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Grand Angle

Les statistiques ethniques : Des chiffres qui divisent les Français

Au début des années 1990, un débat se développe sur la prise en compte ou non de « l'ethnicité » dans les enquêtes de l'Institut national des études démographiques (INED) et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ce débat a été relancé par le commissaire à l'Égalité des chances et à la Diversité,Yazid Sabeg afin, selon lui, de favoriser la lutte contre les discriminations. Mais les organisations de lutte contre le racisme, les élus et universitaires y voient un danger qui portera atteinte au principe d'égalité.
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La collecte de ce type de données soulève des problèmes techniques et juridiques. La loi Informatique et liberté du 6 août 2004 interdit en effet de collecter des « données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». Cette loi découle de la directive européenne 95/46 du 24 octobre 1995 sur la « protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données ». La France souhaiterai emboiter les pas du Royaume-Uni, qui malgré la directive européenne, se sert des statistiques ethniques depuis une vingtaine d’années. À ce propos, Yazid Sabeg cité par « Le Monde » affirmait: « ce sont des mesures qui ont été expérimentées dans d'autres pays et qui pourraient l'être utilement chez nous ».

Le président de la République, Nicolas Sarkozy avait indiqué le 17 décembre dernier, en tenant compte des conclusions de la commission présidée par Simone Veil, de « fermer la porte » aux statistiques ethniques et religieuses. Mais son commissaire à l'Égalité des chances, ne veut pas abdiquer. Il devrait remettre le lundi 23 mars d'après « Le Monde », un rapport sur le sujet au président Sarkozy. Mais cette remise a été reportée à une date ultérieure. Un comité pour mesurer et évaluer la diversité et les discriminations a cependant été mis en place. Il est composé de chercheurs comme Jean-Paul Fitoussi, président l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Patrick Simon, socio-démographe à l'INED et des chefs d'entreprise.

La question des statistiques ethniques divise les Français. Yazid Sabeg rejette l'idée de créer des fichiers raciaux. Il assure aussi ne pas vouloir mettre en place une nomenclature officielle qui classerait les individus dans une catégorie ethno-raciale, mais tout simplement demander aux personnes comment elles se définissent elles-mêmes. Ainsi il n'y aura pas de référence au lieu de naissance ou à la nationalité des parents ou même au patronyme. À ce niveau, Malek Boutih, membre de la direction du Parti socialiste, contre-attaque. « Moi qui m'appelle Malek Boutih, est-ce qu'on va me permettre de dire que je suis asiatique ? bien sûr que non », a-t-il dit à Reuters.

D'un côté Yazid Sabeg a rejeté « les moyens de mesure recommandés par la mission Veil » qui font pourtant unanimité auprès des opposants aux statistiques ethniques. De l'autre l'opinion publique française demeure inquiète par la méthodologie qui sera utilisée pour recueillir les statistiques ethniques. Comme l'a souligné « Les Échos », le problème ne se pose pas avec la « nécessité de mesurer la diversité et les discriminations en raison des origines, mais bien sur ce qui doit être mesuré et sur la manière de le faire ».

Ainsi, les oppositions fusent de tous les côtés contre ce projet. Des associations comme SOS Racisme et des personnalités comme Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) ont pris le devant de la scène. Pour l'ancien président du groupe automobile Renault, qui s'exprimait dans un entretien accordé à « Libération », « il n'existe qu'une race humaine. En créant des catégories ethno-raciales, on fabrique une réalité ».

Trois questions à Jean-Christophe Desprès, fondateur de SOPI communication

- Quels seraient les principaux bénéfices des statistiques ethniques ?
- Les statistiques incluant des données relatives à l’origine présentent deux bénéfices principaux. Le premier tient à la possibilité d’appuyer la lutte contre la discrimination sur des variables précises et de mesurer l’efficacité des outils destinés à la combattre. Le second est lié à la faculté donnée aux décideurs politiques et économiques de connaître plus précisément la diversité de la société française et d’inclure cette dimension dans la définition de leur stratégie.

- Quelles sont selon vous, les principales raisons du blocage vis à vis des statistiques ethniques en France ?
- Remarquons d’abord que le terme statistiques ethniques est utilisé par les partisans du statu quo pour dénigrer toute tentative d’introduire des variables liées aux origines dans les enquêtes concernant la population française. Les partisans des statistiques dites de la diversité ont dès lors beau rappeler les précautions à prendre pour mener ce type d’étude (anonymat, consentement exprès, auto-définition) et réaffirmer leur intention d’introduire ces données dans un cadre multidimensionnel (croisées avec des données sociales, territoriale…) ; ils sont étouffés sous une chape de plomb assez troublante. S’il est très compréhensible d’être fortement attaché aux valeurs républicaines, comment nier leur non application à certaines parties de la population ? De même, ce sont les partisans de la non assignation identitaire qui recommandent d’utiliser une méthode patronymique qui est l’essence même de l’assignation. De fait, la malhonnêteté intellectuelle du débat caractérisée par des expressions aussi excessives que la référence à l’étoile jaune ou la manipulation de sondages, donne à penser qu’il s’agit hélas plus de parts de marché d’antiracisme à conserver que d’une République à sauver.

- Que pensez-vous du projet de Yazid Sabeg ?
- Positif pour autant qu’on en connaisse tous les contours, la commission Héran venant à peine de se mettre en place. On peut néanmoins regretter que l’apparence d’arrogance de celui qui la porte, ses difficultés pédagogiques et communicationnelles nuisent à l’efficacité de sa démarche. Il s’agit vraiment à ce stade d’expliquer à l’opinion publique une situation qu’elle connaît mal et à définir les bases d’un consensus qui se trouve aujourd’hui obstrué par quelques élites bien pensantes. Il faut donc se donner les moyens de rendre populaire cette question ; j’ai l’impression qu’on en est encore loin.

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