Menu

Grand Angle

Maroc : En période de crise, les ministres s’éclipsent [Edito]

En ces temps de crise, il est formidable d’observer un nouveau phénomène de ruissellement consenti par les plus puissants : les projecteurs se tournent désormais vers des visages que nous n’avions jamais vus.

Publié
Depuis le 18 mars dernier, le ministre de la Santé s’est fait plus rare devant les caméras / Archive - DR
Temps de lecture: 3'

A côté du drame du coronavirus, il est intéressant de souligner les révolutions entreprises par le Maroc en un laps de temps très court. Les Marocains font la queue devant la boulangerie ; le ministère de l’Education s’essaye à l’enseignement en ligne ; les entreprises et l’Etat mobilisent plusieurs milliards pour les hôpitaux publics ; des cours universitaires passent sur Arryadia, la chaîne sportive ; la population la plus précaire pourra toucher un revenu minimum temporaire moyennant un SMS et son identifiant RAMED.

Un «bidule» de virus, comme l’a qualifié l’ancien ministre de la santé pamiste, Mohamed Cheikh Biadillah, aura donc réussi à transformer notre tendance à la procrastination, vers un nouveau modèle de développement  proactif, citoyen et technophile. Pourvu que ça dure !

Il y a une autre transformation qui aura marqué les plus observateurs d’entre vous. Les responsables politiques très présents médiatiquement il y a quelques mois, sont en train de s’éclipser progressivement, comme si eux aussi étaient en confinement. Fini les conférences de presse pour expliquer que tout est maîtrisé. Même les très convoitées sorties télé se font plus rares. Tout juste quelques communiqués de presse circulent parmi les journalistes, faisant état de telle ou telle décision.

Dr Lyoubi / DRDr Lyoubi / DR

La preuve par le vide

Comment la parole politique a-t-elle été démonétisée en un laps de temps aussi court, alors même que la population marocaine témoigne d'une soif insatiable d’information sur l’épidémie du nouveau coronavirus, comme les audiences des différents supports médias le prouvent ? C’est d’autant plus incompréhensible pour le ministre de la Santé, au coeur de la tempête sanitaire qui agite le royaume. Beaucoup de journalistes, à l’instar de mon confrère Naceureddine Elafrite de Medias24, vous le diront : la communication du ministère de la Santé est aux abonnés absents. Les réponses à nos questions se sont faites de plus en plus rares.

Le ministère de la Santé semble avoir oublié l’existence même des médias, sauf pour leur demander de diffuser une campagne publicitaire gratuite, que nous avons évidemment acceptée. Les journalistes se sont ainsi progressivement transformés en dactylo, reprenant texto les chiffres lus lors du point de presse de 18h00. Si on avait la chance d’avoir parfois le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb, lors du stade 1 de l’épidémie, nous l’avons perdu lors du passage au 2e stade. Plus affable, le chef de la direction de l’épidémiologie et de lutte contre les maladies du ministère marocain de la Santé, Mohamed Lyoubi, a été très présent jusque récemment.

Le carrousel du porte-parolat

En effet, depuis quelques jours, nous assistons a une communication en mode carrousel : une fois Rachida, une fois Karim, une autre Jilali, parfois les trois à la suite. Notez que ces prénoms ne sont pas fidèles, puisqu’on ne connaît même pas leurs identités ni leurs fonctions. Si la crise sanitaire se prolonge dans le temps, il sera possible de faire un trombinoscope de tout le staff du ministère de la santé grâce à ce point de presse quotidien.

Les éternels optimistes y verront une formidable image de mise en avant des compétences au sein du ministère. J’applaudirais volontiers si cette mise en avant correspondait à une vraie stratégie d’équipe et d’aplatissement de la pyramide hiérarchique. Bizarrement, dans notre pays, et notamment au sein des ministères, les «petites mains» ne sont jamais mises en avant en période ensoleillée. Seulement quand il y a de l’orage et qu’il est préférable de rester à l’abri.

Alors, qui devra assumer les choix du protocole thérapeutique pour les malades du coronavirus ? Qui doit répondre sur l’insuffisance des tests ? Qui pour expliquer pourquoi les personnes de retour de l’étranger n’ont pas été mises en quarantaine ? Qui pour expliquer l’impréparation en termes d’approvisionnement de matériel de protection pour l’ensemble du corps médical et non pas juste les services covid-19 ? Qui assumera la responsabilité d’une infection de tout le personnel du service des urgences d’un hôpital ?

Nous avons cherché en vain réponse à toutes ces questions. Aucun membre du porte-parolat tournant du ministère n’assumera la responsabilité d’une déclaration. En attendant, le personnel hospitalier continue de travailler avec la peur au ventre. Et pour nous les confinés, nous avons tout le temps de méditer cette nouvelle maxime : «Quand tout va bien, le mérite m’en revient. Si les choses se gâtent, j’envoie Rachida, Karim ou Jilali à la hâte !»

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com