.

15ème - 16ème siècle
Officiellement, les Ibériques ont envahi Sebta et Mellilia
En l’absence de détails majeurs sur la fin des Mérinides, l’élève apprend furtivement que les Portugais ont été saisis, durant le 15ème siècle, d’une fièvre possessive qui les a amenés à envahir toutes les côtes marocaines. Il saura les dates d’annexion des présides du Nord, (Sebta en 1415 et Melillia en 1497). On lui dira que la fin des Mérinides n’était pas glorieuse, mais on insistera sur l’arrivée salvatrice des Saadiens. Mais il ne saura jamais pourquoi des villes occupées par les Portugais ont été revendiquées aux Espagnols.

En fait, le Makhzen était divisé et faible
Lorsque les Portugais s’emparent de Sebta en 1415, ils agissent à partir de deux villes phares, Grenade et Tunis. Les Mérinides sont en déconfiture et ne maîtrisent qu’un semblant d’État à Fès. Lorsqu’en 1497, Mellilia tombe, à son tour, dans l’escarcelle portugaise, les Ouattassides, faibles sultans arabes s’il en est, ne peuvent freiner l’élan de la Reconquista. La preuve, des forteresses sont érigées tout au long de la côte atlantique. Mellilia puis Sebta ont été acquises par l’Espagne contractuellement, en 1556 et 1580 (date de la réunion des deux couronnes de la péninsule). Plus tard, cinq sultans ont successivement signé des traités de paix et de commerce avec les Espagnols, s’engageant à défendre les présides de toute attaque des autochtones du Rif. La défaite marocaine lors de la guerre de Tétouan (1859) a constitué la dernière tentative spectaculaire de récupération des enclaves par la force. La rétrocession de ces deux présides n’a jamais été à l’ordre du jour, depuis. Aujourd’hui, à l’entrée de Mellilia, un panneau indique que cette ville est "espagnole 18 ans avant le royaume de Navarre".

16ème siècle
Officiellement, Oued Al Makhazine a redoré le blason du Maroc
Tout un chapitre est consacré à "la bataille des trois rois". L’élève y apprend qu’en cette année 1578, le roi Abdelmalek a chassé les occupants ibériques, condamné les Portugais à subir l’intrusion du roi espagnol Felipe II et redonné à l’État marocain son aura internationale. Les Portugais sont synonymes de "mécréants" et leur supériorité numérique une preuve que "c’est la foi qui gagne". Les auteurs du manuels insistent enfin sur le frère d’Abdelmalek, Ahmed Al Mansour, qui a régné depuis en maître sur un pays pacifié. Plus héroïque, tu meurs !

En fait, Allal El Fassi a ressuscité une fête juive
Cet évènement n’est devenu central dans notre histoire officielle qu’après 1957, lorsque Allal El-Fassi décide de la commémoration en grande pompe du 400ème anniversaire de la bataille. Le récit fait la part belle aux oulémas de Fès et transforme la bataille en symbole d’opposition à la chrétienneté et à l’invasion européenne. Oublié le fait que Oued Al Makhazine n’était célébré que par les juifs du Maroc, en hommage à un sultan qui les avait protégés de l’Inquisition. Oublié le rite de pèlerinage qu’effectuaient les portugais depuis le 16ème siècle sur les lieux. Oublié le fait que Moutawakil, présenté par Allal El Fassi comme un "traître", était un dissident qui contestait le pouvoir à son frère. Oublié, enfin, le fait qu’Ahmed Al Mansour a ravi la vedette à Abdelmalek, l’artisan de la bataille. Voilà comment un mythe occulte les nuances historiques.

Fin du 17ème siècle
Officiellement, Moulay Rachid a vite unifié seul le pays
L’orientation idéologique du manuel n’est pas poussée jusqu’au point de nier la désunion du Maroc, à l’avènement des Alaouites. Une carte montre clairement les zones sous tutelle des zaouiyas Dila’i (autour de Fès), Semlali (sud de Marrakech), etc. Mais le but est de montrer la force unificatrice, d’abord de Moulay Rachid, puis de Moulay Ismaïl. Comme si tout cela allait de soi et provenait de la seule volonté des sultans.

