Bachir, 28 ans, a été licencié le 24 novembre dernier sans préavis. En arrivant à l’aéroport d’Orly ce jour-là, on lui a simplement interdit de rejoindre son poste de contrôleur de passagers, par son employeur Securitas, une société suédoise détenant une filiale en France. Quelques instants plus tard, il recevra une lettre de licenciement pour «fautes graves». L’entreprise lui reproche de n’avoir pas respecté le «référentiel vestimentaire», en l’occurrence «barbes, boucs ou moustaches courts, taillés, soignés et entretenus», mais aussi des «retards et absences», rapporte l’AFP qui détient une copie du courrier.
Mauvaise ambiance suite aux attentats
«C’était un véritable choc, parce que je n’ai jamais eu d’avertissement, ni de mise à pied …», a expliqué Bachir au Parisien. Mais tout de suite il a compris le sens du discours devenu récurent autour de lui quelques temps avant. «Faites attention à la barbe», «si vous voulez, je vous offre une tondeuse», lui disait-on souvent dans le sillage des attentats du 13 novembre. «J’ai remarqué qu’il y avait un acharnement », dit-il, ajoutant que la semaine suivant la tuerie, tous les collaborateurs portant une barbe étaient officieusement convoquées par le directeur. Ils recevaient l’ordre de se raser, au risque de ne plus avoir accès à leur poste. Pourtant, «ma barbe était dégradée, avec une petite longueur de 2-3 cm au niveau du menton. Je n’ai jamais vu un musulman avec un dégradé pareil ! Moi, c’était pour la mode, façon hipster, pas pour la confession !», assure le jeune homme.
Comme lui, Bechir, 34 ans a également été licencié, mais en juin, bien avant les tueries du 13 novembre. Officiellement, la société le mettait à la porte pour «inaptitude médicale» liée à une hernie discale. Cependant, l’homme soupçonne Securitas de l'avoir en réalité «poussé vers la sortie» à cause de sa barbe. Il a décidé d’attaquer son ex-employeur aux Prud’hommes. Il confie également qu’alors qu’il exerçait en tant que chef d’équipe, il devait parfois –sur ordre de la hiérarchie- «surveiller» les salariés musulmans, pour voir s'ils «faisaient la prière» pendant les pauses.
Radicalisation de l'entreprise selon l'avocat
Bachir, lui, a porté plainte pour discrimination le jour même de son licenciement et espère que l’affaire arrivera aux Prud’hommes. Pour leur avocat, Me Eric Moutet, la démarche de Securitas est évidente. Pourquoi l’entreprise applique-t-elle aujourd’hui aussi violemment ce référentiel [le port de la barbe, ndlr] alors qu’hier elle ne l’appliquait pas ?», s’interroge-t-il, estimant que c‘est une preuve de la modification de la politique de l’entreprise suite aux attentats perpétrés à Paris. «On parle de radicalisation, il ne faut pas que ce soit les entreprises qui se radicalisent vis-à-vis du code du travail», ajoute-t-il.
De son côté, l’entreprise réfute ces accusations. D’après le directeur, Michel Mathieu, le port de la barbe était un «élément supplémentaire» mais pas un «élément essentiel» au licenciement des deux musulmans. Il reconnait avoir pris des mesures, en tant que société de sécurité privée, pour prévenir «l’infiltration de salariés radicalisés » après les attentats, mais affirme que ces ex-employés ont été licenciés pour faute grave, sans toutefois préciser lesquelles.
Les deux musulmans, en tout cas, entendent faire tout ce qu’ils peuvent pour obtenir gain de cause. «J’irai jusqu’au bout», soutient Bachir.