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Interview

Attentat de Marrakech : L'ex-agent du DRS à l'origine des révélations revient sur les relations maroco-algériennes

Le 24 août 1994, les Marocains se réveillaient sur une terrible nouvelle avec l'attentat de l’hôtel Atlas Asni de Marrakech faisant 2 morts et un blessé. Un fait historique tragique qui marquera le début de la longue crispation politique et sécuritaire entre le Maroc et l’Algérie. Rabat avait accusé Alger et ses services de renseignement d’en être les artisans avant que feu le roi Hassan II décide d’imposer un visa aux ressortissants du voisin de l’Est. Une décision qui poussera Alger à déclarer la fermeture de ses frontières terrestres.

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Karim Moulai, ex-agent du Département algérien du renseignement et de la sécurité. / Ph. Facebook
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Près de 16 ans après l’attentat de Marrakech, un ancien membre des services de renseignement avait reconnu la responsabilité de l’Algérie dans cet attentat. Karim Moulai, qui vit à Londres depuis 2000, a raconté qu’il avait été dépêché au Maroc dès avril 1994 et qu’il était chargé de la préparation logistique de cette attaque. Celui que les médias présentent comme un expert sécuritaire revient pour Yabiladi sur cet attentat, sur les relations maroco-algériennes et sur l’adhésion du Maroc à l’UA. Interview.

Vous avez révélé il y a quelques années l’implication des services de renseignement algériens dans les attentats de Marrakech. Avez-vous été menacé suite à la révélation de ces informations ?

Comme vous l’avez dit, l’implication du régime algérien dans les attentats de l'hôtel Atlas Asni à Marrakech en 1994 a été révélée il y a plusieurs années. J’ai donné ma version et affirmé que je disposais de preuves pour appuyer mes dires. Le fait qu’on m’ait menacé suite à ces révélations est vrai. Toutefois, je compte sur Dieu et sur les services sécuritaires du Royaume-Uni, qui connaissent tout de moi, pour me protéger.

Certains vous accusent d’être à la solde des services secrets marocains. Que répondez-vous à cette accusation ?

C’est ironique puisque le fait d’être un agent dans une entité implique de travailler pour elle et d’être sous sa protection. Aujourd’hui, je suis résident au Royaume-Uni, et si ce que vous dites est vrai (être un agent des services secrets marocains, ndlr), je serai appelé à être interrogé et à rendre des comptes. C’est une accusation stupide qui reflète à la fois l'ignorance et la tentative de se dédouaner de sa responsabilité. Le seul contact entre moi et les Marocains se fait à travers la presse et les interviews que je réalise avec les médias marocains comme le vôtre.

Depuis 1994, les frontières terrestres entre le Maroc et l’Algérie sont fermées. Nous sommes en 2017 et les choses n’ont toujours pas changé. Comment interprétez-vous cette triste réalité ?

La fermeture des frontières maroco-algériennes était l’objectif que les dirigeants militaires en Algérie souhaitaient atteindre. Ils voulaient exercer une pression économique sur le Maroc, au moment où le commerce bilatéral était prospère entre les deux pays et pouvait même résoudre des problèmes économiques majeurs. Le but de la fermeture de la frontière du côté algérien était d’inciter la population de ces villes et régions à l'insurrection par nécessité économique. Or il cette hypothèse s’est avérée un pari perdant.

En tant que fin connaisseur des questions sécuritaires au Maghreb, quel est votre avis sur la course à l’armement entre le Maroc et l’Algérie ainsi que les menaces récurrentes du Polisario de reprendre les armes contre le royaume ?

Pour la course à l’armement entre les deux voisins, ce n’est pas une affaire récente. Elle reflète un manque de confiance déclenché au lendemain de l'adoption par le régime algérien d’un mouvement séparatiste qui cherchait à établir un Etat sans fondements et sans ingrédients de base. Cette course reflète aussi la volonté de chaque pays de maintenir ses frontières et ses acquis, en plus de quelques autres différends qui, à mon sens, ne justifient pas le recours à ces dépenses exorbitantes relativement aux budgets des deux pays.

Quant aux menaces du Polisario de reprendre les armes contre le Maroc, ce ne sont que des informations destinées à la consommation médiatique, ni plus ni moins. Cette menace doit tout de même être prise au sérieux, compte tenu du fait que la guerre ne se résumera pas à des confrontations directes mais peut également se revêtir sous une forme terroriste.

Enfin, que pensez-vous de l’adhésion du Maroc à l’Union africaine ?

Cette étape d’adhésion peut certes être considérée comme un revirement important pour le travail de cette institution, non seulement de par le positionnement stratégique qu’occupe le Maroc au niveau de l’océan Atlantique et la mer Méditerranée, qui agit comme un pont entre l’Afrique et l’Europe, mais surtout du fait qu’il s’agit d’une initiative politique moderne pour défendre pacifiquement ses intérêts et son intégrité territoriale.

Nous savons que l’Union africaine a reconnu le Polisario comme un Etat il y a plusieurs années (ndlr : 1982), lorsque le communisme était à son apogée. Aujourd’hui, les conditions ont changé, les centres de pouvoir ont changé et, surtout, les nouvelles générations veulent vivre leur présent et appréhender le futur loin des rancunes pseudo-idéologiques. De son point de vue, je crois que l’initiative prise par le Maroc s’illustre comme une construction du futur et une participation destinée à réaccorder à cette institution continentale ses rôles politique, économique et sécuritaire qu’elle était venue remplir.

Les amis de l’Algérie au sein de l’UA ont tenté de fournir une consolation politique au régime algérien en nommant son président handicapé et muet depuis plus de quatre ans au poste de vice-président de l’Union africaine. Il est utile de rappeler qu’il ne s’agit que d’un poste honoraire qui, d’ailleurs, reflète la volonté de l’UA de maintenir une atmosphère de tolérance, de paix et d’existence entre ses Etats membres. C’est une nouvelle vision fondée sur la solidarité et l'unité pour faire face aux menaces qui pèsent sur la région.

La version de Karim Moulai sur l'attentat du 24 août à Marrakech

En 2000, après avoir fui l’Algérie, Karim Moulai se rend à Londres avant de confier à l’agence londonienne Al Qods que «le département du renseignement et de la sécurité (DRS) avait planifié l’attaque contre l’hôtel Atlas Asni de Marrakech bien avant le 24 août 1994».

«J’étais personnellement chargé de la partie logistique d’une opération sur laquelle j’ignorais tout. Je ne savais pas que le but était de perpétrer un attentat. L’Algérie avait facilité mon accès au Maroc en avril 1994 pour la préparation logistique d’une opération devant déstabiliser le royaume et porter atteinte à sa sécurité», raconte-t-il.

Il s’était alors rendu à Marrakech avant de profiter de son amitié avec un officier de police pour disposer d’informations sensibles et faire la connaissance de plusieurs autres algériens vivant à Marrakech. Des données qu’il fournira par la suite au DRS algérien.

Dans ses confessions accordées à l’agence londonienne, Karim Moulai dit avoir été à une dizaine de kilomètres de l’hôtel au moment de l’attentat. Sa mission ne consistait pas à intervenir dans cette dernière phase de l’opération menée par l’Algérie. Les renseignements de son pays le recontacteraient plus tard pour lui détailler son plan d’extradition. Il se rendra par la suite de Marrakech vers Nador, puis Oujda avant de traverser la frontière entre les deux pays.

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