En fait, la France l’a aidé et les Ottomans ont laissé faire
Que l’on ne s’y méprenne pas, entre 1630 et 1640, les Alaouites représentent un peu plus qu’une zaouiya et une principauté parmi d’autres. Ils avaient, en plus, leur prestige de chérifs, la fierté d’avoir un ancêtre qui a fait du jihad en Andalousie et la renommée de grands guerriers. Il leur a fallu d’abord se débarrasser d’un rival au Tafilalet, Abou Mahalla. Une fois cette base acquise, cela a permis au fils aîné de Moulay Ali Cherif, Moulay Mohammed, de se frayer un chemin jusqu’à Fès. Triq Sultan est un sillon flanqué de tribus concurrentes. Son frère cadet, Moulay Rachid, s’était réfugié chez ses ennemis (Dila’, Semlali, Saadiens…) partout au Maroc, afin de les étudier. Plus tard, il a su parvenir jusqu’à la Méditerranée et évincer son frère en l’abattant. Plusieurs facteurs l’ont aidé. D’abord, il a pu recruter des disciples au Nord. Les Ottomans n’ont pas bloqué sa voie vers Oujda, parce qu’ils étaient en butte à des insurrections de tribus arabes du côté de Tlemçen. À l’Est, il a pu avoir un butin de guerre considérable en pillant le juif, Ibn Machaal. Plus tard, il a reçu, en contrebande, d’abondantes munitions de la France pour pouvoir mener à bien sa conquête des différentes zones, côtières essentiellement. Il n’y est pas parvenu d’emblée. Mais sa maîtrise de l’accès à la Méditerranée et des ressources caravanières provenant du Sahara lui a donné une belle longueur d’avance.

17ème-18ème siècle
Officiellement, Moulay Ismaïl est un sultan - modèle
Le fondateur de la ville de Meknès est présenté aux élèves comme le sultan musulman idéal qui a complété l’unification du pays. Appréciez ses qualités : il aimait les faibles, s’en prenait aux truands et aux méchants, luttait avec acharnement contre les impies, avait une armée d’esclaves qui lui vouaient obéissance par serment et assurait la sécurité des routes. Que veut le peuple ? N’est ce pas le modèle du chef d’un État central et fort ?

En fait, c’était un despote très contesté
Régnant de 1672 à 1727, Moulay Ismaïl a passé 25 ans à résoudre les dissensions internes. Il s’est d’abord heurté aux ouléma et chorfa de Fès qui ont refusé de lui faire allégeance. D’où son choix de s’installer à Meknès. Les Dila’, chassés par Moulay Rachid, reviennent d’Alger pour se rebeller. Son neveu, Ibn Mouhriz, est son premier opposant, proclamé sultan alternatif à Fès, Taza et même au Souss. Cette épine royale lui collera au trône durant 14 années. Au Nord, Khadir Ghaylan est aussi coriace. Tous bénéficient, en plus, du soutien discret mais efficace des Ottomans. Ce sont ces mêmes Ottomans qui lui inspirent, semble-t-il, l’idée d’une armée d’esclaves (Abid Al Boukhari), qui ne dépendent pas de tribus mais du sultan directement. L’image d’Épinal vendue à tous est qu’une femme pouvait alors traverser le pays, de Massa à Oujda seule, sans rien craindre. Pure propagande. Parce que même durant sa seconde période de règne, les révoltes ne se sont pas tues. Ainsi, son fils, Mohamed El Alem, nommé gouverneur à Taroudant, s’est soulevé contre lui de 1700 à 1706. Pour mettre fin à sa dissidence, Moulay Ismaïl a ordonné de lui couper une jambe et un bras. Sa mort lente fut une tragédie sans nom. Vers la fin de règne du sultan alaouite, le despote et le chef d’État centralisateur se confondaient. Mais au lendemain de sa disparition, le Maroc rentre dans une phase d’anarchie, dite "la crise de 30 ans". Son armée de Abid, devient elle-même source de légitimité. Au gré des alliances (tribus Guich - Fès, Abid - Meknès…), le sultan Moulay Abdellah est intronisé et destitué cinq fois de suite. Finalement, le legs de Moulay Ismaïl a été encore moins glorieux que son règne.

