«Le Maroc a toujours eu des relations fluctuantes avec l’Espagne. Elles dépendaient souvent de la couleur du parti au pouvoir». Ce constat du journaliste marocain Nabil Driouch est encore d’actualité. Surtout à l’approche des élections législatives anticipées en Espagne. Le 20 novembre prochain, les Espagnols sont appelés aux urnes pour élire la nouvelle formation qui va diriger ce royaume du nord méditerranéen pendant les quatre prochaines années. Après huit ans de gouvernance socialiste, marquées notamment par des crises économiques qui font aujourd’hui tanguer le navire ibérique, les électeurs risquent vraisemblablement de confier leurs affaires à une autre formation de l’échiquier politique espagnole.
Selon différents sondages, cette formation n’est autre que le Partido Popular, le Parti populaire espagnol (PP). Le même parti qui avait poussé le Parlement européen à condamner le Maroc après le démantèlement du camp de Gdim Izik en novembre 2010. Son chef de file, Mariano Rajoy, devrait en effet être le prochain locataire du Palais de la Moncloa, la résidence du président du gouvernement espagnol. Un changement d’homme qui risque de se traduire pour le Maroc, par une nouvelle période de cohabitation difficile avec le voisin espagnol.
Cohabitation difficile
Les relations maroco-espagnoles ont en effet toujours souffert de l’arrivée au pouvoir des hommes de la droite radicale espagnole. Ce fut notamment le cas lors des huit ans de présidence de José Maria Aznar, entre 1996 et 2004. Une période marquée par de nombreuses disputes entre les deux royaumes. Des crises qui ont connu leur paroxysme en 2002, lorsque le gouvernement espagnol avait décidé d’occuper l’îlot Leila, située aux larges des côtes marocaines. Une armada de l’armée espagnole avait alors débarqué sur ce lopin de terre pour y chasser une poignée d’éléments des forces sécuritaires marocaines. La crise avait même nécessité l’intervention des Etats-Unis pour calmer les nerfs de leurs alliés espagnols et marocains.
Le Sahara
Si l’arrivée au pouvoir en 2004, du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero n’a pas toujours été synonyme d’entente entre Rabat et Madrid comme espérée, que dire alors d’un retour du PP ? D’autant plus que les dossiers qui fâchent ne manquent pas. A commencer par l’éternelle question du Sahara, qui, selon Taïeb Fassi Fihri, ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, constitue «le thermomètre des relations entre le Maroc et l’Espagne». Le parti populaire parle toujours d’une «autodétermination du peuple sahraoui», aux antipodes du plan d’autonomie proposé par le Maroc. Pour Bernabe Lopez Garcia, professeur d’Histoire de l’islam contemporain, au département des Etudes arabes et islamiques, à l’Université autonome de Madrid, «il faudra s’attendre à des malentendus [entre les deux pays] si le PP maintient cette position».
Sebta et Melilia
Autre épine, les présides de Sebta et Melilia, respectivement occupés par l’Espagne depuis 1580 et 1497. Le Maroc continue de les revendiquer, même s’il le fait de moins en moins fort, car beaucoup plus préoccupé à renforcer son contrôle sur le Sahara, une ancienne colonie dont les Espagnols se sont définitivement retirés en 1976, suite aux accords de Madrid de 1975 entre le Maroc, la Mauritanie et l’Espagne, consacrant le partage de ce territoire. «La gestion de ce dossier dépend aussi du gouvernement marocain qui sera formé à l’issue des législatives anticipées du 25 novembre prochain au Maroc», estime Bernabe Lopez Garcia. Selon lui, cette question ne reviendrait sur le devant de la scène que lorsque des partis nationalistes comme l’Istiqlal ou le PJD remportent les élections au Maroc et la remettent sur la table de discussions. Ce qui n’est ni probable, ni impossible entre le Maroc et l’Espagne.
Immigration
Pour les Marocains d’Espagne par contre, le retour probable du PP de Rajoy sonne comme l’annonce de l’arrivée d’un ouragan destructeur. Dans le contexte actuel de crise économique, le parti populaire fait de l’immigration l’un de ses principaux thèmes de campagne électorale. Les 728 234 immigrés marocains établis chez le voisin ibérique (en 2010, selon l’Observatoire espagnol permanent sur l’immigration) sont sous le collimateur du PP et de ses alliés de la droite radicale espagnole. Les Marocains, environ 30% du total des immigrés établis en Espagne constituent la première communauté étrangère qui bénéficie des services sociaux espagnols. Ils pourront également participer aux prochaines élections locales dans ce pays d’accueil, en vertu du principe de réciprocité consacré par la nouvelle constitution marocaine.
Autant de privilèges qui ne sont pas du goût des populistes et de leurs alliés des partis d’extrême droites des différentes communautés autonomes espagnoles. Depuis l’annonce par la ministre espagnole des Affaires étrangères, Trinidad Jiménez, du droit de vote des Marocains aux élections locales, des voix ne cessent de s’élever pour fustiger cet acquis. En Catalogne, le PXC (Plateforme pour la Catalogne) a même appelé à «l’extermination» des Marocains.
Religion… realpolitik
«Une question dangereuse» subsiste entre le Maroc et l’Espagne» selon Bernabe Lopez Garcia : la religion. Récemment, un rapport des services secrets espagnols dévoilé par la presse, pointait du doigt la tentative, par le Maroc, de contrôler ses ressortissants en Espagne, via des associations islamiques à la solde du pouvoir marocain. «La présence des services secrets [marocains] sur ce terrain religieux constitue un danger» selon l’universitaire espagnol. Reste à savoir comment les futurs gouvernements marocain et espagnol s’attèleront à gérer ce dossier ainsi que les autres questions dont dépend leur bonne cohabitation.
Le PP sera tiraillé entre «la Realpolitik qui l’obligera à revoir sa copie et les exigences des partis extrémistes de la droite espagnole», ajoute l’universitaire espagnol, pour qui, «l’Espagne, dans cette période de crise économique, ne peut pas se permettre d’entretenir des relations tendues avec un voisin aussi important que le Maroc». Il n’exclut pas de voir le PP adoucir son discours une fois au pouvoir. Quant au Maroc Bernabe Lopez Garcia espère que «la nouvelle constitution va permettre d’entrer dans une nouvelle étape moins idéologique et plus réaliste dans la façon de faire la politique»…