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Grand Angle

Musique urbaine au Maroc, entre difficultés et accomplissements

La musique urbaine au Maroc connaît une période d’essor, le marché étant actuellement en plein boom. Pourtant, pendant de longues années, ce n’était pas le cas. Les artistes ont dû batailler avec bon nombre de difficultés, sans pourtant perdre espoir. La passion qui les anime a fait qu’ils ont réussi à faire pas mal d’accomplissements. Détails.

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La musique urbaine au Maroc connaît une période d’essor, le marché est en plein boom. / Ph. Hassan Ouazzani
Temps de lecture: 4'

H-Kayne, Black Jaguar, Shayfeen ; ces noms vous disent-ils quelque chose ? Ces artistes passionnés et animés par l’amour de la musique ont réussi en quelques années à se faire une place sur la scène musicale marocaine. Ils ont accepté de livrer à Yabiladi à cœur ouvert leur vision du milieu, les obstacles qui se sont dressés face à eux, mais aussi les choses dont ils sont fiers.

Que ce soit Hatim de H-Kayne, Black Jaguar, Chouaib de Shayfeen, Amine Hamma (co-auteur de «Jil Lklam»), tous sont unanimes pour dire que percer dans le milieu ne fut pas une mince affaire. Le manque d’infrastructures s’est imposé comme l’un des principaux obstacles qu’ils ont tous connus au début de leur carrière. «Au tout début, peu de studios existaient pour pouvoir enregistrer notre musique. Il fallait se débrouiller avec les moyens du bord et voyager pour pouvoir enregistrer nos chansons», confie Mohamed Mazouzi, alias Black Jaguar. Ce n’est que vers 2008 que des studios ont peu à peu été créés, explique le chanteur.

«Les artistes se débrouillent pour trouver un lieu, un garage, une maison de jeunes, ou même une faculté pour éviter les problèmes de voisinage causés notamment par la musique, les bruits et les répétitions», explique quant à lui Amine Hamma, co-auteur du livre «Jil Lklam» dédié à la poésie urbaine et responsable au centre de ressources de la Fondation Hiba pour la promotion des arts et de la culture au Maroc.

Droit d’auteur inexistants et art de la «débrouille»

Chacun de ces artistes sont unanimes sur le droit d’auteur au Maroc. «Ils sont importants puisqu’ils permettent à l’artiste de continuer à vivre de son métier», soutient Amine Hamma. Hatim, du groupe H-Kayne, se plaint quant à lui de l’appropriation par certaines radios de leurs titres, diffusés sans autorisation. Un projet de loi est en cours pour renforcer le rôle du bureau national de droits d’auteurs (BNDA), rappelle, optimiste, le chanteur. Un espoir de taille pour le rappeur : pendant des années, lui et son groupe ont bataillé pour que leurs droits d’auteur soient respectés. Selon lui, le problème devrait être réglé d’ici une année.

C’est que les labels n’existent pas au royaume. De ce fait, de nombreux artistes préfèrent s’autoproduire pour pouvoir continuer à vivre de leur passion. C’est le cas de Shayfeen. Chouaib Ribati alias «Shobee», l'un des deux membres de ce groupe raconte : «En 2012, nous avions sorti notre première mixtape. Peu de temps après, les radios commençaient à diffuser nos morceaux. Elles commençaient petit à petit à nous imposer leur vision de la musique. A ce moment-là, nous sommes devenus indépendants et avons commencé à sortir des clips pour Internet». Un pari réussi pour la bande qui accumule plus de 25 millions de vues sur sa page YouTube. Grâce à leur persévérance, le duo a créé son propre label «WDS» (Wlad Drari Squad).

Hatim révèle pour sa part un pan de l’histoire de son groupe. «On a commencé à la fin des années 90, début des années 2000. Mais par manque de producteurs et de studios, on est passés à l’autoproduction», dit-il. «Il fallait investir son propre argent et se débrouiller pour s’en sortir.» 

Au Maroc, peu de scènes existent pour que les jeunes artistes puissent se produire. «Les espaces de diffusion sont rares et il y a un manque flagrant de scènes privées que les artistes pourraient louer à des prix abordables pour pouvoir s’autogérer», déplore Hatim. Amine Hamma de la Fondation Hiba insiste sur la méfiance que suscitent certains rappeurs : les responsables des salles «refusent de diffuser une musique bruyante» encore méconnue par certaines catégories de la population, estime ce dernier.

Imposer le rap dans le paysage marocain et attirer les artistes des quatre coins du globe

Chouaib Ribati est optimiste quant à l’évolution de l’image du rap chez le public. «Les Marocains ne sont pas habitués à écouter la musique que nous faisons, mais depuis quelques temps, nous avons remarqué du changement. Nous recevions encore plus de feedback. Les mentalités sont donc en train de changer», croit-il savoir.

Même son de cloche chez le rappeur Meknassi d’H-Kayne : «Au début de notre carrière, il a fallu prouver que le rap du Maroc a sa propre identité. ‘Issawa Style’ a été le premier titre de rap à être diffusé sur les ondes. Notre plus grand accomplissement en tant que groupe, ça a été d’imposer le rap dans le paysage musical marocain. Nous souffrions d’une image de voyous. Petit à petit, nous avons changé cela. L’image du rap est devenue belle depuis.»

Le Maroc est même devenu un pays qui attire les artistes étrangers. Shobee de Shayfeen, qui est aussi producteur de musique, raconte: «Beaucoup d’artistes viennent pour travailler ici, étant donné que c’est moins cher, et que la qualité est là. La production commence à se délocaliser au royaume.» Il cite, entre autres, plusieurs artistes comme La Fouine, Lacrim et même un compositeur qui avait produit un titre pour French Montana.

En tout cas, ces artistes ont un courage indéniable et deviennent même des ambassadeurs pour les jeunes et carrément des idoles. H-Kayne a endossé le rôle d’ambassadeur de bonne volonté pour le PNUD (programme des Nations unies pour le développement, ndlr) pendant cinq ans. Leur rôle consistait à aller à la rencontre des jeunes, de «recueillir leurs espoirs, leurs demandes pour leur villages et de cibler ce qui leur manque culturellement», raconte Hatim. «Nous étions en charge de tout rapporter aux élus locaux et d’organiser une rencontre entre les jeunes et ces responsables». Le dernier jour de visite des villages, un concert était organisé, chose rare dans les petits patelins. «Nous avons rapproché le rap du peuple», conclut l’artiste.

Black Jaguar, quant à lui inspiré, dit que tout cela est «profitable aux jeunes». «S’ils t’admirent, ils peuvent être motivés pour aller de l’avant. S’ils te voient souffrir, ils perdent espoir en leur rêve.»

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