Fin du 18ème siècle
Officiellement, Moulay Slimane a bloqué les importations
L’élève fait connaissance avec Moulay Slimane en le comparant à son prédécesseur, Mohamed Ibn Abdellah. Il en retient que ce dernier a ouvert la porte au monde extérieur et que le premier l’a refermée par "prudence". À travers des textes laudateurs, il apprend que Moulay Slimane était "bon", "pieux" et était devenu protectionniste, sous l’impulsion des "frères" ottomans. Son attitude anti-occidentale, lit-on dans le manuel, était très populaire. Mais d’où provenait-elle ?

En fait, il était pro-wahhabite
Moulay Slimane était un sultan alem. Il était même plus un alem qu’un sultan. Avant d’être proclamé sultan en 1792, il préférait se consacrer à ses études théologiques dans le Tafilalet. Influencé par Al Ghazali (proche des malékites), mais surtout par Ibn Hanabal et Ibn Taymiyya, il a fortement rejeté toute forme d’innovation (bida’) au sein de la société, refusé aux soufis le recours au sama’ et à la musique et plaidé pour un retour à un islam rustre et sans fioritures. Tout cela l’a prédisposé à adopter la doctrine wahhabite, dont le fondateur Mohamed Abdelwahhab est mort l’année même de son intronisation. D’abord initié à la doctrine via les pèlerins, revenant du Haj, il s’est dans un premier temps abstenu de prendre position, afin de ne pas s’aliéner les Ottomans, franchement anti-wahhabites. Mais en 1811, il franchira le pas et enverra une délégation de cadis et alims au leader saoudien pour le rassurer : "Cette lettre vise à dissiper toute suspicion de votre part pour que vous n’alliez pas croire que nous sommes opposés à vos idées". La seule réserve émise par Moulay Slimane concernant le wahhabisme était son refus d’ex-communier les autres, sauf lorsqu’il s’agissait des impies. Ceci mis à part, il défendait une application stricte et exhaustive de la charia. Son exclusion des zaouias ne l’a pas empêché de soutenir les Derkaoua, devenus maîtres de l’Oranie. Mais fidèle à sa prudence politique, le sultan ne tient jamais sa promesse à Moulay Larbi de venir le soutenir à Tlemcen, de peur de susciter la colère des Ottomans. Résultat, ce même Moulay Larbi, rancunier, sera l’artisan de sa déposition 15 ans plus tard.

Début du 19ème siècle
Officiellement, Lalla Maghnia a enterré le différend maroco-français
Le cahier de charges du manuel d’histoire de la troisième année du collège (en chantier) exige des auteurs (inspecteurs) de parler de la convention de Lalla Maghnia, signée entre le Maroc et la France, à l’issue de la bataille d’Isly. "Nos commanditaires ne nous permettent pas de parler de la bataille elle-même. On y fera référence, furtivement, en évoquant les conditions de signature de la convention", confie cet inspecteur. Et les conséquences de la convention, à l’origine du flou frontalier entre le Maroc et l’Algérie ? "Tout dépendra de la curiosité des élèves et des enseignants".

En fait, la bataille d’Isly a mis à nu l’armée marocaine
Lorsqu’en 1830, Alger tombe entre les mains des Français, un mythe s’effondre. La force de l’islam n’est plus qu’une chimère. Le Maroc connaît un essor commercial, sans précédent, avec la Grande-Bretagne et la France. Les habitants de Tlemcen font appel à Moulay Abderrahmane, comme le sultan musulman le plus proche, pour solliciter son aide. Ce dernier hésite et refuse leur bey’a dans un premier temps, avant de se rétracter et d’envoyer une armée d’émissaires. Face à la pression française qui exige son retrait, il se fait plus discret. Le chef de la zaouiya Kadiria, Mohieddine est alors sollicité et désigne son fils Abdelkader pour mener la résistance. Vers 1840, il maîtrise un territoire reconnu comme sien par les colonisateurs français. Le sultan marocain envoie, alors, des caravanes de vivres et de munitions, avec la bénédiction britannique. Le général Bugeaud intercepte l’expédition. La bataille d’Isly est alors déclenchée à 10 km d’Oujda. La défaite de l’armée marocaine en 1844 est cuisante. Depuis, Abdelkader, venu se réfugier à Beni Iznassen, gagne la confiance de la population locale mais suscite la harka du sultan qui le chasse de son territoire. La France menaçait de s’engouffrer dans le couloir de Taza et d’occuper Fès et les ports de Tanger et Mogador étaient pris en tenaille. Mais l’Espagne veillait au grain. Elle ne voulait pas être devancée, comme en Algérie, par les Français. Aussi, occupe-t-elle des ilôts avoisinant l’embouchure de la Moulouya en 1848. Les Marocains, encore sonnés par Isly, n’y ont opposé aucune résistance.

