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Grand Angle

Lutte contre le Sida : Le récit de Hayat, divorcée, mère d’une petite fille et porteuse du VIH

Le monde célèbre ce vendredi la journée internationale de lutte contre le Sida. Côté chiffres, les nouvelles infections reculent. Côté moral et s’agissant du regard de la société, le sida ne tue pas plus qu’une expression facile, un mot blessant ou encore une méfiance explicite lorsqu’on parle de personne vivant avec le VIH. Hayat* est une jeune femme ayant appris en 2013 qu’elle avait contracté le virus du sida. Retour sur son «enfer quotidien», sa relation avec sa famille et le changement de sa vie depuis cette date. 

Publié
Photo d'illustration. / DR
Temps de lecture: 4'

Avec une voix tremblante et un chagrin qu’on pouvait ressentir rien qu’en entendant ses paroles, Hayat a décidé de prendre son courage à deux mains et de raconter sa vie avant et après avoir découvert, en 2013, qu’elle est porteuse du VIH. Son objectif ? «Toucher plus de gens, les avertir et les sensibiliser sur plusieurs questions, notamment le regard blessant qu’on adresse, consciemment ou inconsciemment, aux personnes qui vivent avec le VIH», nous dit-elle.

Âgée de 35 ans aujourd’hui, sa vie a été complètement chamboulée ces trois dernières années. C'est après un acte banal du quotidien - une simple épilation à la cire - qu'elle découvrira son infection. «J’ai eu des aphtes après cette épilation pendant presque un mois. Je ne pouvais pas marcher et j’ai donc décidé d’aller voir un médecin. Elle m’avait recommandé de faire des analyses complètes», se rappelle-t-elle. Après la réception des résultats, le médecin rédige une lettre et la confie à Hayat en l’invitant à se rendre au Centre hospitalier universitaire Ibn Sina de Rabat.

«Je ne peux pas vous décrire le sentiment que j’ai eu lorsque j’ai appris la nouvelle. Je ne savais pas si j’allais m’évanouir, si j’allais m’effondrer ou si je devais pleurer. Le médecin me l’avait annoncé comme s’il s’agissait du diabète ou de la tension, sans aucune préparation psychologique.»

Sa mère est la première à la rejeter à cause du sida

Hayat était accompagnée ce jour-là par sa mère, ce qui n'a pas arrangé les choses. «Elle a commencé à pleurer et à crier en s’auto-flagellant. Je ne pouvais pas supporter l’annonce», rapporte-t-elle avec beaucoup de désolation. S’agissant de la discrimination et du regard de la société marocaine, complètement désinformée sur les aspects de cette maladie, le vécu des personnes vivant avec le VIH reste insupportable.

«Ma famille sait pour ma maladie. Ils ne me touchent plus, ne mangent plus avec moi dans la même assiette. Ils ne sont pas au courant sur les modes de transmissions du VIH et Dieu sait que les personnes âgées ne savent pas beaucoup de choses sur le VIH», tente-t-elle pour justifier le rejet de sa famille. En vain. Elle s’effondre en larmes, se rendant compte elle-même que l’argument ne tient pas.

Mais comment a-t-elle attrapé ce virus ? Hayat ne semble pas avoir une réponse à cette question, visiblement très récurrente :

«Il est difficile pour une personne qui n'a pas eu de rapports sexuels hors mariage, qui ne se prostitue pas et qui ne fait rien d’interdit, de contracter cette maladie. Je pense notamment à la nature de mon travail et les objets tranchants qu’on utilise, mais je n'ai aucune certitude.»

Elle revient aussitôt sur la discrimination subie. Un sujet qui blesse et qui détruit plus que la maladie elle-même. «Lorsqu’une personne apprend que vous avez le sida, elle ne te regarde plus de la même façon. Cela vous détruit. Personne de mon entourage professionnel ne sait pour moi, sinon je n’aurais plus de gagne-pain», poursuit notre interlocutrice. D’ailleurs, pour son travail, elle nous confie qu’elle ne peut pas quitter pour aller chercher ses médicaments dans le centre de soins, ce qui lui cause d’énormes ennuis, se terminant généralement par une rupture de contrat et la recherche d’un autre job.

Mais si physiquement la situation est stable pour l’ensemble des personnes séropositives, leur état psychologique n’est généralement pas au top. «Depuis que j’ai appris la nouvelle, je ne dors pas comme avant, je ne me repose pas comme avant, et je consulte régulièrement un psychologue», poursuit notre interlocutrice. Selon elle, «ce n’est pas facile de poser sa tête sur son oreiller et ne pas se rappeler de ce qu’a été la situation et ce qu’elle est devenue. Vous devenez très méfiants, vous faites de plus en plus attention et votre vie change de façon radicale».

Un brin d’espoir face au regard blessant de la société

Mais ce n’est pas la fin du monde. Dans sa voix pleine de chagrin et de souffrance, nous arrivons tout de même à détecter une once de d’espoir. «Avant les gens prenaient près de 30 comprimés par jour alors qu’aujourd’hui, on n’a qu’un seul comprimé par jour», nous explique-t-elle. Hayat reconnaît que désormais, elle conseille aux gens de façon indirecte, essaye de les orienter et de les informer pour ne pas contracter la même maladie, «et surtout pour ne pas vivre le même enfer».

Comme plusieurs autres personnes vivant avec le VIH, Hayat avait tenté de mettre fin à ses jours. «J’ai passé un an à pleurer mon sort. J’ai perdu du poids. J’errais dans les rues, en pleurant, en criant, au point que j’ai tenté de me suicider pas mal de fois. Heureusement que j’ai commencé à lire le Coran et que j’ai découvert l’association», nous rapporte-t-elle.

Les mentalités ont-elles changé depuis 2013 ? «Cela devient pire», nous répond-t-elle tout de go. L’occasion de citer une nouvelle fois son «enfer quotidien». «Depuis que je me suis rendue à l’OPALS (Organisation panafricaine de lutte contre le Sida, ndlr), je remarque que ces gens qui sont complètement inconnus me serrent la main, me prennent dans leurs bras alors que ma mère qui m’a donné naissance a peur de moi. La sensibilisation doit aussi concerner l’entourage des personnes vivant avec le VIH», avance-t-elle.

Ses pleurs n’auraient pas, selon elle, servi à grande chose pour changer les comportements de sa famille. Elle raconte :

«Des fois, même en parlant normalement, ils insistent pour que je parte me laver les mains pour ne pas les infecter. Lorsque ma fille tombe malade, on insinue souvent qu’elle pourrait être porteuse du VIH malgré les tests négatifs effectués. On me dit qu’elle pourra elle aussi infecter toute la famille et cela me blesse profondément et me tue à petit feu.»

Son contact avec d’autres personnes vivant avec le VIH a été très décisif dans sa vie depuis 2013. Lorsqu’elle rencontre des filles dans le même cas, Hayat tente à chaque fois de les réconforter, les motiver et leur remonter le moral. «Dieu est grand et chaque personne ayant perdu quelque chose dans sa vie doit tenter et retenter de tout récupérer», conclut-elle sa déclaration.

De l’espoir dans un monde qui s’est assombri, à ses yeux, à une certaine époque de sa vie. Bien qu’ils soient efficaces contre le virus, les antirétroviraux sont hélas impuissants contre le regard préjudiciable de notre société à l’égard des personnes vivant avec le VIH…

*Le prénom de la personne citée a été modifié.

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