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Réfugié, ce Nom qui dit non [Tribune]

N’est-il pas, d’abord, d’emblée, cet étrange participe passé qui le désigne immédiatement à la confusion… Puis à ce que cette confusion permet d’outrances. Et de violences. D’abord symboliques. Et d’autant plus physiques.

Publié
Des réfugiés à la frontière turco-syrienne en juin 2015. / Ph. Bulent Kilic, AFP
Temps de lecture: 3'

Ce qu’est un réfugié ?

N’est-il pas, d’abord, d’emblée, cet étrange participe passé qui le désigne immédiatement à la confusion… Puis à ce que cette confusion permet d’outrances. Et de violences. D’abord symboliques. Et d’autant plus physiques.

Car au fond, user du terme de Réfugié, du participe passé - et si les mots voulaient dire quelque chose -, serait celui ou celle qui aurait déjà trouvé refuge. Alors, que dire, comment nommer ceux qu’on refuse, auxquels on ne veut pas donner refuge. Qui dorment dans la rue. Et comment ne pas juger qu’ils ne portent, en vérité, et au terme d’un jeu pervers, de retournement du sens, que le nom contraire, que le nom inverse de leur condition d’individus niés, déniés. Et dans les faits, et du fait d’une appellation fausse.

On comprend donc mieux cette profonde, terrible ambiguïté qui est celle du Réfugié comme Nom. C’est à dire comme faux-nom. De sorte que celui ou celle qui porte déjà un faux-nom peut tout aussi bien en porter un autre… Tout aussi faux.

On comprend donc bien pourquoi le Réfugié peut, très vite, sans que cela ne pose problème, se voir nommer Migrant. C’est à dire un être sans situation… Qui passe perpétuellement, qui n’est jamais un point sur la carte. Pas de départ. Ni même d’arrivée, pour le Migrant.

Un participe passé, donc, le réfugié

Mais qui efface, systématiquement, tout le passé de celui, de celle, de tous ceux qui cherchent refuge… Et dès qu’ils le trouvent, il apparaît bien vite que tout ce qu’ils ont été, que tout ce qu’ils auront fait avant, n’existe plus. Que toutes formes d’écritures de soi - souvenirs, travail, savoirs -, que ce qui fait un humain et son pesant d’histoire personnelle ne vaille plus face à ce qui le fait désormais en tant que réfugié. N’être plus que le poids, que la somme des besoins, à prendre en charge.

Quantifié, le réfugié n’a plus d’autre qualification que celle de ventre à nourrir. De corps à placer. A déplacer. Le réfugié s’il est pris en charge, est, de fait, entièrement privé de l’œuvre qu’est sa vie.

A ce titre, ce n’est même pas un étranger…

Car il y a, dans la figure de l’Etranger, quelque chose de l’ordre de la liberté. Il a choisi de partir, un jour, pour un ailleurs. La tradition veut que l’Etranger vienne, librement, chez nous… Et que, dès lors, nous lui demandions d’où il vient, quels sont ces croyances, ces manières, afin que, les ayant comparés avec les nôtres, nous puissions juger de la manière dont il faudra, soit réduire, ou accroître la part d’étranger qui est la sienne.

Être sans passé, simple corps sans œuvre… On ne s’étonnera donc pas que cet être «vide» se voit si facilement et si affreusement requalifié…Enfermé dans l’une ou l’autre des trop nombreuses catégories du désœuvrement. Pour finir très vite dans des classifications dites à risques, celles que l’on qualifie de dangereuses…

Devenu cible de substitution par excellence, il suffit de peu de choses pour que le Réfugié devienne, à terme, la figure idéale, tant attendue du contre-citoyen ! Prétexte idéal pour que se voit reposée la question de l’Identité nationale, que sa seule présence met en crise…

Ainsi, le nom du réfugié, faux-nom, appellation aléatoire, signifiant le vide que l’on rempli, selon les circonstances, des significations qui permettent les désignations les plus méprisantes, les plus horribles, est-il cet être sur lequel s’abattent et la violence symbolique, et la violence physique, et enfin, la politique ; celle des Etats. Alors, rendre à cet être, à ces humains, tous les droits humains, c’est commencer, d’abord, par lui rendre le nom qui est le sien… C’est considérer qu’il porte le fardeau d’une vérité insupportable…

Laquelle ? Il est cette part de Monde que je ne peux voir et comprendre s’il ne vient pas à Nous - cette part de guerre dont ma paix et mon ignorance ne veulent probablement pas… Ce que les médias ne peuvent pas montrer, ceux-là même qui ne savent que «parler» des réfugiés comme d’une masse, un Tout qui fait oublier toute la singularité de celui, de celle, dont il s’agit ici.

Il est ce qui dit que Tout peut basculer. Parce qu’il est une figure de l’Humilité même… Il est peut-être la Condition la plus chimiquement pure de l’Homme - et qui interpelle, en profondeur, reposant brutalement la question, la définition même de la Culture : à savoir qu’il repose la question de la Vulnérabilité et de la Mortalité.

Il me commande - et peut-être que je n’aime pas - au nom de «Ma Liberté» qu’on me commande ! Il y a, en lui, quelque chose qui m’intime, qui m’ordonne - comprendre qui me fait entrer en moi pour y retrouver l’Incontournable, l’Infini, qui est le visage de l’autre.

Ce visage sur lequel est écrit : Je suis l’Humain que tu peux être, ton possible demain. Ce possible que, pour l’heure, nous voulons absolument impossible. Et qui rend la condition de Réfugié suffisamment impensable pour que nous lui refusions, encore, son vrai Nom, le seul possible, l’unique et véritable, qui est celui de Frère.

Tribune

Driss Jaydane
Ecrivain - Collection Le Royaume des Idées
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