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Grand Angle

Maroc vs Nkosazana Dlamini-Zuma : Le bras de fer commenté par les experts en relations internationales

La réaction du ministère des Affaires étrangères et de la coopération datant de la semaine dernière a laissé plusieurs observateurs perplexes. Le département dirigé par Saleheddine Mezouar s’était attaqué à Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la commission de l’Union africaine (UA) l’accusant d’entraver le processus du Maroc pour récupérer son fauteuil au sein de l’organisation africaine. Comment cette réaction de la diplomatie marocaine doit-elle être interprétée ?

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Nkosazana Dlamini-Zuma en compagnie de Taieb Fassi Fihri, conseiller du roi Mohammed VI / DR
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Le feuilleton des tensions entre le royaume du Maroc et la présidente de la commission de l’Union africaine (CUA) se poursuit. Lundi, la CUA a réagi au communiqué du ministère des Affaires étrangères et de la coopération, accusant sa présidente d’entraver les efforts entrepris par le Maroc pour reprendre sa place au sein de l’Union africaine (UA). Ce bras de fer ne date pas d’aujourd’hui, puisque la demande du Maroc n’avait pas été distribuée aux Etats membres de l’UA. D’ailleurs, c’était pour cette raison que le roi Mohammed VI s’était entretenu fin octobre dernier avec le président tchadien, Idriss Déby Itno. Ces actions et réactions de la part du Maroc et de la CUA suscitent plusieurs interrogations et peuvent être interprétées de différentes manières.

Nkosazana Dlamini-Zuma, le «cauchemar» sud-africain du Maroc ?

Quelle en est l’origine ? C’est la question que nous avons posé à Khalid Cherkaoui Semmouni, directeur du Centre de Rabat pour les études politiques et stratégiques (CREPS), selon qui la réponse à cette question est «la politique d’obstruction menée par la présidente de la Commission de l'UA pour empêcher le Maroc d’achever le processus d’adhésion à l'Union africaine». Il fait également savoir que :

«Les tentatives de la présidente de la Commission de l'Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, d’entraver l’adhésion du Maroc à l'Union africaine en retardant la distribution de la demande du royaume aux Etats membres est un acte injustifiée qui se contredit avec son devoir d'impartialité. La présidente de la CUA est Sud-africaine, donc issue d’un Etat qui soutient la thèse du Polisario.»

Tout en rappelant que la demande du Maroc été approuvée par «la majorité des États membres et le chiffre dépasse nettement celui indiqué par l’Acte fondateur de l'Union africaine, en particulier les dispositions des paragraphes 1 et 2 de l'article 29», notre interlocuteur pense savoir les raisons derrières de tels actes. «La présidente de la commission espère ne pas inscrire la demande du Maroc à l'ordre du jour du sommet de l'UA qui se tiendra en janvier 2017 à Addis-Abeba, pour que le royaume perde l'occasion de récupérer sa place, ce qui est incompatible avec le principe des bonnes intentions, un des piliers des relations internationales», nous indique-t-il.

Et de conclure que «tout retard concernant cette demande ne peut que nuire à l'organisation africaine, parce que le Maroc en tant pays fort sur le plan politique et géostratégique, peut contribuer à rendre cette organisation plus puissante, plus crédible et remplir ainsi son statut prestigieux au sein de la communauté internationale».

Sahara : Un dossier commun, «beaucoup» d’intervenants et «aucune» coordination 

Nkosazana Dlamini-Zuma est également la personne à blâmer selon Mohamed Nachtaoui, professeur des relations internationales à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. «Elle sabote les efforts du Maroc et sert un agenda bien connu. Ce genre de débats ne fait que balkaniser l’Union africaine, sachant que le retour du Maroc profitera à tous les états africains», indique le professeur. L’occasion pour lui de citer à cet égard les tournées royales et les partenariats avec les pays africains conclus en présence du roi Mohammed VI. Le chercheur poursuit sa déclaration en affirmant que «le retour du Maroc a plusieurs avantages et une réelle valeur ajoutée face au front Polisario dont la présence n’a aucune valeur ajoutée au sein de l’UA». Il poursuit en affirmant que :

«Au contraire, cette présence ne fait que balkaniser l’Afrique et créer des conflits entre ses membres.»

