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Interview

Mohamed Benata : « Le Maroc veut jouer dans la cour des grands alors que sa politique énergétique manque de cohérence »

Prochain pays hôte de la COP en 2016, le Maroc souhaite se positionner en un carrefour incontournable des questions environnementales. Sur le terrain, les écologistes tirent régulièrement la sonnette d’alarme quant à la pollution par les énergies dites «sales» et mauvaises pratiques environnementales. Dans un entretien avec Yabiladi, Mohamed Benata, président de l’association Espace de Solidarité et de Coopération de l’Oriental (ESCO) se livre sur ses principaux chevaux de bataille. Interview.

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Yabiladi : Vous êtes un farouche opposant à l’exploitation des gaz de schistes et des schistes bitumineux au Maroc. Quel état des lieux faites-vous après toutes ces années ?

Mohamed Benata : La résistance à l’exploration et l’exploitation des gaz de schistes et des schistes bitumineux est en effet l’une des principales missions de notre association. Nous avons réalisé de nombreuses actions de sensibilisation et d’information de nos concitoyens, nos élus et nos décideurs sur les risques et le dangers que représentent ces deux industries pour la santé publique, l’eau et l’environnement. Ces programmes ont concerné presque l’ensemble du territoire national, notamment Oujda, Casablanca, Rabat, Tanger, Meknès, Fès, Azrou, Timahdit, Tighsaline, Ouarzazate, Laâyoune Sidi Makhokh, Al Hoceima... 

En plus, nous avons effectué un sit-in devant le parlement marocain pour attirer l’attention des élus et du gouvernement sur la nécessité d'ouvrir le débat. Nous avons organisé une journée d’étude en partenariat avec un groupe parlementaire pour les sensibiliser encore plus sur ces dangers. Nous avons également porté notre voix à l’international en participant au Forum mondial des Droits de l’Homme à Marrakech, le Forum Social Mondial de Tunis, la rencontre de Saint-Christol-lez-Alès dans le Gard et la rencontre de Paris.

C’est vrai qu’il nous faut encore beaucoup de travail d’information, de sensibilisation et de plaidoyer pour éviter le pire à notre pays. Mais, c'est mieux qu'il y a quelques années, les gens sont de plus en plus sensibles. Et au regard de nos moyens humains et matériels très limités, nous ne sommes pas déçus du résultat. Je précise que toutes ces actions ont été menées avec nos propres moyens ou en partenariat avec d’autres associations de la société civile. Ce qui veut dire que nous n’avons bénéficié d’aucune subvention ou de budget de bailleurs de fonds.

Vous avez toujours décrié la situation à Saïdia. L’année dernière encore vous dénonciez l’état d’insalubrité de cette plage qui recevait pourtant l’écolabel «Pavillon Bleu». Il semble régner un dialogue de sourd entre ESCO et les responsables de la ville…

L’ancien Président du Conseil Municipal de Saïdia était effectivement sourd à nos revendications et n’assistait pas aux réunions pourtant organisées par les autorités locales. Le résultat de ce mode de gestion était l’anarchie totale sur le littoral et le SIBE de la Moulouya. La plage de Saïdia a été complètement bétonnée et des cafétérias ont occupé la place des estivants. En plus, ces cafétérias ne sont même pas branchées au réseau d’assainissement et les eaux usées sont déversées dans les puits perdus qui impactent négativement la plage et donnent des odeurs nauséabondes dans leur entourage. Je me demande comment la fondation Mohamed VI et les instances chargés du pavillon bleu ont pu accorder cet emblème à cette plage aussi bien au niveau de la ville de Saïdia qu'au niveau de la station balnéaire qui empêche tous les Marocains et les Marocaines d’accéder librement à un bien public commun.

Toutefois, le dialogue n’est pas complètement rompu avec les autorités. Les concertations ont parfois lieu à des hauts niveaux et certains départements comme le ministère délégué chargé de l’Environnement répond quelques fois à nos écrits et observations. A titre d’exemple, nous avons assisté dernièrement à une réunion tenue par le nouveau Conseil Municipal de Cap de l’Eau et les riverains de la Moulouya et les associations de protection de l’environnement qui s’est déroulée dans une ambiance respectueuse de consultation et d’échange fructueux des points de vues pour trouver des solutions et des alternatives à des problème de pollution de la Moulouya et de son site écologique classé par la Convention de Ramsar.

Vous préparez à Oujda la marche internationale pour le climat à Oujda, en vue de la COP21. Certains estiment que la situation n'est pas alarmante au Maroc, vu le niveau des émissions de gaz à effet de serre du Maroc (0,2% des émissions mondiales). Quel est votre avis ?

Le Maroc se prépare à accueillir à Marrakech la COP22 en 2016 en espérant que la COP21 aboutisse à un bon résultat. Nous marcherons à Oujda nous joignant à la cause planétaire pour inviter les dirigeants politiques dans le Monde à être à la hauteur de leur responsabilité et de prendre des décisions qui engagent tous les pays sans exception pour stopper le réchauffement climatique.

Pour certain la part de pollution de notre pays par rapport au reste du Monde est insignifiante et les engagements volontaires que le Maroc a concédé de son plein gré (les INDC) ne vont rien apporter. Mais à mon avis, je pense que c’est une initiative à encourager pour que d’autres pays suivent le pas. Si chaque pays suit cet exemple, le résultat global sera satisfaisant. En revanche, je vois le problème sous un autre angle.

Lequel ?

Le Maroc veut paraître exemplaire et prendre le leadership dans le domaine des Changements Climatiques (CC) alors que sa politique énergétique manque de cohérence. Comment peut-on prétendre lutter contre les CC et réaliser tout un programme de centrale thermique à base de charbon (Jerada et Kenitra à titre d’exemple pour l’extension des centrales existantes et la nouvelle station thermique en projet à Safi) ? Comment peut-on prétendre lutter contre les CC alors que l’ONHYM est entrain de délivrer des licences de prospection et d’exploitation des schistes bitumineux et du gaz de schiste ?

Ce sont là des questions qui laissent planer un doute sur la bonne volonté des décideurs politiques marocains, d’autant plus que notre pays a reçu dernièrement une visite de la délégation de l’AIEA [agence internationale de l’énergie atomique, ndlr] pour l’encourager dans la voie dangereuse et risquée de l’énergie nucléaire. Peut-être que les décideurs politiques marocains pensent comme le Président américain Barack Obama, qu’ils peuvent lutter contre le réchauffement climatique par l’emploi de l’énergie nucléaire ? Il faut rappeler que les séquelles des catastrophes nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima ne sont pas encore cicatrisées.

Un fiasco écologique et économique.
Auteur : taharo
Date : le 28 octobre 2015 à 11h33
Je trouve que Mr Mohammed Benatta ne dévoile pas toutes les vérités sur le fiasco à la fois écologique et économique de la station de Saïdia. Le dialogue avec les décideurs locaux n'a aucune chance d'aboutir; Ils n'ont pas l'envergure nécessaire pour s'opposer aux spéculateurs immobiliers nationaux qui ont mis la main sur toute la région. des études académiques de l'Université Mohammed I ont mis en lumière les graves dangers écologiques qui ont apparu après la mise en place du complexe touristique de Saïdia. Il s'agit essentiellement de la disparition de la Forêt d’eucalyptus du littoral qui faisait la beauté de toute la région et l'enclenchement d'un processus d'érosion littoral qui va aboutir fatalement à la disparition du sable qui fait la réputation de la plage. Les aménageurs et les décideurs politiques continuent à prendre des décisions qui ont un impact négatif sur les écosystèmes naturels de la région.
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