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Grand Angle

Les dangers des discours «médico-religieux» exacerbés en temps du coronavirus

Sociologues, médecin et oulémas marocains dénoncent une atteinte à la religion et un danger pour la santé des Marocains. Ils visent sans les nommer les Mohamed Zin Eddine, Hicham Harz Allah ou encore Mohamed El Faid qui continuent de prétendre détenir un «remède» protégeant contre le coronavirus ou «savoir comment le chasser».

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Photo d'illustration. / DR
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Depuis le début de la pandémie du nouveau coronavirus au Maroc, la médecine traditionnelle est venue contrarier, encore une fois, les conseils de médecins et d’experts en la matière. Ainsi, les discours mélangeant la religion et la médecine basée sur les plantes médicinales ont pullulé sur les réseaux sociaux, à l’approche du mois de Ramadan.

Parmi eux, un certains Mohamed Zin Eddine, qui se présente comme «chercheur dans les plantes médicinales et directeur d’une entreprise de cosmétique». Dans une vidéo virale depuis mars dernier, il assure avoir «reçu des appels de l’extérieur du Maroc» pour une plante qu’il aurait découvert et qui guérit du nouveau coronavirus. «Je sais que cette plante renforce l’immunité et tue tous les virus et les bactéries», déclare-t-il dans une interview accordée à un média marocain, totalisant depuis plus de 1,5 million de vue.  

Dans un contexte où la soif du buzz remplace le devoir d’informer, un autre Raqi a jugé opportun de se prononcer également sur cette épidémie. Dans une interview accordée à un autre média marocain, publiée sur YouTube mais sitôt supprimée, il a puisé dans un référentiel islamique, en affirmant que «le miel mélangé à la graine de nigelle est le remède du coronavirus».  

Un autre «expert» palestinien établi au Maroc, a lui aussi affirmé avoir trouvé un remède qui «tue à 100% le coronavirus», a-t-il déclaré dans une interview. «Je guéris le coronavirus avec trois méthodes, notamment pour ceux qui ne résident pas au Maroc», a-t-il lancé en assurant que son remède «est sûr à 1000% et que la guérison est garantie en moins de 36 heures».

Des charlatans qui ne veulent qu’«attirer des clients ou des suiveurs»

Le dernier sur la liste n’est autre que le célèbre Mohamed El Faid. Celui qui conseillait autrefois aux personnes souffrant de maladies chroniques de jeûner, malgré les mises en garde des médecins, est revenu pour mettre en lien le jeûne et le coronavirus.

Dans une interview accordée à une chaîne algérienne, El Faid a assuré que «le jeûne permet de combattre le coronavirus». Il y préconise des «infusions de cannelle et de clous de girofle» à inhaler, affirmant qu’en cas d’infection, «cela réduit de 70 à 80% la quantité de virus». Mohamed El Faid fait, depuis, l’objet d’une pétition appelant à ce qu’il soit poursuivi en justice pour mise en danger la vie d’autrui.

Le mélange de la religion et de la médecine par des individus n'ayant de légitimité dans aucune des deux disciplines, est un classique du charlatanisme. Pour le sociologue marocain Ali Chaabani, «la méthode scientifique pour analyser une matière est une chose, mais l’évoquer seulement, comme le fait la religion, en est une autre». ««Nous ne pouvons pas mélanger entre l’analyse d’une chose et sa description», plaide-t-il.

«La religion peut nous indiquer certains comportements qui peuvent nous protéger contre la maladie, comme l’hygiène, la prévention et le fait de ne pas se rendre dans les zones infectées. Elle se base donc sur le conseil et l’orientation, sans avancer qu’elle guérisse des maladies.»

Ali Chaabani

Dénonçant que la religion se transforme en «charlatanisme et mythe», dans ces conditions, il considère que ces personnes «déforment la religion, qui est quelque chose de noble et de spirituel» et y «porte atteinte». Pour lui, «le manque de conscience, de connaissance et de compréhension de certaines questions poussent des Marocains à suivre ces personnes».