Mais à la différence de Khalid Cherkaoui Semmouni, Mohamed Nachtaoui ne manque pas de fustiger la diplomatie marocaine. «L’histoire de la diplomatie marocaine est marquée par plusieurs fautes graves. En plus de cela, personne ne peut désigner aujourd’hui l’entité ou les responsables qui gèrent le dossier du Sahara : S’agit-il du Palais royal ? Du ministère des Affaires étrangères ? Du bureau chargé de la coordination avec la MINURSO ? Il y a beaucoup d’intervenants mais sans aucune coordination», nous déclare-t-il. Tout en qualifiant le retrait du Maroc de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de «la plus grande faute», le chercheur rappelle que «la politique de la chaise vide ne peut que constituer un faible choix stratégique».

Heureusement pour le Royaume, les choses commencent à bouger. Le professeur de l’Université Cadi Ayyad évoque, en effet, une nouvelle stratégie pour gérer ce dossier. «Une stratégie menée par le roi en Afrique et qui drainera sans doute des résultats bénéfiques pour le Maroc et ces pays africains. Le Maroc retourna au sein de l’UA quelque soient les moyens et il dispose de plusieurs cordes à son arc dans ce domaine», prédit-il. Mais selon ses propos, «il faut surtout cadrer la diplomatie marocaine et l’activer de façon pragmatique pour faire face aux tentatives des ennemis», et «profiter du retrait partiel de la diplomatie algérienne et la fragilité du pouvoir politique du voisin».

«Arrêter de créer des victoires fictives» et «s’adresser à l’opinion internationale»

Pour sa part, Mohamed Hafid, professeur des relations internationales à l’Université Sultan Moulay Slimane de Béni Mellal et membre du bureau politique du Parti socialiste unifié pointe du doigt les réels points de faiblesse de la diplomatie marocaine. «Il y a plusieurs Etats en Afrique qu’on peut mettre dans trois catégories : les pays qui soutiennent l’intégrité territoriale du Maroc, ceux qui restent neutres sur cette question, et enfin les pays qui soutiennent la thèse de la "République arabe sahraouie démocratique". Cette question devait occuper une place centrale avant toute action ou réaction», nous dit-il.

Selon lui, «on ne s’attendait pas à ce que, directement après l’annonce du Maroc, les Etats africains allaient tous applaudir. On connait les pays frères du Royaume et ce dernier a récemment frappé à nouveau aux portes de plusieurs Etats africains et a renforcé ses relations avec les composantes du continent». Et d'avertir :

«Je crois que le Maroc doit multiplier ses efforts pour aller au-delà de ces réactions et des positions de certains Etats africains. Il faut reconnaître que l’autre partie dispose, elle aussi, de relations diplomatiques et bilatérales, et a aussi une thèse défendue depuis plusieurs années.»

Le professeur estime aussi qu’il ne faut pas s’étonner et il ne faut «surtout pas» rentrer dans des polémiques, tout en soulignant la nécessité d’une «stratégie claire et une série d’objectifs à atteindre» sans tomber dans la «personnification de cette question», en allusion à la sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma.

A la question de savoir si on peut parler d’un énième faux pas de la diplomatie marocaine, Mohamed Hafid rappelle qu’il y a «un cumul» de fautes diplomatiques et «donc on ne doit pas parler de faux pas de la diplomatie marocaine mais plutôt de plusieurs fautes depuis le retrait du Royaume de l’Organisation de l’unité africaine».

Par où commencer alors ? «On doit d’abord rectifier les fautes du passé et en même temps, éviter d’en commettre de nouvelles. C’est la raison pour laquelle je dis qu’il ne faut pas qu’il ait de réactions rapides et mal calculées», estime-t-il, avant de fustiger l’approche marocaine. «Il faut aussi arrêter d’appeler à la théorie du complot, et oublier les discours où on présente le Maroc comme une victime ou comme un Etat visé par des pays ennemis. Ce discours n’est plus d’actualité et la diplomatie d’aujourd’hui doit être une diplomatie des intérêts, non seulement économiques, mais culturels et sociaux», poursuit-il.

Et d’enchainer : «Aujourd’hui, il faut convaincre. Sortons donc nos arguments à nous et faisons des efforts pour convaincre que notre position est plus fiable et plus juste, sans tomber dans des réactions dénuées de sens. Ce dossier ne doit pas être traité par des moyens obsolètes.» Pour le professeur de l’Université Sultan Moulay Slimane, il faut aussi «arrêter de créer des victoires fictives».

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