«Changeons le profil-type de Harvard», ainsi s’intitule la demande originale de crowdfunding de Yacine Zerkdi, un Franco-marocain de 28 ans admis en MBA à Harvard pour la promotion 2016-2018. «On a toujours pensé, moi y compris, que les gens admis à Harvard sont tous des intello au destin bien tracé, toujours premiers de la classe… Mais moi je suis loin de ça. Et j’ai rencontré plusieurs personnes notamment deux Marocains qui sont passés à Harvard et y ont laissé leur marque sans pour autant y être prédestinés», confie à Yabiladi cet ingénieur telecom en service dans un cabinet de conseil en France.
Quand les amis vous inspirent
Sa formation diplômante va lui coûter 200 000 euros, tous frais de scolarité et de vie compris sur les deux années. Mais cet argent, Yacine ne l’a pas. Il a donc eu l'idée audacieuse d’inviter ses amis à lui donner un coup de main pour garantir la moitié de la somme, soit 100 000 euros, le reste étant obtenu par prêt bancaire. «Me tourner vers ma banque a été mon premier réflexe. Mais quand ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient me donner plus de 100 000 euros, je réfléchissais au moyen de trouver le reste de la somme, d’autant plus que les taux bancaires sont énormes», explique le jeune homme.
C’est lors d’un voyage avec des amis que l’idée du crowdfunding lui est venue. « Ils m’ont dit qu’ils pouvaient constituer un petit fond commun pour me soutenir et comme j’aime tout ce qui est technologie, je me suis dit pourquoi pas le crowdfunding», explique Yacine. «J’ai fait quelques recherches et le tour était joué, poursuit-il. Par contre, c’est le petit texte de présentation de mon projet qui m’a pris du temps, parce qu’il fallait que je trouve la bonne formule, celle qui exprime au mieux ce que je suis».
Pas d’aumône, mais plutôt un investissement
Le jeune homme s’est inspiré de l’anecdote qui entoure la réalisation d’Iliade, une épopée de la Grèce antique réalisée à partir de la traduction de 15 000 lignes de poèmes grecs. Le traducteur de l’époque, le dénommé Mssieu Pope, estimait qu’il réaliserait son plus bel ouvrage et que les personnes l'ayant aidé dans la réalisation de ce projet en seraient récompensées.
Tout comme ce traducteur, Yacine pense qu’en intégrant Harvard, il va réaliser son «grand dessein». En revanche, il promet et «tient» à rembourser à chaque donateur la somme perçue, majorée d’une «relique» dédiée -à l’opposé de l’usure- en guise de «souvenir du bout de chemin […] fait ensemble et de [son] passage à Harvard qui ne se sera pas fait sans lui». «J’avais refusé de faire l’aumône. Je préfère que les gens pensent en termes d’investissement. C’est peut-être mon côté berbère qui s’exprime», dit-il amusé. «Je crois qu’ainsi, les gens se sentiront plus concernés par mon projet», estime l’ingénieur.
0% de pessimisme, 100% d'optimisme
Dans sa note, Yacine fait un clin d’œil aux pessimistes en rappelant l’anecdote d’AT&T, le plus grand fournisseur de services téléphoniques aux Etats-Unis qui, dans les années 1980, a vendu sa division mobile en se basant sur une fausse estimation du marché des télécoms en l’an 2000 qui concluait qu’il n’y avait aucun avenir dans le métier d’opérateur mobile. Le groupe a dû débourser une douzaine de milliards de dollars 10 ans plus tard pour acquérir une nouvelle division mobile. «Mes chers amis, depuis le jour où j’ai quitté mon Maroc natal, j’ai rêvé de servir cette révolution numérique. Aujourd’hui je souhaite passer aux avants-postes, et si possible permettre d'éviter le genre de bêtises décrites plus haut», explique cet enfant d’Agadir.
Sur les 100 000 euros levés auprès de ses amis et des âmes généreuses, Yacine a déjà récolté près d’une vingtaine de dons totalisant la somme de 11 600 euros, lesquels sont fait par carte bancaire via le site gofundme.com ou par virement bancaire. «On est encore loin du chiffre magique, mais j’y crois», déclare-t-il optimiste. Il est encore plus encouragé par les témoignages laissés par ses amis sur le site. «Je ne m’y attendais pas. Et cela touche tellement les gens que je reçois même des dons de personnes que je ne connais pas», confie l’ingénieur.
Présentement en mission au Maroc, Yacine a le temps de savourer quelques heures passées avec ses parents et ses quatre sœurs après le travail. La seule chose que redoute le jeune homme, c’est la distance qui le séparera de sa famille dès son entrée à Harvard. «Ça fait dix ans que je vis à l’étranger et c’est la première fois que je vais être aussi loin des miens», confie-t-il.