«L’inexplicable carnage», comme l’a titré le quotidien La libre Belgique, qui a secoué Liège hier après-midi, suscite émoi et incompréhension. Le denier bilan du carnage de Liège fait état de 125 blessés et cinq morts, dont un bébé de 17 mois transporté dans un état critique à l’hôpital et une femme retrouvée morte dans le domicile du tireur. La vieille dame de 75 ans, donnée pour décédée à l’hôpital, a survécu. L’origine marocaine du tireur gêne, principalement les Marocains de Belgique. La communauté belgo-marocaine vacille entre la tristesse profonde et la crainte d’être stigmatisée. Des artistes belgo-marocains ont partagé leur indignation avec Yabiladi.
«Cet acte ne concerne pas une communauté»
Pour Mohamed Ouechen, acteur, condamner un acte barbare qui touche des innocents va de soi. «Je trouve cela assez triste qu'en Belgique on se retrouve dans de telles situations, ça pousse à se poser beaucoup de question en tant que citoyen et celle qui revient le plus souvent c'est «qu'est ce qui a poussé ce jeune homme à lancer cette tuerie puis à se donner la mort ?»». Sans doute la folie. Et la folie n’est pas propre aux immigrés, c’est la thèse d’Ouechen. «Comme en 2009 ce Kim De Gelder qui fait irruption dans une crèche et poignarde à mort deux enfants […] et une puéricultrice.[…] En blessant 10 autres enfants. Jusqu'à aujourd'hui son procès n'a pas encore eu lieu.» rappelle-t-il.
«Cet acte ne concerne pas une communauté, poursuit Mohamed Ouechen. Si c'était un chinois qui avait fait ça, est ce qu’on aurait supposé que c’est la Chine qui attaque? Que c'est les bouddhistes qui on pété un câble ? On aurait dit au belgo-chinois «il y a un des vôtres qui a foiré, qu'est ce qui vous arrive ?».» ironise-t-il.
«le 11 septembre 2001, pour moi, est un jour sans fin…»
La colère d’Ismaël Saïdi, policier qui a interrompu sa carrière pour devenir scénariste et réalisateur, n’a d’égal que son deuil. «Je condamne l’acte barbare et odieux commis à Liège hier matin. Je le condamne d’autant plus que je suis père et que je partage la douleur de tous ceux qui ont perdu en enfant, un frère, une sœur, un être cher.» témoigne-t-il. Il condamne, mais refuse d’entrer dans le jeu de «qui est le plus tueur». «Tout en condamnant cet acte, je me refuse de chercher sur internet ou dans la presse des actes similaires commis par des «autochtones» comme le font beaucoup de mes compatriotes aujourd’hui de peur d’être «confondus» avec ce fou furieux. Je n’ai pas à prouver que la «folie» n’a pas de race ou de religion.», insiste Saïdi qui tient à mettre des distances entre lui et Nordine Amrani, le tireur de Liège. «Je ne demande pardon à personne, car je n’ai rien fait. Je ne suis coupable de rien et ma différence n’est pas semblable à celle des autres et sûrement pas à celle d’un fou furieux, meurtrier.».
La suite de son témoignage est d’autant plus touchante que sa douleur est palpable. «En fait, aujourd’hui j’ai mal. Mal de voir la souffrance des autres, innocents et victimes d’un acte barbare et immonde. Mal d’être regardé comme lié à cet acte. Mal d’avoir à justifier jusqu’à ma raison d’être. Mal d’être un Européen de seconde zone dès qu’un acte grave est commis par quelqu’un, quelque part sous prétexte qu’il a la même origine. Mal que le 11 septembre 2001, pour moi, soit un jour sans fin…», s’écrie le réalisateur.
«Il (Nordine Amrani) a réveillé le raciste qui sommeille en chacun»
Rival, chanteur de rap engagé, est surpris par les commentaires de ses compatriotes qu’il a pu lire sur le web. «A ce moment précis, je lis des commentaires sur facebook de gens qui ont été touchés. La première réaction de ces gens là, c’est la haine, l’envie de vengeance… que je comprends quelque part.», avoue-t-il. « Mais ça me désole de les voir s’écrier «oulaaaa c’est un marocain», et ça c’est dangereux. Ce mec là (Nordine Amrani) a tué et blessé des gens, mais il a aussi réveillé le raciste qui sommeille en chacun. Ôter la vie, c’est inadmissible, mais réveiller la haine et le racisme, c’est très dangereux.», explique Rival, très atteint par le carnage qui a secoué Liège hier après-midi. Mais il est une chose qu’il ne comprend pas : «Pourquoi accuser une communauté à cause d’un acte isolé ? On est assez stigmatisés comme ça. Je suis vraiment triste de ce qui s’est passé.».