Yabiladi : A la veille du Manifeste de l'Indépendance du Maroc, avez-vous entendu parler d’une grâce royale ?
Taline Moumni : Non, nous n’avons eu aucun écho. Mais j’insiste sur le fait que la grâce n’est pas un privilège, mais un droit pour tous les justiciables. La réduction de 10 mois que l’on a eu en décembre dernier n’est pas une victoire, c’est même scandaleux ! Je ne comprends pas comment on fait des verdicts qui diminuent entre deux, ça ne rime à rien. Il va falloir encore se battre pour aller jusqu’au bout. Aujourd’hui on attend deux choses : la libération et la réhabilitation de Zakaria.
Comment va Zakaria ?
TM : C’est un battant, il a un moral de champion ! Il ne se laisse pas abattre. Malgré cela, Zakaria ne peut s’empêcher d’avoir un sentiment de trahison vis-à-vis de son pays et jusqu’au jour d’aujourd’hui, il ne comprend pas pourquoi ça lui est arrivé à lui, comment le pays qu’il aime et pour lequel il a tant d’affection a pu lui infliger ça.
Et physiquement ?
TM : Il ne s’entraîne pas. Je ne sais pas s’il a maigri… je ne l’ai pas vu depuis le mois de juin dernier mais les associations qui lui rendent visite l’ont trouvé plutôt bien.
De votre côté, comment arrivez-vous à tenir ?
TM : Ca va, ça peut aller. Je vis au jour le jour. Je ne fais plus de projet, le terme «projet» est un mot qui ne fait plus partie de mon vocabulaire. Malgré cela, j’ai le moral et je ne lâche rien. Ca m’arrive parfois de craquer. Il y a aussi des moments de solitude. Je vis dans une angoisse perpétuelle en craignant qu’on puisse encore faire du mal à Zakaria.
Depuis son incarcération, comment communiquez-vous tous les deux ?
TM : Au départ, quand il était à la prison Zaki à Salé, il y avait une cabine téléphonique et il m’appelait avec une télécarte. Puis il a été transféré en mars dernier vers une autre prison à 200 kilomètres de Rabat et là bas, il n’y avait plus aucune cabine téléphonique. Donc je prenais de ses nouvelles via sa famille qui allait lui rendre visite une fois par mois. Une fois par mois seulement parce que c’est loin et aussi parce que les gardiens rackettaient les familles en ponctionnant sur la nourriture qu’elles apportaient aux prisonniers. Cela arrivait beaucoup pendant le Ramadan. C’est une honte ! Les gardiens rentrent le soir pour manger avec leur famille mais ça ne les gênait pas de piocher un litre de lait sur un pack de six, par exemple, amené à un prisonnier. Depuis octobre dernier, il a été re-transféré vers la prison Zaki et on peut se parler par téléphone.
Comment se passe son quotidien en prison ?
TM : Il a le droit à des intimidations de la part des gardiens à cause de mes différentes interventions dans les médias. Ils l’ont menacé de torture à plusieurs reprises. Au mois d’octobre dernier, on lui a même dit «tu ne connais pas la torture toi en prison, tu vas voir ce que c’est !» Il vit aussi avec des prisonniers de droit commun, des tueurs, des pédophiles, des escrocs. Ce qui m’a choqué le plus c’est qu’il est avec des zoophiles qui filmaient en plus leurs actions dégoûtantes. Ces derniers ont pris 5 ans de prison et en plus ils ont le droit de voir leur peine réduite et mon mari a pris 3 ans. C’est ça la justice ?!
Qu’allez-vous faire quand Zakaria sera sorti de prison dans moins de 5 mois ?
TM : La priorité c’est qu’il rentre vivant. Mais je n’ai pas de projets aujourd’hui. Je souhaite retrouver une vie normale. Je ne pense pas faire des enfants… vouloir faire des enfants dans ce monde d’injustice, ça me fait réfléchir à deux fois.
Avec le calvaire que vous vivez, quels sont vos sentiments vis-à-vis du Maroc ?
TM : J’ai beaucoup de tendresse pour le Maroc. D’une part, parce que c’est le pays de naissance de mon mari. Aujourd’hui, je n’ai pas de rancœur vis-à-vis de ce pays mais beaucoup plus envers la justice marocaine. J’espère que toutes ces promesses de la fin de l’arbitraire vont être tenues et qu’il va y avoir de sérieuses réformes à ce niveau-là. Le peuple marocain est un peuple que j’aime, le Maroc est un pays magnifique mais il mérite mieux que cela.