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Grand Angle  

« Respirez … Vous êtes en psychiatrie » : Le mantra de l’hôpital Cheikh Khalifa Ibn Zaid [Reportage]

A Casablanca, le service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Cheikh Khalifa Ibn Zaid accueille des personnes sujettes à des burn-out, des dépressions ou des addictions. De la simple consultation à l'hospitalisation, tous les âges et les milieux sociaux s’y côtoient. Reportage.

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A Casablanca, le service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Cheikh Khalifa Ibn Zaid accueille des personnes sujettes à des burn-out, des dépressions ou des addictions. / Ph. Zaïnab Aboulfaraj
Temps de lecture: 3'

Imane Kendili est une femme avenante, au sourire franc. C’est aussi une femme très occupée ; son téléphone, qui sonne sans arrêt, est là pour lui rappeler combien elle est sollicitée. Et pour cause, elle est responsable du service psychiatrique de l’hôpital Cheikh Khalifa Ibn Zaid, situé dans le quartier Hay Hassani à Casablanca.

D’emblée, c’est une impression de sérénité qui émane du service, loin des murs ternes et moribonds qui enveloppent habituellement les patients. Sur un mur, une phrase écrite en gros caractères s’illustre comme un mantra : «Respirez… Vous êtes en psychiatrie.» Loin de nous les préjugés communs aux lieux de psychiatrie : ici, pas de crise de folie, «seulement» des personnes en grande souffrance. Les personnes qui patientent dans la salle d’attente ont tous les âges et sont issus de tous les milieux sociaux. Pendant qu’un petit garçon gambade joyeusement dans les couloirs, des femmes au regard perdu, elles, semblent plongées dans une intense réflexion. Dévouées, les secrétaires font preuve d’une patience qu’on devine infinie. 

«C’est un échange, un partage. Les personnes qui viennent dans le service nous apportent beaucoup. Il ne faut pas se méprendre ; ce sont parfois les patients qui souffrent le plus qui sont les plus intelligents, en introspection perpétuelle, qui analysent beaucoup les choses. Souvent, ce sont ceux qui ont le plus lutté qui tombent.»

Plusieurs ateliers sont programmés au sein du service, notamment des séances de relaxation et d’art-thérapie. Il couvre plusieurs spécialités pour les adultes : l’addictologie (tabac, alcool, drogues et autres comportements addictifs comme l’addiction aux jeux d’argents ou les achats compulsifs), les troubles alimentaires (anorexie, boulimie, binge-eating), les troubles du sommeil, la sexologie, les thérapies de groupe ou familiales ou encore la géronto-psychiatrie.

Pousser le corps jusqu’aux limites de l’esprit

Fatine*, mariée et mère de famille, a la trentaine. Elle consulte le docteur Kendili pour faire le point après son hospitalisation. «Toute ma vie j’ai été parfaite. Je faisais tout pour rendre ma famille heureuse et donnais tout au travail, raconte-t-elle. Je cumulais beaucoup de choses jusqu’à récemment, quand j’ai craqué. Je devais passer des vacances avec ma famille mais je n’avais plus aucune force, j’étais bloquée». Le regard rembrunit, elle ajoute : «J’ai dit à mon mari de me trouver quelqu’un, un docteur, de me conduire à l’hôpital. Je voulais me sentir mieux.» Imane Kendili confesse :

«Elle a fait un burn-out. A force de trop donner, son corps et son esprit ont lâché. Il faut faire attention à ne pas trop attendre de soi, mais malheureusement, beaucoup de personnes attendent d’arriver à ce stade pour consulter.»

Jalila*, une autre patiente, a été très réticente à se livrer. Cette «vieille fille», comme elle se définit («j’ai 35 ans»), s’est décidée pendant une heure avant de prendre son courage à deux mains et sortir de sa chambre. Frêle, le regard franc et sincère d’une femme au caractère entier, Jalila a beaucoup de choses à dire. Affectée à un poste à responsabilités dans une grande entreprise, elle témoigne : «Je viens de la région d’Agadir, d’une famille très conservatrice, avec beaucoup de frères. Je me suis battue pour en arriver là.» Elle se dit féministe mais sans frôler l’extrême «parce qu’on a toujours besoin d’un homme pour nous protéger, surtout dans la société marocaine». Jalila ne s’est jamais mariée et prévoit de congeler ses ovules en Espagne pour pouvoir procréer par la suite. «J’ai beaucoup voyagé, partout dans le monde, et à chaque fois j’essayais de goûter au produits locaux, de découvrir la culture.» Elle fait référence aux drogues :

«Je ne suis jamais tombée dans l’addiction mais je voulais tout tester. Je suis comme ça dans la vie en général, je n’aime pas dépendre de quoi que ce soit, ni de qui que ce soit.»

Des cas psychiatriques qui «augmentent de jour en jour»

«Au service des urgences, de plus en plus de patients qui arrivent souffrent de maux d’ordre psychiatrique», explique l’urgentiste Imad Abousahfa. «Depuis l’ouverture de l’hôpital, la courbe est ascendante. Nous observons de jour en jour une croissance des cas psychiatriques, avec un à deux cas par jour en semaine. Le week-end, ça peut monter jusqu’à cinq cas par jour. Nous avons beaucoup plus de femmes qui sont admises en hospitalisation, des jeunes filles, des femmes mariées», précise-t-il. Le jeune médecin dit avoir affaire surtout à des crises d’angoisse et des crises de conversion somatique. En d'autres termes, le patient ne présente aucun symptôme organique, mais son corps exprime bien malgré lui des représentations refoulées.

Plus encore, certaines périodes de l’année connaissent des pics. «En ce moment, beaucoup de personnes qui ont tenté de se suicider arrivent aux urgences», poursuit-il. «Les Marocains consultent de plus en plus en psychiatrie, en addictologie et en sexologie. Mais malgré une forte demande, le Maroc ne possède pas assez de structures pour prévenir les maladies mentales», déplore-t-il.

Concernant le prix de la nuit à l’hôpital, il est relativement élevé. «Je suis dans une chambre VIP qui coûte 3 000 dirhams la nuit. Pour les chambres normales, il faut compter 1 200 dirhams», précise Jalila, consciente d’être privilégiée. «Peu de personnes peuvent se permettre d’être pris en charge dans ce genre d’hôpital. Moi, je paie ce que je gagne en une semaine. Depuis trois mois j’ai arrêté de travailler pour aller mieux.»

(*) Les prénoms ont été modifiés.

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