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Interview

Abderrahim El Allam : « Abdelilah Benkirane est le responsable du blocage puisqu’il n’a pas le courage politique »

Le Maroc n’a toujours pas de gouvernement, plus de deux mois après la désignation, par le roi Mohammed VI, d’Abdelilah Benkirane, pour former un nouvel exécutif. Les négociations entre la formation politique du chef du gouvernement désigné et les autres partis sont toujours bloquées. Le Rassemblement national des indépendants (RNI) maintient sa condition relative à la mise à l'écart du Parti de l’Istiqlal, au moment où Abdelilah Benkirane déclare son souhait de voir le RNI dans le prochain gouvernement. Décryptages d’Abbderrahim El Allal, professeur des sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad.

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Abbderrahim El Allal, professeur des sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad. /DR
Temps de lecture: 4'

Quelles sont, selon vous, les raisons du blocage dans la formation du gouvernement ?

Le blocage est un résultat de la manière employée par le système politique au Maroc, préconisée également par les acteurs politiques. Personne n’impose aujourd’hui à Abdelilah Benkirane d’intégrer telle formation politique ou tel parti dans sa coalition. Abdelilah Benkirane ainsi que l’ensemble des acteurs politiques veulent la conformité vis-à-vis de l’institution monarchique. Ils ne peuvent pas prendre une décision sans consulter cette institution et avoir son feu vert. Aujourd’hui, même s’il arrive à réunir une écrasante majorité avec plus de 340 députés, Abdelilah Benkirane ne pourra pas annoncer avoir formé une coalition sans le feu vert du Cabinet royal.

Et pourquoi à votre avis ?

Le chef du gouvernement désigné comprend qu'il ne peut pas former un gouvernement sans la participation d’un des partis politiques qui obéissent aux ordres des autorités, qui sont le PAM (Parti de l’authenticité et de la modernité) et le RNI (Rassemblement national des indépendants). Dans la mesure où il (Abdelilah Benkirane, ndlr) avait déjà dit que l’alliance avec le PAM est une ligne rouge, il ne lui reste donc que le RNI, parti de l’actuel ami du roi, fondé par le beau-frère du défunt monarque (Hassan II, ndlr). Abdelilah Benkirane a donc besoin du feu vert de l’institution monarchique pour former le gouvernement.

Quant à son problème réel, l’actuel chef du gouvernement désigné tente, depuis 2011, de normaliser avec le Palais. Avant d’être désigné chef du gouvernement, il disait que si on lui proposait un poste de ministre délégué, il ne refuserait pas. Sa mission, en tant qu’islamiste et chef d’un mouvement islamiste, est d’intégrer les institutions de l’Etat, et devenir un parti normal qui dépasse la vision négative qu’on a sur lui. On sait déjà que le parti risquait la dissolution à un moment de l’histoire récente du Maroc. On se rappelle aussi des documents, révélés par Wikileaks, de l’ambassadeur américain au Maroc. Ce responsable avait dit que le roi Mohammed VI a indiqué qu’il n’existe pas de «hérisson sans épines» et donc qu’il n’existe pas d’islamistes modérés et d’islamistes extrémistes. Abdelilah Benkirane a toujours tenté de dépasser cette vision et prouver qu’il y a bel et bien des hérissons sans épines. On se rappelle aussi que lorsque le Parti de l’Istiqlal avait quitté le gouvernement, le chef de file du PJD n’a entrepris aucune mesure exceptionnelle, à part le fait qu’il ait attendu la réponse du RNI de rejoindre la coalition. Une réponse qui n’aurait pas eu lieu sans l’intervention du Palais qui a reconstruit la coalition, sinon le gouvernement serait tombé avec des élections anticipées par la suite.

Mais Abdelilah Benkirane serait-il le responsable du blocage d’aujourd’hui ?

