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Grand Angle

Musulmans en France : Sécularisation et regain de religiosité

L’islam connaît en France deux mouvements opposés : une sécularisation liée à une tendance générale qui s’appliquent à toutes les religions et un regain religieux propre aux conditions de déploiement de l’islam en France.

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«Parmi les personnes ayant grandi en France dans une famille musulmane, 28% sont dans une dynamique de sécularisation par rapport à la religiosité de leur parents et 15% développent une plus grande religiosité», révèle l’enquête Trajectoire et origine publiée fin 2015 par l’INED dans son chapitre «Sécularisation ou regain religieux ; la religiosité des immigrés et leurs descendants» écrit par Patrick Simon, chercheur à l’INED et Vincent Tiberj associé à Sciences Po Paris.

En d’autres termes, dans un contexte général d’abandon de la religion en France, il y a deux fois plus d’enfants de musulmans qui se montrent moins religieux que leurs parents, que d’enfants qui vivent un regain religieux et se montrent plus pratiquants que leurs parents. La sécularisation touche donc les musulmans comme les autres religions.

Cependant, par rapport à toutes les grandes religions présentes en France, c’est chez les musulmans et les juifs, que la dynamique de sécularisation est la plus faible et le regain religieux d’une génération à une autre plus fort. «Une forte opposition ressort entre les catholiques d’un côté ; dont la religiosité varie peu avec l’âge et tend plutôt à baisser pour les jeunes générations, et les musulmans et juifs pour qui la religiosité, déjà élevée par rapport aux autres confession, est supérieur de plus de 10% pour les classes d’âges des 18-25 ans par rapport aux plus de 35 ans», précise l’étude.

Pas de déterminant au regain

«Au final, le regain religieux ne concerne qu’une petite minorité des jeunes musulmans», concluent les deux chercheurs. Ceux qui composent cette minorité se rencontrent partout. Impossible d’en définir un profil type. «A vrai dire, […] seul l'âge (21% des moins de 25 ans ont un niveau de religiosité supérieur à celui de leurs parents, pour 14% des plus de 36 ans) et la génération (la 2e génération et les descendants de couple mixte) [sont déterminant]. On n'observe pas non plus d'expérience de discrimination ou de stigmatisation chez ceux qui ont un regain de religiosité. Au final, il n'y a pas grand chose à en dire, ce qui semble signifier qu'il n'y a pas de déterminant prédictif du rapport plus assidu à la religion», nous explique aujourd’hui Patrick Simon.

S’il n’y a pas de déterminant social au retour du sentiment religieux chez certains jeunes musulmans plutôt que d’autres, il peut tout de même s’expliquer en tant que phénomène. Il est en effet intimement lié à l’histoire des familles marquée par l’immigration. «La religion garde dans les communautés immigrés une fonction religieuse et sociale qu’elle a perdue dans la population majoritaire. Le sens même de l’affiliation religieuse n’est donc pas tout à fait comparable pour les différents groupes, et, de ce point de vue, islam et judaïsme, combinent des dimensions spirituelles, culturelles, sociales et identitaires plus imbriquées que dans le cas du catholicisme. Les variation de transmission s’expliquent […] par le statut minoritaire des religions qui produit un contexte favorable à leur préservation, sinon comme ensemble de normes et de pratiques actives, du moins comme référence culturelle», ecrivent les deux auteurs.

Montée de la religiosité «réactive»

Des facteurs extérieurs aux familles et à la France interviendraient également selon l’étude. «Je fais référence aux transformations qui ont accompagné une forme croissante de politisation de l'islam dans de nombreux pays du Moyen Orient et d'Afrique», précise Patrick Simon. «De fait la place de l'islam comme principe organisateur des sociétés à dominante musulmane a été transformée et de nouvelles formes de religiosité, moins traditionnelle et parfois plus exigeantes, sont apparues, tandis que des mouvements politiques se réclamant de l'islam ont soit pris le pouvoir, soit engagé une compétition avec les partis laïques pour le prendre, parfois violemment (la violence venant des deux forces en présence selon les cas) », ajoute-t-il.

Le regain de religiosité d’une minorité de jeunes musulmans trouvent aussi racine dans le contexte social et politique proprement français. «La politisation du débat sur l’islam depuis une vingtaine d’années a changé considérablement la visibilité de cette religion et les conditions de sa réception dans la société française. Le durcissement du cadre laïc produit sans doute des effets pour toutes les religions et en particulier sur l’islam qui est au centre des débats. La vision péjorative de l’islam et les contraintes posées à la manifestation publiques de la religiosité ont sans doute contribué à renforcer le statut identité de la religion et à lui conférer une dimension qui déborde la seule spiritualité ou son caractère traditionnelle», rapporte l’étude en référence aux analyses portées par Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat, auteurs de «Islamophobie, comment les élites françaises fabriquent le problème musulman». En quelque sorte la montée de la religiosité chez les jeunes musulmans serait réactive.

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