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Grand Angle

Cabinet de conseil : Des stratégies nationales sous influence 3/3 [Dossier]

La totalité des stratégies nationales - et désormais régionales - [Lire article 1/3] sont imaginées par des cabinets de conseils et sélectionnées par les pouvoirs publics [Lire article 2/3]. Comment ces consultants influencent-ils l’action publique ? Agents de la mondialisation, les grands cabinets internationaux ne sont pas aussi neutres qu’ils le voudraient.

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Le benchmark a pour principe de faire circuler les « bonnes pratiques » d’une organisation à une autre, d’un pays à un autre, en les adaptant au contexte. / DR
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«Les grands cabinets internationaux ont à disposition des études réalisées dans d’autres pays pour faire des benchmark. C’est ce qui fait leur force, mais avec l’étude de X*, j’ai eu l’impression que 50 à 60 % des slides étaient directement empruntées à un capital de slides antérieures. Elles semblaient n’avoir même pas été retraitées», se souvient Mohamed B., consultant freelance. Le benchmark est la base du conseil, ce dernier étant à l’origine de toutes les stratégies gouvernementales du Maroc depuis 2000.

Le benchmark a pour principe de faire circuler les «bonnes pratiques» d’une organisation à une autre, d’un pays à un autre, en les adaptant au contexte. «En les sélectionnant, les cabinets de conseil accentuent les engouements plus ou moins rationnels pour certaines techniques ou manœuvres stratégiques présentées comme des formules imparables », écrivait en 2012 Pierre-Yves Gomez, professeur de stratégie à l'EM Lyon Business School dans une tribune intitulée «Trop de consultants nuit à la stratégie».

McKinsey accompagne 90 des 100 plus grandes sociétés

La capacité d’un cabinet comme McKinsey à définir ce que sont aujourd’hui les «best practices» et à les faire adopter par le plus grands nombre est colossale. «Bien qu’elle ne donne pas leur nom, l'entreprise prétend avoir pour clients à peu près 90 des 100 plus grandes sociétés du monde. Du côté du secteur public, le cabinet a rempli des missions pour 30 gouvernements de l’OCDE et 45 pays en développement aux cours de ces 5 dernières années», indique le classement américain des cabinets de conseil Vault en 2016.

«Les grands cabinets internationaux appartiennent au monde des multinationales»rappelle Anne-Claire Gonin, consultante freelance en management. Dans ce contexte, comment déterminent-ils les modèles à adopter ? Les consultants eux-mêmes affirment miser sur l’efficacité en toute neutralité. « Les affinités politiques des consultants sont plutôt logiques. Elles croisent logique économique et impératifs sociaux. Dans une stratégie, il s’agit le plus souvent de privilégier la création d’emplois et la création de richesses. Le cabinet de conseil propose toutes les voies pour y parvenir. L’objectif est d’être neutre », estime Albert S., consultant dans un cabinet de conseil marocain.

Pour Rachid Achachi, économiste, chercheur indépendant et ex-consultant, «le fait de prétendre ne mettre aucune idéologie est une idéologie en soit, car on considère souvent le libéralisme comme un pragmatisme parce qu’il constitue l’idéologie dominante».

«Toutes les grandes stratégies sont axées sur les exportations»

En proie à un endettement abyssal, le Maroc a sciemment adopté, sous l'ère Hassan II, le modèle libéral. En 1983, il consent au Plan d’ajustement structurel proposé par le Fonds monétaire international (FMI). Si ce dernier donne le La, les grands cabinets de conseil en stratégie vont mettre en musique le libre marché pour chaque secteur ouvert par l’Etat. «Toutes les grandes stratégies ont donc été par la suite axées sur les exportations pour équilibrer la balance commerciale dans un marché ouvert», résume Rachid Achachi.

Ainsi le Plan Maroc Vert ne défend pas l’indépendance alimentaire, mais les exportations de produits agricoles bruts, relativement peu transformés. «Au centre de l’équation se trouve l’acte d’investissement privé, accompagné si nécessaire de l’aide publique. Au final, l’agriculture est une activité économique comme une autre. Ce qui fait la différence entre une agriculture qui crée de l’emploi et de la valeur et une agriculture à faible valeur ajoutée, c’est l’investissement», d'après la stratégie écrite par McKinsey.

«Si l’investissement - matériel et immatériel - est évidemment un facteur nécessaire, il est loin d’être suffisant pour promouvoir un véritable développement du secteur agricole, tant il s’est révélé patent que des dimensions liées au cadre politique et institutionnel, à l’organisation sociale et à des facteurs culturels entre autres, sont encore plus déterminantes», contestait vivement en 2012 Najib Akesbi, professeur et chercheur à l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, dans son article «Une nouvelle stratégie pour l’agriculture marocaine : Le Plan Maroc Vert»

«Le Maroc, base arrière de l’industrie occidentale»

Dans le même esprit, le Plan Emergence conçu et actualisé régulièrement depuis 2005 désigne plusieurs grands secteurs dont la production est internationalisée. Il veut faire du Maroc un maillon de cette chaîne de production grâce à sa proximité avec le marché européen, à sa stabilité, à des infrastructures physiques et institutionnelles fonctionnelles et surtout à une main d’œuvre à bas coûts.

«En lisant le Plan Emergence, je me suis demandé si ses concepteurs n’avaient pas simplement cherché à faire du Maroc la base arrière de l’industrie occidentale par la sous-traitance. Même en conservant la perspective de constituer une offre exportable, la stratégie aurait pu miser davantage sur les richesses propres au Maroc en développant l’agroalimentaire par exemple, sur la base des produits agricoles spécifiques au pays », remarque Anne-claire Gonin.

«Il faut faire émerger un modèle véritablement nord-africain, propre au Maroc, propose de son côté Rachid Achachi. Malheureusement, les cabinets de conseil n’intègrent pas les structures collectives. L’Etat n’est pour eux qu’une agrégation d’individus. Ils ne font pas preuve d’intelligence culturelle. »

*Etude réalisée en 2015 pour une organisation locale marocaine par l’un des principaux cabinets de conseil internationaux installé au Maroc.

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