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Grand Angle  

«Self portrait camouflage» de Latifa Laâbissi, une chorégraphie dénonciatrice et dénoncée

Latifa Laâbissi, chorégraphe franco-marocaine présentera son solo «Self portrait camouflage», aujourd’hui et demain au Triangle de Rennes. Expérimentale, l'oeuvre se veut une exploration les thèmes de l’identité, de l’immigration et la notion de post-impérialisme. Lors d’un précédent spectacle à New York, l’interprète est quasi nue sur scène, mais c’est sa coiffe amérindienne qui choque les Américains natifs au sein du public. Ils protestent aussitôt accusant l’artiste de «appropriation culturelle et de suprématie blanche». Retour sur les péripéties d’une brèche culturelle, entre trois continents.

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L’artiste franco-marocaine souhaite dénoncer dans sa mise en scène l’Exposition universelle de 1855 ou encore à l’Exposition coloniale de 1957. / DR
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Se produisant actuellement en France, dans le cadre d’une série de rencontres sur le thème «politique du minoritaire», la performance «Self portrait camouflage» ne date pas d’aujourd’hui. Créée en 2006 par Latifa Laâbissi, le spectacle a été exporté jusqu’à New York, au prestigieux MoMA PS1, lors du festival American Realness.

Assumant une variété de rôles, l’artiste souhaite dénoncer dans sa mise en scène l’Exposition universelle de 1855 ou encore à l’Exposition coloniale de 1957, tel que rappelé dans une interview. Lors de ces zoos humains, «des hommes, des femmes, des enfants y sont l’objet d’attractions curieuses». Les amérindiens qui ont assisté au spectacle ne l’entendent pas de cette oreille, il s’agit pour eux d’appropriation culturelle, rapporte le site américain Heat Street.

Intention, signification et interprétation

C’est dans une lettre ouverte sur Facebook que Rosy Simas, danseuse sénéca, s’indigne de l’outrage que représente l’œuvre de l’artiste franco-marocaine, aux yeux de la communauté amérindienne. «Cette production est un acte agressif de discours de haine, d'appropriation culturelle et de sacrilège», explique-t-elle.

L’artiste reconnue en Amérique du Nord s’exprime en tant qu’ «experte» sur le tort que Latifa Laâbissi a porté à sa communauté. La coiffe est un symbole sacré chez les peuples Sioux, la porter est un sacrilège, la poser par terre empire l’offense, s’indigne-t-elle. La danseuse professionnelle américaine interroge également son homologue et les organisateurs du festival sur «le droit» d’appropriation du costume. Elle déplore que la culture occidentale ait chosifié pendant plusieurs années les femmes autochtones, les rendant purement sexuelles et exotiques.

 

L’esclandre du décalage culturel a d’abord suscité une réponse des organisateurs du festival American Realness qui se sont excusés du contenu de la pièce. Thomas Benjamin Snapp Pryor, fondateur et producteur du Festival explique aux autochtones américains et aux indigènes l’échec de son examen de sélection :

«Je l'ai vu comme le travail d'une femme arabe franco-marocaine qui a porté sur l'immigration et a eu une résonance avec des communautés marginalisées autour du monde. J'ai échoué dans mon processus d'examen critique pour comprendre les implications complexes de la présentation de ce travail à travers la lentille de la ‘réalité américaine’.»

L’auteure de l’œuvre a pour sa part regretté que Rosy Simas et d’autres natifs américains fussent agressés et revient sur la signification de son travail. «Dans ce solo c’est précisément l’intolérable condition du corps colonisé, dénudé, devenu comme une chose, exposé au regard prédateur, qui m’a conduit à faire cette pièce», explique-t-elle, dans un élan de compréhension. Latifa Laâbissi conclut pourtant fermement en rappelant le contexte de sa production :

«Je vous invite plus que jamais à voir la pièce et au dialogue. Je crois que vous ne supporteriez pas à juste titre qu’on condamne votre travail de danseuse, de performeuse, de cinéaste à partir d’une photographie.»

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