Menu

Interview

Après le débat sur l’enseignement en arabe marocain, Noureddine Ayouch publie le premier dictionnaire de la Darija [Interview]

Initiateur en 2013 du débat sur l’initiative d’enseigner en Darija, patron de l’agence de communication Shem’s et fondateur des deux Zakoura (l’une pour les micro-crédits, l’autre pour l’éducation), Noureddine Ayouch refait parler de lui cette semaine. Il vient en effet de sortir, ce mardi, le tout premier dictionnaire de la Darija. Interview.

Publié
Noureddin Ayouch. /DR
Temps de lecture: 4'

Vous venez de publier le dictionnaire de la Darija. Quel était le processus d’élaboration de cet ouvrage ?

C’est le fruit d’un travail qui s’est étalé sur plus de 4 ans. Le dictionnaire a été élaboré par des experts linguistiques et des professeurs de renom. Ces experts ont travaillé avec une dizaine de doctorants. Plusieurs réunions préparatoires ont été organisées pour discuter notamment des objectifs de ce dictionnaire, son contenu et la façon dont il sera présenté. Après cela, nous avons mené un processus de consultation auprès des professionnels pour avoir leurs retours et leurs avis sur le travail. Il est actuellement fin prêt et nous verrons comment rendre le document disponible également en version électronique pour que les Marocains puissent le consulter et le lire. L'objecif est que ceux qui souhaitent apporter des exemples, faire des remarques ou enrichir le contenu puissent entrer en contact avec nous. Nous aurons des réunions trimestrielles ou chaque 4 mois pour discuter de ces changements et de ces suggestions pour développer d’avantages ce dictionnaire.

Pensez-vous que ce dictionnaire intéressera les Marocains ?

Je l’espère et nous le verrons. Je crois que les Marocains achèteront ce dictionnaire et le consulteront vu qu’il s’intéresse à leur langue maternelle et surtout du fait qu’il s’agit du tout premier dictionnaire au Maroc et dans le monde élaboré en Darija. La plupart des dictionnaires sont édités en alphabet latin en français, anglais ou espagnol ou avec lettres arabes. Ce dictionnaire est donc différent.

Généralement, les Marocains parlent plusieurs Darija selon leurs origines et leurs régions. Qu’est ce qui a été fait pour surmonter ce problème ?

C’est une question qui a été posée. Nous l’avons abordée et nous avons pris la Darija la plus commune, c’est-à-dire celui parlée dans les villes de Rabat, Casablanca, Settat et notamment le centre du royaume. Dans ces régions, il y a des stations radio et des médias écoutés, lus et suivis par les Marocains et qui utilisent une Darija commune. L’ensemble du Maroc parle une langue comprise par nous tous. Quelques mots spéciaux du sud du royaume, du nord, de l’oriental et d’autres régions ont été ajoutés mais la Darija du centre était la base du dictionnaire.

Vous ne pensez pas que la Darija évolue de façon rapide et donc le dictionnaire devra être régulièrement maintenu à jour ?

C’est la raison derrière le dictionnaire pour qu’il évolue et reste continuellement développé et enrichi. Nous sortirons un manuel pour les règles et la grammaire dans les prochains trois mois, fruit d’un travail d’experts aussi et qui verra le jour prochainement. Ce n’est pas tout mais notre travail se poursuit. Il y aura certainement des avis que nous allons encourager et nous restons ouverts à toutes les suggestions.

Les langues vivantes ne disparaissent jamais, surtout celles utilisées quotidiennement par les gens. Il ne faut pas oublier non plus qu’il existe des bouquins et des pièces de théâtre en Darija donc cette langue se développe de manière continue, ce qui est bien. D’ailleurs, les experts du monde insistent sur le fait qu’une langue doit être développée et enrichie avec de nouveaux mots et de nouvelles expressions.

Ce dictionnaire trouvera-t-il son chemin vers le système éducatif national ?

C'est ce que j'espère. Parce que nous avons dit, dans nos suggestions présentées au roi Mohammed VI, qu’il faut se baser sur les langues communes, comme la langue maternelle. Lorsqu’on évoque la langue maternelle, il peut s’agir de la Darija ou l’Amazighe lorsque l’enfant habite dans une région amazighe. Cette utilisation de la langue maternelle ne doit pas concerner que la première année, mais aussi la deuxième et la troisième et cette langue ne doit pas être seulement parlée mais aussi écrite.

Mais pour cela, il nous faut du temps sachant qu’il y a des gens qui ont des orientations politiques et des orientations idéologiques et qui s’opposent à nous. Ce qui est ironique, c’est qu’ils ne parlent, généralement, qu’en Darija, dans leurs vies, dans leurs interventions et même dans la rue. Ils font appel à leur langue maternelle et donc ils ne doivent pas estimer que cette langue n’est pas bonne à utiliser. C’est triste et c’est honteux.

Il faut reconnaître que de grandes institutions à l’instar de l’UNESCO (l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, ndlr) et l’UNECEF (le Fonds des Nations unies pour l'enfance, ndlr) affirment que la langue maternelle a un grand rôle pour l’enfant et que chaque nouvel élève doit être accueilli par sa langue maternelle lorsqu’il rentre pour la première fois à l’école.

On vous a attribué récemment des propos selon lesquels vous aviez appelé à l’expulsion des hommes politiques du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifiques (CSEFRS). Vous confirmez ?

Je n’ai pas parlé d’expulsion mais j’ai dit que j’ai espoir qu’il n’y aura plus d’hommes politiques au sein du conseil et qu’il deviendra un conseil occupé que par des experts en éducation disposant de connaissances et de savoir-faire afin qu’ils puissent travailler dans la transparence et indépendamment des positions idéologiques et politiques. Dans certains cas, les idées des compatriotes, des syndicats, et des partis politiques sont soit politiques soit idéologiques. J'espère donc que ce conseil sera réservé aux gens qui allient compétence et expérience.

Ceci est mon opinion personnelle et je respecte celles des autres. Mais grâce à mon expérience au sein du Conseil, dans la plupart des cas, nous gaspillons notre temps à parler d'idéologie et de politique. On oublie pourquoi nous sommes au sein de ce conseil. Nous devons donc nous focaliser sur la qualité de l’éducation, l’avenir des enfants et celui de l’école marocaine.

Traduction de l'interview menée par Youssef Dahmani et initialiement publiée dans la version arabe de Yabiladi.com.

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com