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Grand Angle

Madagh, à la croisée des chemins du soufisme mondial [Reportage]

Depuis sa première édition, la zaouïa Boutchichie n’a eu de cesse de développer son activité pour réaliser un événement de cette ampleur qui réunit chaque année des milliers de personnes du monde entier. Yabiladi vous propose une immersion dans le soufisme, un récit de l’intérieur de la zaouïa, dont le crédo n’est autre que la paix et l’action par les mots.

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Chaque année lors de l'anniversaire du prophète, des milliers de personnes se réunissent à Madagh pour une veillée religieuse, en marge de la rencontre mondiale du soufisme. / Ph. Kadiri111
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L’ambiance de l’anniversaire du prophète Mohammed (Aid Al Mawlid Nabawi), célébré à Madagh, à quelques kilomètres de Berkane dans la région de l’Oriental, est très particulière chaque année. Des milliers de personnes se réunissent pour une nuit de prières et d’invocations.

La veillée religieuse a lieu dans le cadre de la 11e édition de la rencontre mondiale du Soufisme, du 10 au 12 décembre au sein de la zaouïa de Madagh. «Soufisme et culture de la paix : vision universelle de l’islam pour les valeurs du vivre-ensemble et la paix des civilisations», tel était le thème de l’édition 2016.

Premier constat dès notre arrivée sur les lieux : une présence accrue de la police et d’autres personnes chargées de la sécurité. L’événement est surveillé de toutes parts ; cela rassure les nombreuses personnes qui se sont déplacées pour assister à la rencontre. Les visiteurs affluent des quatre coins du monde pour découvrir les nombreux stands entièrement dédiés à l’islam ou au caritatif régional. L’air est imprégné de bienveillance et d’impatience. Les gens s’attroupent pour assister aux nombreuses conférences prévues. Séparés dans deux files distinctes, femmes et hommes attendent patiemment leur tour pour pénétrer à l’intérieur des différentes tentes érigées à l’occasion.

De nombreuses nationalités se côtoient ; des familles originaires d’Asie dînent paisiblement autour d’une table, tandis qu’un groupe de Turcs discute joyeusement en déambulant dans la rue. Enfin, les intervenants, dont un large sourire orne le visage, sont assez accessibles.

«Il faut trouver le juste milieu dans l’islam au lieu d’aller dans des interprétations extrémistes»

«Je participe à cette rencontre pour la seconde fois, j’interviens à l’occasion d’une conférence pour discuter des valeurs prônées par le soufisme, surtout au niveau de la morale que véhicule ce courant. Je parle des personnes pacifistes dans leur environnement et de l’établissement de la coexistence pacifique dans la société», explique Mohamed Helmi, chercheur égyptien à l’Institut allemand des recherches de l’Est (Orient Institut Beirut).

Asma Bygate, docteur britannique en sociologie, est également intervenue dans l’une des conférences. De son visage au teint clair émane une douceur et une paix intérieure que rien, ou si peu, ne semble pouvoir chambouler. Elle raconte : «On a assisté à de très beaux messages sur la paix aujourd’hui et sur le moyen d’atteindre cette paix intérieure à travers le soufisme, sur la manière dont celle-ci peut épanouir la personne, la société et la famille, pour finalement discuter de l’établissement de la paix entre les peuples et les religions.» Elle continue dans un sourire : «Il faut trouver le juste milieu dans l’islam au lieu d’aller dans des interprétations extrémistes.»

La conférence terminée, les badauds se dirigent vers les quelques stands disséminés ici et là pour manger. La veillée religieuse commence vers 20 heures. Les discussions vont bon train, les enfants sautillent et s’amusent entre eux.

Ziyara, chants et prières

Dans la mosquée où se regroupent les femmes, un brouhaha s’installe. Impatientes, elles veulent être aux premières loges pour voir arriver le fils du cheikh Hamza Kadiri Boutchich, Sidi Jamal. Déjà, des youyous se font entendre ici et là et des «amdah» (chants religieux) sont chantés pour exprimer la liesse ambiante. 

Le rituel s’appelle «Ziyara» («la visite» en français). Le guide spirituel pénètre dans la mosquée pour propager de bonnes énergies et donner sa bénédiction aux fidèles, suspendues aux lèvres du religieux. S’en suit un discours d’une heure. Petit souci technique toutefois : le micro étant mal réglé, difficile par conséquent de saisir les paroles de Sidi Jamal. 

D’autres veilleuses alignées en rang se tiennent par la main pour laisser passer le guide spirituel et le protéger des groupies en adoration devant lui. Les femmes de la famille Boutchich, en revanche, sont privilégiées ; elles passent à travers le cordon humain, symbole fort de l’appartenance à l’élite Boutchichie.

Au sein de la foule compacte assise sur des tapis, les spectatrices sont sur les nerfs. Certaines se tiennent debout pour mieux voir, d’autres s’affalent sur des chaises qu’elles ont ramenées pour ne pas souffrir de leur dos ou de leur jambes, compte tenu de leur âge avancé. D’autres encore ont même ramené des oreillers pour patienter dans un confort modéré.

Le fils du guide spirituel finit son discours. Galvanisées, les femmes entonnent en son honneur la chanson qui accompagnait le prophète Mohammed lors de son arrivée à Médine. La veillée religieuse commence enfin. Les femmes connaissent par cœur les sourates et les chants religieux, chantés des heures durant. L’ambiance est très imprégnée de spiritualité et de paix ; on en ressort ressourcé et plein de bonnes énergies.

Le soufisme érigé en rempart contre le salafisme

Justement, parlons-en de la paix. Celle-ci n’a pas toujours émaillé la confrérie. La zaouïa Boutchichie est impliquée dans la politique et a été la cible d’attaques de la part des salafistes. Sa montée en puissance est l’une des conséquences d’un rapport américain publié en 2004. Le think tank RAND (Research and Developement) avait conseillé à l’administration Bush d’encourager les mouvements soufis dans les pays musulmans pour éviter la montée de l’extrémisme salafiste.

Au Maroc, les Boutchich comptent notamment dans leurs rangs le ministre des Habous et des affaires islamiques Ahmed Taoufiq, ce qui laisse paraître un caractère à la fois politique et religieux de cette zaouïa. Le cercle comprend également d’autres figures des élites politique, économique ou culturelle. Autre manifestation de l'implication dans le politique, la zaouïa n’hésite pas à battre le pavé pour défendre ses valeurs, comme en 2011 lors du référendum sur la Constitution. Des milliers de manifestants de la confrérie étaient en effet descendus dans la rue pour affirmer leur soutien au nouveau texte constitutionnel.

Article modifié le 2016/12/15 à 23h10

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