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Grand Angle

Les PME marocaines font-elles face à un Credit Crunch ?

Le crédit aux entreprises est en baisse, alors même que les banques ont des liquidités en abondance. L’augmentation du risque d’impayés avec la crise immobilière et l’augmentation des défaillances d’entreprises expliquent en partie cette situation paradoxale.

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Le credit crunch se définit par la rarefaction du crédit. (c)
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Le Fonds de soutien financier aux TPME de la Caisse Centrale de Garantie a accordé 1,55 milliard de dirhams de crédit couplés avec 1,1 milliard de dirhams accordés, en parallèle, par les banques à 245 entreprises en difficultés, entre octobre 2014 et fin mars 2016, a révélé le ministère de l’Economie et des Finances le 9 mai 2016.

Ce fonds a aidé des petites entreprises jugées viables à surmonter des difficultés qui auraient pu les mettre au tapis. 70% des crédits du Fonds ont servi à régulariser les arriérés fournisseurs et 30% à accorder des besoins en fond de roulement et autres dettes notamment sociales et fiscales. Autant de crédits que les banques pourraient accorder – elles en ont plus que jamais les moyens – mais accordent de moins en moins.

Baisse du crédit aux entreprises privées de 0,3%

L’encours des crédits aux entreprises privées non financières, sur un an, entre mars 2015 et mars 2016 n’a augmenté que de 0,3%, selon Bank Al Maghrib (BAM), alors que les dépôts auprès des banques, bien qu’en ralentissement, ont augmenté en parallèle de 7,1%.

Les secteurs les plus touchés, sont le BTP – l’encours du crédit au secteur a baissé de 4,7% en un an - et les industries manufacturières – l’encours s’est réduit de 2%. Sans surprise, ces deux mêmes secteurs ont bénéficié, à eux seuls, de 71% des crédits de sauvetage du Fonds de la Caisse Centrale de garantie. Pour eux, la baisse du crédit s’est encore accentuée sur les trois premiers mois de l’année.

 «Ce qui est nouveau, c’est qu’on n’est pas dans un scénario de credit crunch [resserrement du crédit] – comme cela est arrivé dans des pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal -, mais de baisse de la demande sur les crédits », assure pourtant Brahim Benjelloun Touimi, administrateur directeur général du groupe BMCE Bank, à Jeune Afrique.

Pour le banquier la baisse du crédit est due à «l’essoufflement du cycle économique et un certain attentisme des investisseurs et des entrepreneurs dans cette conjoncture régionale et politique un peu trouble». Une hypothèse crédible dans le cas des crédits d’investissements, mais hautement improbable pour les crédits de trésorerie, essentiels à la pérennité de l’entreprise. Pourtant, entre mars 2015 et mars 2016, l’encours des comptes débiteurs et crédits de trésorerie ont également été réduits de 1,2%.

Les impayés explosent

Si les banques prêtent moins, ce ne serait pas non plus parce que les liquidités coûteraient cher - contrairement à ce que suggère la baisse des taux directeur par BAM en mars dernier - mais parce que les impayés explosent. En 2009, les créances en souffrances ne représentaient que 5% des crédits, contre 6,9% en 2011 et 7,6% en février 2016. Cette augmentation est toutefois en train de ralentir : le volume des créances en souffrance a augmenté de 10% entre février 2015 et février 2016, contre 18,4% l’an dernier.

Les PME marocaines sont-elles en difficultés ? La Coface, société d’assurance-crédit internationale, tâche d’anticiper sur les défaillances d’entreprise à travers trois critères : les crédits bancaires, les délais de paiement et les marges commerciales. «Les marges commerciales ne s’améliorent pas. Au Maroc, les entreprises se différencient assez peu par leur produits, alors la concurrence se fait plus par les prix, jusqu’à ce qu’ils atteignent un plancher avec des marges minimales», explique Frédéric Louat, administrateur et directeur général de la Coface.

Allongement des délais de paiement

Il est surtout témoin de l’allongement des délais de paiements. «Les retards de paiement auraient plutôt tendance à s’atténuer, mais le délai accordé par contrat, lui, augmente, a constaté Frédéric Louat. Il y a moins d’entreprises prises en retard de paiement, mais pour la trésorerie des entreprises la pression est encore plus importante. »

Faute de concurrence par les produits et par les prix, «les délais de paiement accordés par les fournisseurs sont clairement aujourd’hui devenus un argument commercial. Quand nous disons aux entreprises que nous accompagnons qu’un client est risqué et que si elle tient à lui vendre ses produits il vaut mieux demander un paiement cash, les équipes de vendeurs nous répondent souvent que nous constituons un obstacle à son développement commercial», rapporte-il.

Couvrir le risque immobilier

Les défaillances d’entreprises ont particulièrement touché le secteur du BTP avec le dégonflement de la bulle immobilière. Dans un contexte de croissance continue, les banques ont trop prêté au secteur immobilier. «Les institutionnels ont aussi leur responsabilité dans le surendettement de la Samir, car, par manque de nouveaux papiers, ils sautent sur toutes les occasions pour placer leurs liquidités, sans procéder à leur propre évaluation lors de la souscription, ni un suivi pointu de leurs engagements», selon Afifa Dassouli, professeur en Finances à l’ISCAE et journaliste financière La Nouvelle Tribune. Une analyse qui s’applique également à l’immobilier.

«Les banques ont réduit le crédit parce qu’elles ont souffert de l’augmentation du coût du risque : elles ont dû provisionner ces dernières années pour faire face à leur exposition à la bulle immobilière, mais le mal était fait. En terme de masse, l’immobilier a suscité la plus grande part des provisions bancaires, assure Frédéric Louat, or c’est un cercle vicieux. Moins il y a de crédit, plus il y a de défaillance

«Elles demandent plus de contreparties»

«Les banques répondent aux demandes de prêts des entreprises quand elles le peuvent et sont un peu plus prudentes, donc elles demandent plus de contreparties. En fait, elle regarde le ratio fonds propres/dette», résume Olivier Luc, représentant Afrique du Nord pour Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé.

«Ce que Proparco peut faire, dans ce contexte [politique bancaire de gestion du risque rigoureuse où les banques, ndlr], c’est, lorsque les entreprises ont des projets d’investissement, apporter des fonds propres à ces entreprises pour leur permettre, entre autre, d’accéder au financement bancaire. On voit bien que notre rôle n’est plus celui de prêteur traditionnel, car les banques sont en mesures de le faire, mais plutôt d’aller sur ce qui est plus risqué», explique Olivier Luc.

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