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Interview

Maroc : «L’abolition de la peine de mort doit être renforcée par des décisions politiques»

A Tunis, un Réseau maghrébin contre la peine de mort a vu le jour, regroupant des structures et des coordinations associatives notamment marocaines. Président de l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH), Boubker Largo rappelle d’ailleurs que l’évolution de ce débat doit être accompagnée de décisions politiques.

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Photo d'illustration / DR.
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Au temps où ce réseau est créé, des condamnations à la peine de mort au Maroc ont été prononcées même si elles ne sont pas exécutées. Comment expliquer ce traitement ?

La peine de mort existe dans le Code pénal marocain, le Code de justice militaire et la loi antiterroriste. Au regard de l’autorité de la magistrature, il existe des dispositions légales que la justice veille donc à appliquer, bien qu’une partie des magistrats opte pour la jurisprudence, dans les cas en question. Il faut savoir justement que cette situation est en train de changer.

Le projet du Code de procédure pénale, en cours d’examen, prévoit qu’au niveau des juridictions de premier degré, les trois juges des délibérations doivent être unanimes pour prononcer une condamnation de la peine de mort et que si l’un d’eux s’y oppose, ce verdict ne peut être rendu. Au niveau des cours d’appel, le texte impose l’unanimité de cinq juges pour décider une peine de mort, ce qui est un premier pas.

Par ailleurs, la jurisprudence dans le droit marocain reste faible et ce point a été soulevé par le Conseil des droits de l’Homme de Genève. Cette recommandation doit être prise en compte par les juges et les magistrats, afin de rendre leurs pratiques et leurs verdicts plus adéquats avec les dispositions internationales signées et ratifiées par le Maroc, ce qui peut réduire le nombre de condamnations à la peine de mort.

Autre indice signifiant que nous avançons vers une abolition, nombre de condamnés à mort sont concernés par un passage à une peine de prison et une annulation de la peine capitale, dans le cadre des grâces royales. Cette année, 33 à 34 détenus ont été concernés.

Le travail de la Coalition marocain contre la peine de mort (CMCPM) - dont l’OMDH fait partie- contraste avec la démobilisation des politiques, dont les députés parlementaires. Cette question fait-elle partie de leurs priorités ?

Les défenseurs de l’abolition de la peine de mort ont longtemps compté en leur sein un réseau de députés comptant 245 parlementaires. Mais à notre grande surprise, le Code de justice militaire a été adopté à l’unanimité, y compris par des membres de ce réseau, qui ne se sont pas abstenus. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’une décision politique de leurs partis. Depuis, plusieurs ne sont plus élus et ce réseau doit donc être renouvelé.

Dans ce sens, nous avons tenu avec eux deux récentes rencontres et nous avons frappé aux portes de leurs formations politiques pour leur rappeler leurs engagements sur la question. D’ailleurs, la Fédération de gauche démocratique (FGD), l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le Parti du progrès et du socialisme (PPS) et le Parti authenticité et modernité (PAM) s’étaient prononcé pour l’abolition de la peine de mort. Nous essayons maintenant de les pousser à inclure ce point à leur ordre du jour, surtout que le droit international évolue vers la reconnaissance de la peine capitale comme une forme de torture.

Nous ne nous tournons plus uniquement vers les partis politiques, les juges et les avocats, mais nous ouvrons le débat également au sein d’intellectuels, de chercheurs et d’oulémas, ainsi que les journalistes, par la création d’un réseau des professionnels des médias pour l’abolition de la peine capitale et la sensibilisation au droit à la vie.

Pourquoi garde-t-on alors un texte de loi peu ou pratiquement pas utilisé ?

C’est à l’image du débat actuellement en cours même au sein des institutions. En témoigne l’avis du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) qui appuie l’abolition, mais l’avis contradictoire du ministère d'Etat chargé des droits de l’Homme et rappelé lors de l’exposé de l’Examen périodique universel à Genève.

Celui-ci a d’ailleurs rappelé que le Maroc n’abrogerait pas cette disposition et nous menons un débat élargi justement pour trouver un point de convergence sur lequel nous pouvons passer à une annulation de la peine capitale. N’oublions pas encore une fois que l’abolition est essentiellement une question politique qui oriente l’opinion publique.

Où se positionne le Maroc par rapport à la situation régionale au sujet de la peine de mort ?

En Tunisie et en Mauritanie, la justice a décidé officiellement la suspension de l’exécution de la peine de mort, comme un premier pas reconnu par les mécanismes internationaux vers l’abolition. Contrairement à cela, le Maroc n’est pas engagé formellement dans une démarche de suspension via un texte de loi, même si la pratique nous montre que c’est le cas depuis 1993. Nous continuons toujours à remarquer un double-traitement du Maroc à cette question.

Vendredi dernier lors de la Conférence nationale pour l’abolition de la peine de mort, tenue à Tunis, un Réseau maghrébin contre la peine de mort a été constitué pour intensifier la mobilisation à différentes échelles dans quatre pays : la Mauritanie, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. La Coalition marocaine contre la peine de mort (CMCPM) est d’ailleurs membre, incluant notamment l’OMDH entre autres organisations de la société civile de notre pays.

A travers notre partenariat avec Ensemble contre la peine de mort (ECPM) dans ce sens, nous appelons notre pays, ses décideurs et ses institutions pour abolir la peine capitale, d’autant plus que chaque année, des pays décrètent une suspension ou une abolition et il est temps que le Maroc les rejoigne.

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