Plusieurs sujets font l’objet de débats dans la course à la présidentielle française. Il y a cependant un autre, très social et qui devrait à priori intéresser les politiques. Mais fort est de constater que ce n’est pas le cas. Il s’agit de la situation des banlieues en France. Les habitants de ces oubliés de la présidentielle ont décidé de se faire entendre d’eux-mêmes. Le collectif AC Lefeu (Association Collectif Liberté, Égalité, Fraternité, Ensemble, Unis) lance un appel aux candidats à la présidentielle. Pour ce faire, ils ont installé en plein cœur de Paris, un «ministère de la crise des banlieues». Le président du collectif, Mohamed Mechmache, et son équipe se sont levés très tôt mardi matin pour inaugurer le «ministère» dans un hôtel particulier du 4ème arrondissement de Paris.
Invitation au débat
«C’est juste que la question des quartiers populaires dans la campagne présidentielle n’est pas du tout une priorité. Notre problème à nous c’est qu’on vit dans ces quartiers au quotidien. Il y a des problématiques qui sont récurrentes avec des populations qui souffrent de plus en plus» a déclaré à Europe 1 Mohamed Mechmache. Il ne comprend d’ailleurs pas qu’il faille «occuper un hôtel en plein centre de Paris pour mettre la banlieue et ses 8 millions d'habitants sous les projecteurs». «L' occupation pacifique est symbolique. Ici, nous invitons les candidats à l'élection présidentielle à venir débattre avec nous, nous avons fait 12 propositions qui ne coûtent pas cher. Par exemple, dans les villes où il n'y a pas 20% de logements sociaux nous voulons que l'Etat réquisitionne les terrains vacants de ces villes et construise des logements sociaux» a-t-il déclaré. Cette occupation doit durer 48 heures et certaines personnalités doivent venir leur rendre visite, comme Jamel Debouzze ou Grand Corps Malade, rapporte ParisDépêches.
Pas de réprésentants
Les habitants des banlieues veulent «que les candidats aux présidentielles puissent nous prendre en compte avec nos revendications parce qu’au jour d’aujourd’hui, ils n’évoquent pas ces sujets-là. Ils pensent qu’on ne votera pas forcément, alors qu’on est bien là et on veut prouver que même si on va voter blanc, on vote quand même», défend une militante. Le problème résiderait dans le manque de représentations à l’Assemblée de cette catégorie de la population. «Y’a pas assez de personnes qui nous représentent à l’Assemblée. C’est pour cela que les gens ne votent pas. Et dans les discours de la campagne, la banlieue est absente, donc on veut parler nous-même», déplore une jeune militante.
Pourquoi les politiques ne s’intéressent pas aux banlieues ?
«C'est parce que les banlieues votent peu que les partis ne s'intéressent pas à leur population», telle est la réponse que donne la politologue Céline Braconnier à cette interrogation qui taraude des habitants des banlieues. «Dans les pays où le vote est obligatoire, comme au Brésil, on constate que les programmes politiques incluent davantage la question des catégories populaires. Les candidats sont obligés de s'intéresser à elles», explique-t-elle au journal Le Monde. Selon la politologue, l'offre politique en France se concentre davantage sur le «corps électoral réel», plus vieux et diplômé que la moyenne nationale, que sur le «corps électoral potentiel».
Pour Jean-Yves Dormagen, professeur de sciences politiques à l'université Montpellier-I, la raison est toute autre. Les habitants des cités n'ont souvent qu'une connaissance très partielle des acteurs politiques. «Les gens ne savent pas forcément qui est le premier ministre et ne connaissent pas les sigles partisans. C'est un monde qui leur paraît très éloigné», explique-t-il.
Demande légitime
Le politologue Henri Rey , quant à lui, n’est pas d’accord avec ceux qui trouvent des justifications au désintéressement des politiques vis-à-vis des banlieues. Au contraire, c’est une tranche de la population à prendre au sérieux dans le débat sur la présidentielle. Il soutient que «ce n'est pas parce qu'elles ne sont pas nommées comme telles qu'elles ne sont pas présentes. Plusieurs grands thèmes développés sont en relation directe avec elles : le logement, le chômage des jeunes, la sécurité...».
La seule politique qui a fait de la banlieue son cheval de bataille dans la course à l’Elysée est Ségolène Royale qui «avait pris le sujet à cœur» en 2005, fait remarquer l’historien François Durepaire, regrettant qu’ «en 2012 ce n’est plus le cas». «A La Courneuve, à Clichy (Seine-Saint-Denis), les gens ont l'impression d'être loin de Paris, au point que des jeunes maintenant se définissent par rapport à la nationalité de leur parents, c'est totalement nouveau», a-t-il ajouté. En effet la population des banlieues françaises est majoritairement issue de l’immigration. Il s'agit soit des immigrés, soit des enfants d’immigrés. Après un grand buzz comme celui-là, les politiques fléchiront-ils ? A suivre… En attendant, le maire de Paris, Bertrand Delanoë a rencontré le collectif cet après-midi.