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Grand Angle

Récit : La situation à Alep et en Syrie racontée par le médecin marocain Zouhair Lahna

Zouhair Lahna est un médecin marocain qu’on ne présente plus. Chirurgien obstétricien et acteur associatif, il a une longue expérience dans les zones de conflit. L’ancien chef de clinique des Universités de Paris VII nous livre son récit sur la situation humanitaire à Alep et en Syrie. Il donne aussi plus d’information sur l’initiative de collecte de fonds qu’il a lancée au profit des habitants d’Alep. Récit.

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Le docteur Zouhair Lahna. /Ph. Facebook
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Bloqué dans un embouteillage en plein Casablanca, Zouhair Lahna nous confie qu’il a finalement «baissé les bras» et qu’il en profitera pour répondre à nos questions. Le sujet est, par contre, très douloureux à aborder, puisqu’il n’est autre que la situation humanitaire à Alep qui fait l’objet, depuis près de quatre mois, d’un état de siège et de bombardements presque quotidiens. Zouhair Lahna a quitté cette ville située en nord-ouest de la Syrie il y a un an, mais il est un habitué de cette zone de conflit où il s’était rendu pas mal de fois. «Je me rends en Syrie trois à quatre fois par an, mais la dernière fois que j’étais à Alep date d’il y a un an», nous dit-il.

Une ville qui a toujours été difficile à joindre, dans la mesure où il n’y avait qu’une seule route pour y aller, se rappelle-t-il, avant de nous annoncer que cet unique chemin a été complètement bloqué il y a trois mois. Même avant, il s’agissait d’une route dangereuse où on tire sur tout ce qui bouge. «L’Est de la ville est en passe d’être repris par le régime», poursuit-il, un brin de tristesse dans sa voix.

Une politique de terre brulée

Les images insoutenables de destruction, ruine et de massacre envers le peuple syrien ne datent pas des derniers jours. La situation était déjà alarmante il y a un an. «C’était toujours un peu comme ça. Les gens refusaient de voir les choses», nous déclare le médecin marocain. Selon lui «le régime tue, depuis longtemps, sa population, en envoyant des missiles et des barils du ciel sans jamais vraiment viser. Mais il (le régime, ndlr) avait du mal à reprendre Alep, alors l’aviation russe est entrée en lice en septembre 2015». Cela fait donc plus d’un an qu’Alep et les endroits ayant échappé au régime syrien se font bombarder par l’aviation de Poutine. «Les images qu’on voit sont des images très dures parce que ce sont des gens sous un déluge de feu et la Russie applique exactement ce qu’elle a appliqué en Tchétchénie, notamment à Grozny, c’est-à-dire une politique de la terre brulée. On démolie tout pour que les gens partent et les rebelles n’aient plus de soutien populaire», nous explique-t-il.

Alep-Est en ruine. /Ph. 20minutes

Qu’en est-il des hôpitaux de cette ville ? «Ils faisaient partie de ce qui maintenait les population en place. A Alep-est, il y avait 10 hôpitaux de fortune. Ils n'avaient pas les normes des hôpitaux qu’on connait mais qui rendaient services aux gens», nous répond-t-il. Les médecins prenaient des maisons et y installaient des salles de soins et des blocs opératoires. Zouhair Lahna poursuit son récit, en notant qu’il s’agissait de la médecine de tous les jours, avec des accouchements ou encore des opérations usuelles, parallèlement à la médecine et chirurgie de guerre. «Sans parler pas des problèmes psychologiques, des maladies qui ne sont plus traitées, comme le diabète, l’hypertension, la dialyse ou encore les malades cancéreux. Tous ces patients-là meurent et continuent à mourir», s’indigne-t-il. Une réalité dure lorsque l’on sait que c’est l’un des plus grands cauchemars d’un médecin : regarder une âme s’éteindre sans pouvoir faire la moindre chose pour l’aider.

«Une guerre confessionnelle qui démarre»

La route principale d’Alep coupée, le matériel et les médicaments des hôpitaux qui offraient des soins gratuitement sont en pénurie. «Toutes les aides se concentrent sur les médicaments d’urgence et non pas sur les médicaments chroniques. On ne peut pas demander à des gens de nous aider avec un médicament anti-cancéreux», nous dit-il.

«Actuellement ce qui est dur c’est qu’on tire sur les gens, de façon aveugle et plutôt méthodique pour vider Alep-est de sa population et le régime se fait aider par des miliciens vu que son armée n’est pas aguerrie face à des gens qui font la résistance», nous rapporte le médecin, en notant que la guerre devient de plus en plus une confrontation entre Chiites et les habitants. «Une guerre confessionnelle qui démarre», pour reprendre ses mots. Une situation face à laquelle même les médecins, qui ont vu des malades mourir devant leurs yeux, faute de moyens pour les opérer ou à cause d’un choix entre les malades qui s’imposent, décident de plier bagage. «Ce matin, un des médecins qui est resté dans le dernier hôpital à Alep, très jeune, m’a affirmé qu’il a un très bon moral et continue de travailler, même s’il envisage lui aussi de quitter. Tous les médecins qui travaillent et qui aident les gens sont considérés comme ennemis du régime», précise notre interlocuteur. Leur vie est donc en danger.

Un Syrien pleurant le décès de son enfant lors des bombardements. /AFP

En plein récit, le médecin marocain ouvre une parenthèse pour d’abord fustiger les Marocains et les Arabes pro-Al Assad. «Je ne comprends pas ces gens qui soutiennent le régime syrien et la Russie en disant qu’elles sont des entités anti-impérialistes et anti-Israël. Ces gens-là sont aveuglés pour la vie», souligne-t-il. Et d’insister sur le fait qu’à Alep, «il n’y pas Daesh et le Front Annossra n’embête personne», avant de rappeler qu’il examine des femmes et opère des femmes, et «jamais» on ne l’a empêché.

Une collecte de fonds pour les Syriens d’Alep

Le docteur Zouhair Lahna est aussi revenu sur la collecte de fonds qu’il a initiée. «Personnellement, je connais une association qui me demande directement à moi des fonds. Moi j’en ai pas parce que je passe mon temps à travailler gratuitement», nous explique-t-il. La réception de plusieurs messages lui demandant ce qu’il faut faire est à l'origine de cette initiative. «C’est des Marocains, Marocains résidant à l’étranger et plus largement des Maghrébins qui me connaissent. Ils veulent bouger, faire quelque chose, mais étant là, qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire ?», se demande-t-il. Pas grand-chose, finit-il pas reconnaître. Les trois choix qui s’offrent restent connus : prier, manifester ou encore donner un peu d’argent. L’occasion pour le médecin marocain d’indiquer que ces fonds seront destinés aux Syriens ayant quitté Alep. «Ils ont laissé derrière eux leur passé, leur maison, leur argent et tout ce qu’ils avaient. En plus, il fait très froid dans le nord et il va falloir des habits, des médicaments et même où les loger», poursuit-il.

La situation alarmante en Syrie ne décourage pas Zouhair Lahna. Le médecin nous confie qu’il vient de discuter avec des amis syriens et qu’il se rendra dans le pays «dès que possible», peut-être début janvier.

Pour participer à la collecte de dons du docteur Lahna : Aller sur Leetchi.com

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