Yabiladi : Une polémique gronde sur la toile et les avis sont mitigés, Vous avez été cité dans plusieurs sites par effet de buzz (Maghreb émergent, BBC, Courrier International...ETC) comme étant opposé au projet de TGV. Vous affirmez pourtant que vous n’avez jamais pris une telle position. Comment analysez-vous cet emballement médiatique ?
Mohamed Berrada : Plus rien ne m'étonne, c'est l'ère de la propagande numérique. C’est plus l’importance du projet que mes supposés déclarations qui sont à l’origine de cet emballement. Le projet TGV a une dimension géostratégique et représente l’intégration accélérée de notre pays dans l'idéal euro méditerranéen et l'économie mondiale. De ce fait, notre pays est sujet à la convoitise, et la polémique décousue devait sûrement éclore. J’aurais tant souhaité qu’à la place de cette polémique, il y ait un débat serein empreint de sérénité et de sens de responsabilité sur un projet aussi important, avec le respect des différentes positions.
Vous n’avez donc fait aucune déclaration ces derniers jours sur le projet TGV ?
MB : Aucun site ne m’a contacté à ce jour et à ce sujet. Je n'ai donc pas eu l'occasion d'apporter une analyse en tant qu'économiste mais encore moins de l'exprimer auprès de médias qui favorisent le trafic d'influence et qui interrogent des sources douteuses. On m'attribue des déclarations sans en spécifier la source. Alors vous assistez à des reprises d’information qui se transforment en interprétations et se déforment dans le temps, alimentant la polémique. C’est dommage. Les allégations qu'on pourrait me prêter ne trouvent donc aucune véracité, à part la légitimité incarnée par les fonctions que j'ai occupé autrefois, un attribut non négligeable pour instrumentaliser probablement l'opinion publique…. Pour ma part, je n'ai fait qu'observer ce projet depuis son annonce en 2007 au sein de l'enclos parlementaire. Je reste fidèle à un style académique dans toute réflexion que je mène et les commentaires spectaculaires emprunts de dénonciation sans suite font reculer à grande vitesse.
Quelle est donc votre position sur le dossier TGV au Maroc ?
MB : Ce n’est pas une position, mais une simple réflexion personnelle. Je ne veux pas parler de l’opportunité de ce projet. Elle s’explique d’elle-même. Notre pays, depuis une dizaine d'années connait un rythme accéléré de chantiers structurants, et ce projet s'inscrit naturellement dans cette stratégie, permettant ainsi de créer de nouveaux pôles de compétitivité.
C'est à mon sens une politique de connexion ferroviaire ambitieuse pour insérer nos régions dans l'économie de la grande "région monde" une vision qui s'inscrit dans la logique de projet d'un Maroc de synergie. De part l'inter-connectivité régionale à l'intérieur comme à l'extérieur du territoire, le TGV aura en effet un rôle à assurer en tant que connecteur. Il me semble que l'équation espace /temps/objectifs est une grille de lecture de circonstance pour resituer le projet dans sa véritable dimension et provoquer un débat constructif.
C'est pourquoi, à mon sens, ce projet s’inscrit avant tout dans le cadre d’une décision politique de souveraineté qui exprime une ambition nationale. Il faut savoir lancer des défis et faire tout pour les réaliser. C’est ainsi que le pays avance. Les gens sont bien contents d'avoir aujourd'hui un réseau d'autoroutes, alors qu'à l’époque, et j’étais présent, on critiquait nos fantasmes....
Quels sont selon vous les points positifs de ce projet ?
MB : C’est un projet de développement qui s’inscrit dans le long terme. Malheureusement, les gens aujourd’hui sont surtout préoccupés par le court terme… d’où les incompréhensions auxquelles vous assistez parfois. En renforçant les infrastructures du Royaume, on renforce sa compétitivité, dans un environnement devenu de plus en plus concurrentiel. Mais ce projet va aussi donner lieu à des créations d’emploi tout au long de sa réalisation, emplois directs et indirects. N’oubliez pas qu’une part importante du cout du projet est affectée à des travaux publics fortement utilisateurs de main d’œuvre. J'ajoute que notre économie a besoin de locomotives technologiques de ce genre, susceptibles de générer un renouveau industriel dans notre pays. Mais pour cela il faut que de tels projets soient accompagnés de mesures contractuelles préférentielles en faveur de l'économie nationale, en termes de transfert de technologie, d'emploi et de sous-traitance.
Ne pensez-vous pas que le projet soit surdimensionné par rapport à un pays comme le Maroc et à son économie ?
MB : De quelle dimension parlons-nous au juste? La dimension change avec le temps. Le Maroc de demain ne sera pas le Maroc d’aujourd’hui. Le Maroc avance à grands pas. Vous assistez à la mise en œuvre de chantiers importants dans tous les domaines. Des chantiers conduits personnellement par Sa Majesté. Dans le domaine politique d’abord. Mais aussi dans le domaine des infrastructures, dans le domaine humain et social, environnemental, régional, institutionnel, dans le domaine de l’éducation et bien d’autres actions structurelles en profondeurs. Il faut bien comprendre encore une fois que dans cette stratégie, et à ce niveau, c’est la vision globale à long terme qui prédomine. Les résultats, ce sont les générations futures qui les ressentiront. Mais pensez aussi à notre ancrage à l’Europe, notre principal partenaire. Ce projet est aussi un projet européen. Dans le monde global dans lequel nous vivons, je pense fortement que les échanges internationaux privilégieront demain de plus en plus les échanges de proximité. La Chine par exemple semble se tourner de plus en plus vers son marché intérieur, et le marché européen donnera de grandes opportunités au redéploiement de notre industrie et à la création d’emploi. Nous devons nous y préparer.
Revenons à la question du financement. Il y a quelques années vous parliez avec d’autres économistes des inquiétudes sur les risques de liquidités. Aujourd’hui avec la crise de la dette dans plusieurs pays européens, et l’augmentation du déficit budgétaire du Maroc, sommes-nous vraiment en meilleure position pour financer un projet aussi important ?
MB : Ici, le débat est ouvert. Si vous voulez parler de la conciliation de la situation des finances publiques actuelle avec le coût du projet, votre question n'est pas à sa place. Le champ temporel est différent. Le déficit budgétaire peut avoir une origine conjoncturelle liée aux cycles économiques. Mais le renforcement de nos infrastructures en matière de transport et en particulier de transport ferroviaire a des incidences importantes sur notre développement à long terme. Concernant le financement de ce projet, les dernières sorties du ministre des transports ont donné les éclairages nécessaires. Le montage financier est bouclé par un tour de table qui me semble équilibré, et l'impact sur nos réserves de change serait limité. Sa réalisation et donc son financement seraient étalés sur une longue période. Quant à l'impact sur le budget dans le temps, à mon sens, on peut tolérer un dérapage budgétaire provisoire, lorsqu'il provient d'un excès de dépenses d'investissement. C’est au niveau des dépenses de fonctionnement qu’il faut rester prudent. Les investissements sont créateurs d’emploi et génèrent par la suite les ressources qui permettent de rembourser leur financement.
Pour en savoir plus :
:: Article sur le projet TGV au Maroc sur Yabiladi.com
:: Article sur BBC
:: Article sur le Courrier International