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Grand Angle

Du pont au tunnel sous le détroit de Gibraltar, histoire d'un rêve d'ingénieurs inaccompli

A l’heure des projets pharaoniques tels les canaux de Panama et de Suez, le tunnel sous la Manche ou encore le pont Danyang-Kunshan, en Chine, plus rien ne fait reculer l’Homme devant l’édification d’un passage qui relierait deux continents. Le projet d’un tunnel de Gibraltar, qui connecterait physiquement l’Afrique et l’Europe, a longtemps été envisagé. Rétrospective d’un mégaprojet qui tarde à voir le jour.

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Le détroit de Gibraltar constitue une barrière physique naturelle de 16 km entre l'Espagne et le Maroc. / Ph. NASA
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Relier l'Europe à l'Afrique via le détroit de Gibraltar, voilà un projet qui aurait ravi Hercule. 14 kilomètres seulement séparent les deux continents. Les tentatives de connecter le Maroc et l'Espagne se sont multipliées depuis plus d'un siècle. Les études géologiques et campagnes océanographiques se sont succédées toutes ces années pour juger de la fesabilité du projet et surtout déterminer l'infrastructure idoine. Si quelques projets de ponts avaient été imaginés par quelques ingénieurs, c'est le tunnel qui remportera finalement les faveurs des concepteurs. 

L’idée première d’un tunnel a germé dans l’esprit de l’ingénieur Laurent De Villedemil en 1869. Le projet d’un tunnel Tarifa-Tanger de 41 km a ensuite été proposé par Jean-Baptiste Berlier en 1895, qui avait pour objectif presque exclusif l’Algérie, déjà colonisée à l’époque. D’autres projets ont suivi avant d’être finalement écartés, faute de financement.

Un projet hispano-marocain de dimension internationale

Ce n’est qu’en 1979 que feu le roi Hassan II et Juan Carlos 1er d’Espagne décident d’initier le projet ferroviaire. Ils mettent conjointement en place un comité mixte composé de la Société d'études du détroit de Gibraltar (SNED Maroc) et de la Société d'études de la communication fixe à travers le détroit de Gibraltar (SECEG Espagne). Le Conseil économique des Nations unies (ECOSOC) se saisit de ce projet et suit son évolution.

La liaison fixe Maroc-Espagne est d’ailleurs l’unique projet à dimension internationale qui fait l’objet d’un suivi régulier des Nations unies, explique l’agence Ecofin. Le rapport de l'ECOSOC datant de 2009 a fixé les grands traits du méga projet : «Après plusieurs étapes, le processus d’études a été centré, depuis 1996, sur l’alternative de base consistant en un ouvrage en tunnel creusé sous le seuil du détroit, comportant, dans sa phase finale, deux galeries ferroviaires unidirectionnelles et une galerie médiane de service/sécurité.»

La conception fonctionnelle du tunnel de Gibraltar, similaire à celle du tunnel sous la Manche, permettrait à la fois l’interconnexion des réseaux ferroviaires du Maroc et de l’Espagne et le transbordement de véhicules routiers sur des trains-navettes circulant entre deux gares terminales, l’une en Espagne et l’autre au Maroc. Sacré défi historique de l'ingénierie, observe le site Doc-Espagne. Le couloir du Détroit entre Cap Cires et Punta Canales, avec 14 kilomètres de longueur entre rives et jusqu'à 900 mètres de profondeur, s’illustre comme la route la plus courte entre l'Afrique et l'Europe. Cependant, l'endroit qui rassemble le mieux les paramètres de distance et de profondeur est celui qui s'étale entre Punta Paloma et Cap Malabata, le seuil du Détroit.

C'est la solution qui présente le plus d’avantages : moindre coût, moindre impact environnemental, meilleure sécurité et non interférence avec la navigation du Détroit, possibilité d'extension en fonction de la demande. Les longueurs typiques de l’ouvrage, dans sa version actuelle, seraient de 42 kilomètres entre terminaux, dont 37,7 kilomètres en tunnel, y compris 27,7 kilomètres en tunnel sous-marin.

Quels enjeux globaux et quelles perspectives ?

Selon le scénario tendanciel, explique le rapport de l'ECOSOC, les trafics à travers le tunnel sont estimés, d’ici 2030, à 10 millions de passagers et à 7 millions de tonnes de marchandises. Le scénario favorable, dit «d’association des pays du Maghreb à l’Union européenne et de croissance en Europe», prévoit quant à lui une circulation à 13 millions de passagers et à 9 millions de tonnes de marchandises.

Les auteurs de l’étude soulignent que les régions marocaine et espagnole se développeront rapidement, principalement la rive sud en raison d’une plus forte association du Maroc à l’Union européenne. Elles devraient également bénéficier du plus grand profit de la réalisation du projet en matière de production - une part importante de la dépense sera produite par les régions elles-mêmes, principalement dans la rive nord - et en termes de création de postes d’emplois directs et indirects : environ 120 000 postes d’emplois équivalent plein temps, dont près de 80 000 directs (40 000 dans la rive sud et 80 000 dans la rive nord).

Reste à espérer que ces prévisions se concrétiseront. Pour l’instant, aucune déclaration ne laisse supposer que le projet est suspendu. «Ce méga-projet n’a pas été abandonné, sa faisabilité n’a pas été remise en question. L’Europe en récession y tient même encore plus que jamais, mais c’est la nature des relations complexes entre le Maroc et l’Espagne qui serait en partie à l’origine de ce retard», expliquait une source diplomatique marocaine en 2013 au site d’informations Bladi.

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