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Grand Angle  

« Omar m’a tuer » : Retour sur une énigme judiciaire aux nombreux rebondissements

Le 24 juin 1991, Ghislaine Marchal, riche veuve, est retrouvée sauvagement abattue dans la cave de sa villa de Mougins, dans les Alpes-Maritimes. Un coupable ne tarde pas à être désigné : Omar Raddad, un jardinier marocain qui travaille pour la sexagénaire. Un feuilleton judiciaire démarre avec de nombreux rebondissements. 

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L’inscription « OMAR M’A TUER », écrite avec le sang de la victime. / Ph. Police scientifique
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C’est certainement la faute d’accord la plus célèbre de la France des années 90. La plus détournée, aussi. Trois mots qui ont fait couler beaucoup d’encre, de sang aussi, donnés en pâture à la presse, et même au cinéma.

C’était en 1991, le soir du 24 juin. Ghislaine Marchal, 65 ans, riche veuve d’un équipementier automobile, est retrouvée morte dans la cave de sa villa de Mougins (Alpes-Maritimes), le corps lardé de coups de couteau, entre autres détails sauvages. Sur une porte blanche qui mène à la cave, une inscription tombe comme un couperet : «OMAR M’A TUER». Sur une autre porte, une seconde, incomplète : «OMAR M’A T». En-dessous, une empreinte sanglante de main. L’enquête déterminera plus tard que ces phrases ont été écrites avec du sang ; celui de la victime.

Dès lors, les soupçons gravitent comme des aimants autour d’une seule personne : Omar Raddad, jardinier marocain employé chez Ghislaine Marchal. C’est le sang de la deuxième phrase, ainsi que celui de l’empreinte, qui a été expertisé, écrit Libération en 2000. «Le premier est bien celui de madame Marchal, mais celui de l’empreinte contient, en plus, un ADN masculin», expliquait Jacques Vergès, l’avocat d’Omar Raddad. Selon lui, on peut donc imaginer qu'après avoir accusé Omar, «le propriétaire de la main» se serait essuyé sur la porte.

Evidemment, poursuit Vergès, le «propriétaire» de cette main ne peut pas être Raddad : «Il ne va quand même pas s’accuser de la sorte. Et puis, il est complètement illettré.» Le jardinier, arrivé en France à l’âge de 23 ans, n’écrit en effet ni l’arabe, ni le français. Un talon d’Achille qu’il traîne comme un boulet ; lors de sa déposition, les gendarmes «écriront à peu près ce qu’ils voudront dans les procès-verbaux», rappelle l’animateur Thierry Ardisson sur la base d’un livre-confession écrit avec la collaboration de la journaliste Sylvie Lotiron, qui reçoit Omar Raddad dans l’émission «Tout le monde en parle», le 8 février 2003.

Hassan II au secours du jardinier

Peu à peu, le mobile du crime se fait jour, dessinant les ressorts psychologiques de celui qui apparaît comme le coupable idéal : Omar gagne à peine le smic et avoue un faible pour les machines à sous de la Croisette cannoise. Aussi, l’homme est un immigré. Maghrébin, de surcroît : «Il y a cent ans, on condamnait un officier qui avait le tort d’être juif (en référence à l’affaire Dreyfus, ndlr). Aujourd’hui, on condamne un jardinier parce qu’il a le tort d’être maghrébin», lâchera Jacques Vergès. Me Georges Kiejman, l’un des avocats de la famille, de rétorquer : «Soutenir qu’Omar Raddad a été condamné et le reste parce qu’il est Marocain relève de la pure démagogie.»

Le scénario qui se profile, décrit par le Monde en 2006, est le suivant : «Le jardinier serait venu emprunter de l’argent à sa patronne, qui aurait refusé ; il l’aurait frappée puis, la croyant morte, se serait enfui. Ghislaine Marchal se serait alors barricadée pour se protéger. Rien n’a été volé. Les 5 000 francs retirés la veille par la victime ne sont pas retrouvés.»

Bancale, l’histoire ne tient guère la route. L’audience révèle d’ailleurs que l’enquête a été bâclée. Les négligences s’imbriquent les unes sur les autres : la fameuse porte n’a pas été protégée, les scellés n’ont pas été correctement conservés, la principale arme du crime, un couteau, n’a jamais été retrouvée... Le verdict tombe le 2 février 1994 devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes : Omar Raddad est condamné à dix-huit ans de réclusion pour «homicide volontaire».

Deux ans après sa condamnation, Omar Raddad, qui ne cessera de clamer son innocence, bénéficie toutefois d’une grâce présidentielle partielle : le roi du Maroc, Hassan II, ardent défenseur du jardinier, a plaidé sa cause auprès de Jacques Chirac lors d’une visite officielle en France. Il est libéré le 4 septembre 1998, après sept ans d’emprisonnement, et ne sera pas rejugé : une requête en révision, déposée en janvier 1999, est rejetée en novembre 2002. La justice a fini par désigner un coupable mais la grâce présidentielle, en divisant par deux la peine, a renforcé le soupçon d'erreur judiciaire.

Laisser parler l’ADN

Les doutes qui entourent la culpabilité d’Omar Raddad font l’objet d’une réclamation en 2008, par sa nouvelle avocate Me Sylvie Noachovitch, de l’ouverture d’une information judiciaire pour comparer les deux empreintes ADN masculines retrouvées sur les lieux qui ne correspondent pas à celles de son client. Une première demande de comparaison avec le sang d’Omar Raddad avait été faite en 2000 par la Commission de révision. En novembre 2015, des traces d'ADN «exploitables» sont retrouvées, indique le parquet de Nice auquel Me Noachovitch a demandé de nouveaux prélèvements, s’appuyant sur la loi du 20 juin 2014 qui assouplit les critères pour obtenir la révision d'un procès.

Or, les empreintes génétiques récemment retrouvées sur trois scellés de l'affaire Omar Raddad ne correspondent ni à ce dernier, ni aux autres suspects. La comparaison de ces traces, retrouvées sur deux portes et un chevron, n'a toutefois pas encore été établie avec le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), permettant de déterminer une éventuelle correspondance avec une personne répertoriée dans ce fichier. Enième rebondissement qui vient une fois encore secouer les arcanes dédaléens de cette affaire judiciaire digne d’un polar et, surtout, soutenir la thèse de l’innocence du jardinier. 

En 2002, Omar Raddad avait publié un livre, «Pourquoi moi ?» (Le Seuil). Si celui qui s’est reconverti dans une boucherie hallal de Marseille cultive aujourd’hui la discrétion, il veut que justice soit faite. Et espère ainsi être définitivement innocenté.

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