Le blocage au gouvernement doit être analysé dans son contexte. Le problème réside dans la façon dont le Parti de la justice et du développement regarde sa relation avec le Palais. Si on disposait d’un parti politique qui ne prenait pas en considération ce genre de choses, il aurait pu former une coalition gouvernementale en 5 jours. Le chef du gouvernement désigné a lui-même révélé la demande de Driss Lachgar (Premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires, ndlr) d'annoncer la formation de la coalition au lendemain du lancement des consultations. Il avait reconnu avoir refusé, en avançant qu’il attend la réponse du RNI. C’est une insulte à l’égard de l’exercice politique et des partis politiques.

Donc oui, le chef du gouvernement désigné est responsable du blocage puisqu’il n’a pas le courage politique d’annoncer la formation du gouvernement. Qu’est ce qui se passera ensuite s’il annonce un gouvernement sans le RNI ? Si ce gouvernement est validé, les choses se dérouleront normalement. Et s’il est refusé par le Palais, on aura rien perdu. En cas du retrait d’un parti, Abdelilah Benkirane pourra demander, lors d’un conseil des ministres (présidé par le roi, ndlr) de dissoudre le Parlement et refaire les élections.

Aujourd’hui, Abdelilah Benkirane ne peut pas dissoudre la Chambre des représentants vu qu’il n’a pas été nommé et qu’il n’est pas encore responsable devant cette chambre. Seul le roi peut annoncer la dissolution de la Chambre basse.

Donc vous allez jusqu’au point d’affirmer l'absence de confiance entre le PJD et l’institution monarchique qui veut mettre un parti proche du Cabinet royal au sein du gouvernement…

Dans la vie politique, la confiance n’existe pas. Elle n’existe même pas entre les alliés d’aujourd’hui. Lorsqu’Abdelilah Benkirane insiste sur le fait que le Parti de l’Istiqlal doit faire partie du gouvernement, cela veut-il dire qu’il lui fait confiance ? Non, il ne lui fait pas confiance. Généralement, dans la vie politique, il ne faut pas se baser sur la confiance. Cette dernière existe entre les personnes physiques mais pas entre les personnes morales. Les partis politiques, les institutions et les entreprises ne doivent donc pas se baser sur la notion de confiance. Ceci dit, l’institution royale ne doit pas faire confiance aux partis politiques et vice versa.

Le problème du PJD est qu’il se considère comme une personne physique, qui veut faire confiance et se réconcilier comme étant un parti, ce qui constitue une faute politique.

Le parti politique doit pouvoir se prononcer sur des décisions litigieuses en provenance de l’institution monarchique, et cette dernière ne doit pas être tout le temps d’accord avec un parti politique nommé. La confiance ne doit même pas exister dans le cadre de ces relations.

Mais alors que le blocage persiste, deux mois après la désignation d’Abdelilah Benkirane, quels sont les scénarios les plus probables selon vous ?

La politique au Maroc est difficilement prévisible, mais trois scénarios restent probables. Le premier sera l’intervention du roi pour la formation du gouvernement, parce qu’Abdelilah Benkirane attend un signe de lui. Le deuxième reste l’annonce de nouvelles élections alors que le troisième sera l’annonce, par Abdelilah Benkirane, de son échec et sa demande d’organiser de nouvelles élections. Il n’y a pas d’autres scénarios, comme celui de choisir quelqu’un d’autre du PJD ou désigner un secrétaire général du deuxième parti politique (en termes de sièges au Parlement, soit le PAM, ndlr).

La persistance de cette situation est une catastrophe pour le Maroc. Plusieurs projets sont en stand-by. Qui gérera les affaires des Marocains dans ce cas ? Qui se chargera de l’application des accords signés par le Maroc ? Le gouvernement de gestion des affaires courantes reste handicapé sans les 12 ministres qui l'ont quittés et sans une réelle volonté. Le chef du gouvernement de gestion des affaires courantes est frustré, les conditions ne sont pas favorables et les investisseurs ne peuvent pas investir dans ces conditions instables.

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