19ème-début du 20ème siècle
Officiellement, les puissances étrangères nous convoitaient
La situation au 19ème siècle qui prépare le terrain au Protectorat, les élèves ne l’apprécieront que sous le prisme unique de "la précipitation des puissances étrangères sur le Maroc". Au programme, les différentes contraintes signées, mais aussi les réformes imposées. Même la réforme fiscale qui a donné lieu, sous Moulay Abdelaziz, au Tertib (ancêtre de l’IGR) n’est lue que comme une solution soufflée par le consul britannique. Et le Makhzen dans tout cela ?

En fait, la guerre de Tétouan a ouvert leur appétit
La guerre de Tétouan, appelée ainsi même si aucune bataille n’a lieu au sein de la ville, a lieu en 1859. Perdue par un Makhzen qui sous-estimait les Espagnols, elle a eu un effet désastreux sur l’armée, pour la deuxième fois défaite, sur les caisses de l’État obligé de verser 20 millions de douros, et sur l’intégrité territoriale, puisque des missionnaires espagnols sont même installés à Fès. Avec une France, désireuse d’emboîter le pas à son rival du Sud, le Maroc signe une convention qui limite encore plus son autonomie. À mesure que fleurit le commerce extérieur (10 fois plus qu’en 1830), les plus riches des Marocains perdant confiance en leur État sollicitent le statut de "protégés" aux puissances étrangères. Les sultans Moulay Hassan et Moulay Abdelaziz tentent des réformes, militaires et fiscales. La première échoue, parce que le pays du Siba grossit et la seconde tombe à l’eau parce que les caïds et les notables, nantis du système, s’y opposent. Lorsque Moulay Abdelahafid est nommé "sultan du Jihad", les dès sont pipés. Le traité d’Algésiras de 1906 était déjà un protectorat international, décrié par la population, mais fatal. La cour était complètement corrompue et la révolte d’Abou Hmara (Jilali Zerhouni) encore vivace. En 1911, les troupes françaises campaient déjà à Fès. C’était fini.
Bibliographie : Histoire du Maroc (Ed. Hatier)






Repères chronologiques

40 Ap. J-C. Caligula tue Ptolémée, fils du roi amazigh Juba, parce qu'il s'est présenté avec un burnous symbolisant ses velléités d'indépendance.

789 Idriss Ier fonde Fès, mais a encore du mal à islamiser le pays. Les znata, les Berghouata et plus tard Lghmara y résisteront.

1125 Ibn Toumert constitue son conseil des dix à Tinmel et lance la doctrine des Mouwahiddin (unificateurs de la foi).

1212 Les Almohades perdent la bataille de Las Navas de Tolosa, qui annonce le déclin de l'Andalousie musulmane

1578 La bataille de Oued Al Makhazine est un succès du saadien Ahmed Al Mansour, qui en profite pour évincer son frère Abdelmalek, artisan de la victoire.

1727 Au lendemain de la mort de Moulay Ismäïl, le pays subit une crise de 30 ans, dont est largement responsable son armée d'esclaves. Le sultan Moulay Abdellah est déposé 5 fois.

1844 L'armée de Moulay Abderrahmane, apportant son soutien à l'émir Abdelkader est interceptée et sévèrement défaite à Oued Isly par l'armée française.

1901 Moulay Abdelaziz veut imposer à toutes les tribus l'impôt du tertib, qui ne tient pas compte des privilèges. Mais les caïds et notables s'y opposent et pendant deux ans, aucun impôt n'est perçu par l'État.


h
5 décembre 2004 18:31
merci moon pour cete article! le maroc n'est pas le seul pays à 'manipuler' l'histoire! paratiquement tous les régimes du monde le font! la france a son trou noir avec le colonialisme, l'algérie glorifie à l'exces sa guerre de libération et j'en passe.
 
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