Yabiladi : La distribution du numéro d’El Pais daté du 16 février dernier a été interdite au Maroc en raison d’une caricature du roi Mohammed VI accompagnant votre article. N’aviez-vous pas prévu, en tant que spécialiste de la politique marocaine cette censure ?
Ignacio Cembrero : A vrai dire je n’y ai pas pensé quand j’ai vu que la rédaction avait inséré la caricature au milieu de mon article. J’ai sans doute manqué de réflexe. Ce n’est que par la suite que l’idée m’est venue à l’esprit. Mais je me suis dit que la caricature était petite, pas méchante et que des vents nouveaux soufflaient sur le Maroc depuis quelques mois. J’ai donc parié qu’El País ne serait pas interdit. J’ai non seulement manqué de réflexes mais je me suis trompé. Deux questions toute simples : Pourquoi peut-on publier des caricatures du Roi Juan Carlos d’Espagne ou de la Reine d’Angleterre et pas du Roi du Maroc ? Pourquoi les autorités marocaines ne sont pas cohérentes et ne bloquent pas sur Internet l’accès aux pages des journaux étrangers qui publient des caricatures ?
Vous deviez donner une conférence sur les relations entre le Maroc et l’Espagne le 29 février prochain à l’Ecole de Gouvernance et d’Economie (EGE) de Rabat. Malheureusement, celle-ci a été annulée. Pour quelles raisons ?
Officiellement on ne m’a donné aucune raison mais on s’est excusé par mail. Publiquement plusieurs responsables de l’EGE ont dit à des amis journalistes marocains, à des professeurs, à des diplomates ou à des étudiants que ma conférence était non pas annulée mais reportée à cause des examens des élèves. Ah bon ? Quand le 15 février ils m’ont envoyé la réservation des vols ils ne savaient donc pas qu’il y avait des examens le 29? Quelle est donc la nouvelle date où je pourrai enfin parler ? Il n’y a pas de nouvelle date. Cette explication publique est mensongère. Discrètement, en sous-main, des personnes qui collaborent avec l’EGE m’ont donné une autre explication, la vraie. Il y a eu veto à ma présence à l’EGE, veto venu de l’extérieur et émis «par les services».
Quels sentiments vous animent à l’idée de ne pouvoir vous exprimer cette fois-ci, puisque vous avez été invité plusieurs fois, à l’HEM par exemple, à prendre la parole auprès d’étudiants ou d’associations marocaines?
Frustration. J’aime beaucoup parler devant des jeunes marocains, prendre leurs questions et parfois boire un café ou partager la croûte avec eux après ma prestation. Je ne sais pas si je leur apprends quelque chose, mais moi j’apprends beaucoup d’eux. Je rencontre une jeunesse bien plus motivée et inquiète que celle de beaucoup de pays européens à commencer par l’Espagne.
L’Espagne et le Maroc sont condamnés par la géographie à bien s’entendre. Comment se portent actuellement les relations Maroco-espagnoles sachant que les intérêts divergent parfois notamment en ce qui concerne l’accord Maroc-UE ?
Elles se portent dans une certaine indifférence parce que l’Espagne a une grosse crise économique sur les bras et le Maroc vit une expérience inédite avec l’arrivée du PJD au pouvoir. Je me demande d’ailleurs si l’Europe ne va pas finir par exporter sa crise au Maroc, mais ce n’est pas le sujet de l’interview. On a donc, des deux côtés, d’autres chats à fouetter plutôt que de s’occuper du voisin pour améliorer la relation ou pour se quereller comme en 2001/2002. Il y a cependant une grande contradiction au sein des partis politiques espagnols, chez les socialistes mais encore plus dans les rangs de la droite du Parti Populaire. Ils rejettent l’accord agricole, approuvé la semaine dernière par le Parlement Européen, mais ils souhaitent, en revanche, un nouvel accord de pêche. Les Marocains répondent, avec un certain bon sens, que le poisson se mange avec de la tomate. Je me demande si cette contradiction se résoudra après les élections régionales andalouses, le 25 mars. C’est les agriculteurs andalous qui sont, en théorie, les plus lésés par l’accord agricole. Il s’agit de conquérir leurs voix.
Il n’y a pas eu foule lors des célébrations du 1er anniversaire du Mouvement du 20 Février ce week-end dans plusieurs villes du Royaume. «La mobilisation a faibli» selon une sympathisante. Pourtant, la contestation avait été vive l’année dernière. Quelles interprétations faites-vous de cette baisse de forme du M20 ?
Il y a trois facteurs qui expliquent cet essoufflement. D’abord Justice et Spiritualité [Al Adl wa El Ihsane] n’est plus là, dans les manifestations. Ensuite le gouvernement à connotation islamiste suscite bien des espoirs qui démobilisent une partie des manifestants. Enfin, le 20 Février est un mouvement un peu chaotique qui n’a jamais réussi à mobiliser avec les couches les plus humbles de la population. Cela dit, il a écrit, depuis un an, une page importante de l’histoire du Maroc et ce n’est sans doute pas fini.
La constitution marocaine a été révisée l’année dernière. Puis à la suite de la victoire du PJD aux législatives, le gouvernement Benkirane a été désigné. Quels commentaires faites-vous de cette actualité ?
Que le Maroc semble être sur la bonne voie -les élections de novembre ont été les plus libres de l’histoire du pays- mais qu’il lui reste encore du chemin à faire.