Comment évaluez-vous le projet de loi organique sur l’opérationnalisation de l’officialisation de la langue amazighe ?
Pour être objectif, je dirais qu’il y a de nombreux points positifs dans le projet. Le texte a consacré le caractère officiel de la langue amazighe de l’Etat et de ses institutions et a promis son intégration dans tous les secteurs sans exception.
Le projet de loi a également conservé les acquis réalisés au cours des dernières années. Un point sur lequel nous avions insisté en 2012 lors du lancement du débat public sur l’officialisation de la langue amazighe. Par ailleurs, mentionner l’amazighe en tant que langue de l'enseignement, aux côtés de l’arabe dans les régions où se concentre une majorité berbérophone, constitue un point positif. C’est une avancée importante.
Que lui reprocheriez-vous en revanche ?
Son véritable talon d’Achille réside dans le volet enseignement. Nous nous étions surpris à accorder toute la latitude au Conseil supérieur de l’éducation et de la formation de déterminer les orientations générales de la politique éducative. Ce qui est bizarre, sachant que cette même instance avait confié cette mission au projet de loi organique de l'opérationnalisation de l’officialisation de la langue amazighe.
Nous avons fait part de notre opposition à la vision raciste et discriminatoire du Conseil supérieur de l’enseignement vis-à-vis de l’amazighe. Et pour cause, ses manuels scolaires, de surcroît non-conformes à la Constitution, étaient élaborés par des personnes appartenant aux courants conservateur et panarabiste, connus pour leurs hostilités aux revendications du mouvement amazigh.
Ce projet n’a pas non plus mentionné avec exactitude ce qu’il entend par augmentation du temps d’antenne en amazighe dans les médias audiovisuels, ce qui ouvre la porte à toutes les manipulations et retarde l’installation d’une réelle égalité entre les deux langues officielles. Il est plus urgent de déterminer un pourcentage respectable pour l’amazighe dans les médias audiovisuels. Et en son absence, la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle, ndlr) ne peut s’assurer que les radios et les télévisions sont conformes à la loi organique. Dans l’ensemble, le texte du gouvernement n’est pas aussi précis dans l’enseignement et les médias.
Que pensez-vous de la progression de l’opérationnalisation de la langue ?
Nous considérons que les cinq années pour la généralisation dans l’enseignement primaire, collégial et secondaire sont nécessaires. Nous avions par le passé accepté le principe de la graduation avant même l'annonce de ce projet de loi, ce lors de discussions avec des responsables de l’Etat. Nous sommes réalistes. Généraliser la langue amazighe dans l’enseignement, la justice et la santé nécessite des années de travail.
Que comptez-vous faire pour imposer vos remarques ?
Nous allons suivre de très près le processus de l’opérationnalisation. Nous comptons améliorer la copie du gouvernement lors de son examen au Parlement. Nous pensons également que la création d’une commission interministérielle serait insuffisante. Il serait mieux d’accorder à une haute instance le soin de suivre tout projet de l’opérationnalisation dans tous les secteurs.
Propos recueillis par Youssef Dahmani (Traduction : Mohammed Jaabouk)