L’Etat et le Marocain responsables

Pour sa part, le psycho-sociologue Mohssine Benzakour rappelle que les scientifiques du monde entier sont «en phase de découverte» face au coronavirus. «De là à prétendre la découverte d’un médicament miracle ou proposer aux gens de manger tel produit ou préconiser telle recette est vraiment prétentieux. Nous ne pouvons pas joueur avec la santé des citoyens», met-il en garde. Et de considérer que ces personnes «entrainent la population dans des faux espoirs en utilisant la religion».

Mohssine Benzakour considère aussi que l’Etat et les Marocains sont responsables de ce qui se passe. «Je responsabilise l’Etat marocain, car il y a plein de charlatans qui exercent sans que les autorités ne se mobilisent et ce n’est qu’aujourd’hui qu’on préconise la science, la médecine et la recherche», explique-t-il.

«Les Marocains ne cherchent pas la vérité, ne prennent pas les précautions et sont prêts à écouter tout et n’importe quoi. Ces gens n’auraient pas pu avoir autant de lumières braquées sur eux s’il n’y avait pas autant de personnes naïves. Quelque part aussi, le Marocain est aussi responsable, car il est facilement accroché par un discours religieux.»

Mohssine Benzakour

Interrogée par Yabiladi sur cette question, Dr. El Mountadar Alaoui souligne qu’on ne peut pas comparer «les médecins qui se spécialisent dans des sciences vérifiées et soumises à des expériences et des pratiques basées sur une littérature scientifique, à ces personnes non-qualifiées» lorsqu’il s’agit de santé publique. «Parler d’herbes et de médecine alternative en puisant dans un registre patrimonial et religieux est malheureusement très prisé par la société marocaine», regrette-t-il.

Le médecin reconnaît que «le public est souvent dans des postures vulnérables car ne pouvant pas se permettre une médecine moderne basée sur des analyses, des radiologies et des scanners, qui peuvent s’avérer chers». Mais il alerte sur la médecine ancienne, basée sur l’alimentation et des plantes médicinales, mais dont les «dosages et les mélanges peuvent s’avérer dangereux pour certaines personnes».

«Il faut que les Marocains restent vigilants, rien ne peut remplacer le diagnostic d’un médecin. Ces personnes, qui s’adressent aux Marocains pour leur proposer des recettes "médicales", ne sont pas médecins.»

Dr. El Mountadar Alaoui

Des discours qui portent atteinte à la religion elle-même

Même les religieux se détachent de ceux utilisant un référentiel religieux pour prêcher des conseils médicaux. «C’est la médecine qui détermine la capacité d'une personne à jeûner ou non», nous rappelle le président du conseil des oulémas de Témara, Lahcen Skanfal. Pour lui, «un remède contre une maladie doit émaner du travail de médecins et non pas de celui des oulémas, qui ont pour rôle d’expliquer ce que Dieu a dit aux gens uniquement». «Quiconque parle au nom de la médecine et qui n'est pas médecin, se targue d'une spécialité qui n'est pas la sienne», conclut-il.  

De son côté, le président du conseil des oulémas local de Rabat, Abdellah Guedira estime que «ce gendre de discours porte atteinte à la religion, car chacun a sa spécialité». Il rappelle que les scientifiques conduisent des expérimentations scientifiques pour trouver un médicament et découvrir ce qui peut traiter les maladies. «Ce sont eux qui ont le droit de parler de comment combattre une maladie et des moyens à utiliser», affirme-t-il.

«Faire offense à la religion en prétendant connaître l’inconnu est éloigné de la religion. Nous devons être patients, conformément à la parole de Dieu, obéir à ceux qui nous gouvernent et suivre leurs conseils.»

Abdellah Guedira

Le président du conseil des oulémas local de Rabat met aussi en garde contre le fait d’«appeler les gens à quelque chose dont nous ignorons les conséquences». «Dieu veut que nous le prions. Il a dit ‘’Appelez-moi et je vous écouterai’’. Prétendre que cette pandémie sera levée à un moment précis, à la place des médecins et des chercheurs, sont des tentatives voulant créer de la confusion et la zizanie car ces personnes interfèrent dans des affaires qui ne les concernent pas», conclut-il.

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