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Grand Angle

Accord agricole Maroc-UE : Les enjeux du bras de fer

Si la Commission de l’Agriculture et du développement rural au sein du Parlement européen a justifié son refus de soutenir l’accord de libéralisation des échanges agricoles entre le Maroc et l’Union européenne le 13 juillet, en invoquant principalement les risques sanitaires en provenance du Maroc, elle a surtout défendu les intérêts des agriculteurs français et espagnols. Des milliers d’emplois, de part et d’autre, dépendent de cet accord négocié durant 3 ans. Enjeux d’un désaccord qui n’en finit pas.

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La tomate marocaine cristallise les angoissent des producteurs espagnols
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La Commission de l’Agriculture et du développement rural du Parlement européen (Comagri) a recalé, le 13 juillet, l’accord agricole entre le Maroc et l’Union européenne qui avait été signé le 13 décembre 2010. Sa réponse est favorable aux pays du sud de l’Union qui s’opposent à cet accord comme l'Espagne et la France alors que des pays du nord, comme l'Allemagne, soutiennent cet accord. «Le ministère fédéral allemand de l'agriculture soutient l'accord», note Andreas Kottwitz, conseiller d'agriculture à Ambassade d'Allemagne à Rabat. «Cet accord aura en contrepartie des répercussions positives pour les opérateurs européens qui souhaitent exporter leurs produits vers le Maroc, comme les conserves de produits alimentaires ou les produits laitiers», explique Andreas Kottwitz.

Les tomates marocaines pas assez propres ?

 «L’incompatibilité des produits agricoles en provenance du Maroc avec les normes sanitaires de sécurité alimentaire et de la protection de l’environnement en vigueur à l’Union européenne» ne permet pas un tel accord, a soulevé le député italien, Lorenzo Fontana, lors de la présentation du rapport.

Pourtant, le Maroc a fait de gros efforts en matière d’hygiène et de traçabilité alimentaire, souligne Thierry Givernaud, gérant de STECOF, entreprise de certification des produits biologiques. En 2004, une loi sur la traçabilité des produits de la mer a été votée. «Le suivi pas GPS des bateaux de pêche qui partent en mer, l’enregistrement de leur pêche, son étiquetage ... ont été réellement mis en place», explique Thierry Givernaud. Le 18 mars 2010, une loi sur la sécurité sanitaire des produits alimentaires a été publiée sur le bulletin officiel. «Elle est la copie conforme du «Paquet hygiène» de la législation européenne», explique-t-il. Son application n’est pas complète mais elle est en train d’être mise en place. «La tomate marocaine est plus sûre que l'espagnole», avait même affirmé, le 14 mars dernier, John Clarke, directeur des Affaires internationales de la direction générale de l'Agriculture de la Commission europénne, soulevant un tollé en Espagne.

Concurrence relativisée

Si la barrière tarifaire est levée (droits de douane), d'autres obstacles empêchent certains produits marocains d'entrer sur le marché européen. Même si la concurrence marocaine sur le marché agricole européen n’est pas l’argument officiel de la Comagri, le gouvernement marocain, bien conscient qu’elle est la véritable motivation de son refus, se défend sur ce terrain. Aziz Akhannouch, ministre marocain de la Pêche et de l’Agriculture, se veut rassurant en rappelant que la part du marché des fruits et légumes en provenance du Maroc ne représente que 2,5% des importations totales agricoles extra-communautaires.

Il a aussi souligné, pour calmer les craintes des agriculteurs espagnols, que les productions des deux pays voisins n’entraient pas directement en concurrence puisque leur saisonnalité différait. «De nombreux opérateurs allemands souhaitent renforcer leurs relations commerciales avec des producteurs marocains. De bonnes opportunités peuvent s'offrir au Maroc, notamment durant les mois d'hiver en Europe», remarque Andreas Kottwitz. Toutefois, explique Thierry Givernaud, «cet argument est valable pour le Souss, où effectivement les récoltes sont plus précoces qu’en Europe, mais c’est beaucoup moins vrai pour le nord qui est en concurrence directe avec l’Espagne.»

L'immigration comme enjeu

Pour le Maroc, l’Union a aussi tout intérêt à signer cet accord pour des raisons politiques. «Voulez-vous que 80 000 travailleurs marocains se retrouvent de l’autre côté de la Méditerranée ?», a demandé Aziz Akhanouch à la Comagri, le 13 juillet. Par ces mots, il n’a pas seulement agité l’épouvantail de l’immigration, il a aussi insisté sur un constat : le marché du travail, dans le secteur agricole, entre l’Union et le Maroc est déjà ouvert.

Faute de travail et de rémunération suffisante - les deux allant de paire - des milliers de Marocaines vont chaque année cueillir les fruits et les légumes espagnols. Cette année, 5335 Marocaines ont été autorisées à travailler en Espagne pour la campagne agricole selon le bureau de travail et d’immigration de l’ambassade d’Espagne de Rabat. Leur nombre a, toutefois, largement baissé : elles étaient près de 17 000, en 2009, à avoir traversé le détroit, soit trois fois plus que cette année. Comme elles, au Maroc, 42,9 % de la population active travaille dans le secteur agricole, pèche et sylviculture, au premier trimestre 2011, selon le HCP. L’agriculture est le premier secteur de l’économie. Pour le Maroc, cet accord est capital car l’Europe est le premier marché pour ses produits agricoles.

Ne pas séparer accord de pêche et accord agricole

«Il n’aurait pas fallu que le Maroc accepte de séparer l’accord de pêche de l’accord agricole», estime le gérant de STECOF. Selon lui, le Maroc était en position de force avec l’accord de pêche «les Européens ont épuisé tous leurs quotas de poissons sur leurs propres côtes, ils ont besoin d’aller se fournir sur les côtes marocaines. Au contraire, l’Europe est en situation de surproduction en matière agricole», explique M. Givernaud. A l’heure actuelle, l’Union européenne est donc en situation de force : l’accord de pêche prorogé d’un an, elle a les mains libres pour négocier voire renégocier l’accord agricole avec le Maroc.

En dépit de la position de faiblesse du Maroc dans son bras de fer avec les pays du sud de l’Union européenne, l’accord agricole n’est pas mort. Si l’avis de la Comagri est révélateur des réticences et des peurs européennes, il est seulement consultatif. Le Parlement européen, qui rendra son verdict en séance plénière en octobre prochain, n’est pas tenu de s’y conformer. D’ici là, le 22 septembre, la Commission du commerce international du parlement européen doit encore rendre son avis. «Je suis optimiste à ce sujet», gage Andreas Kottwitz.

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