Mardi 14 décembre, le quotidien espagnol El País a publié plusieurs notes diplomatiques américaines confidentielles, obtenues par WikiLeaks. Elles révèlent les positions respectives de l'Espagne et des Etats-Unis au sujet du conflit du Sahara et des possibilités pour aboutir à des solutions durables pour la région.
On savait le gouvernement espagnol modéré à l'égard du Maroc, mais les notes WikiLeaks apportent tout de même du nouveau. Elles sont sensibles à un point où la ministre des Affaires étrangères, Trinidad Jimenez, à dû s'expliquer devant le congrès mercredi 15 décembre sur la politique de son département à ce sujet.
Des notes envoyées par les ambassades américaines à Madrid et à Rabat révèlent que le plan d'autonomie pour le Sahara marocain, présenté en 2007 n'était pas une initiative purement marocaine. Des câbles diplomatiques datant de 2006 indiquent que les Etats-Unis et surtout l'Espagne encourageaient «activement» le Maroc à établir un tel plan. «Le Maroc devrait présenter un plan d'autonomie crédible […] concret et pas conservateur», tel aurait été le principal message de l'Espagne envers son voisin du sud, selon un câble diplomatique du 29 mars 2006. L'ancien ambassadeur des Etats-Unis à Rabat, Thomas Riley, aurait affirmé que c'était «aussi un message clé des Etats-Unis».
Soutien – et propositions concrètes !
Les gouvernements espagnol et américain d'accord sur le bien-fondé d'un plan d'autonomie, mais pas au grand jour. D'ailleurs, une note datant de deux ans plus tard, du 31 octobre 2008, révèle que «officiellement, l'Espagne continuerait de soutenir un referendum».
Sous la main, l'Espagne avait cependant d'autres plans, selon ce que les diplomates américains à Madrid ont câblé. Une note envoyée de la capitale espagnole le 11 février 2006 parlait même d'un «non-paper», une proposition qu'Alvaro Iranzo, responsable du Moyen Orient et de l'Afrique au sein du ministère des Affaires étrangères espagnol, aurait soumis aux Etats-Unis concernant le Sahara occidental. L'Espagne y aurait proposé un statut semblable à celui de la Catalogne pour la région du Sahara, c'est à dire une autonomie très large, avec un gouvernement propre, mais sous l'autorité du gouvernement central. Cela impliquerait également d'abandonner «un vocabulaire de 'décolonisation', et des mots tels que souveraineté et indépendance, en faveur d'un vocabulaire de 'mondialisation', des mots comme régionalisation, autonomie, auto-gouvernement».
Dans l'original, «[The non paper] is also clearly colored by and suggests a solution similar to the approach which Spain has taken with its own region of Catalonia. That is, abandoning "decolonization" vocabulary such as sovereignty and independence in favor of "globalization" vocabulary such as regionalization, autonomy, and self-rule (page 9).»
L'intérêt de l'Espagne : un Maghreb unifié
La question qui se pose reste le «pourquoi» de telles démarches espagnoles. Pourquoi le gouvernement espagnol est-il si pro-actif dans ce dossier ? D'autant plus qu'il semble avoir gardé cette ligne; l'actualité des derniers mois, et surtout l'incident de la Sardine puis les événements de Laâyoune, en témoigne. Même face à une opposition virulente qui le traite de lâche, le gouvernement espagnol reste très mesuré dans ses déclarations envers Rabat.
La réponse n'est pas si facile à donner. Selon les analystes des ambassades américaines, l'intérêt de l'Espagne se situe dans un Maghreb unifié. Selon eux, «la dépendance de l'Espagne du gaz naturel Algérien, mais aussi de la main d'œuvre marocaine, le commerce et la coopération transfrontalière avec le Maroc mettent l'Espagne dans la position délicate de devoir maintenir de bonnes relations avec les deux pays. L'intérêt national de l'Espagne suppose clairement de résoudre ce conflit, d'ouvrir la frontière maroco-algérienne et négocier avec une économie nord-africaine intégrée».
En anglais : «Spain's reliance on Algerian natural gas and on Moroccan labor, trade and CT cooperation puts it in the awkward position of having to maintain good relations with both nations. Spain's national interest clearly lies with resolving this dispute, opening the Morocco-Algeria border, and engaging a regionally integrated North African economy.»
Pourquoi alors ces efforts pour le plan d'autonomie ? Aux yeux du gouvernement espagnol, cette initiative serait-elle tout simplement la solution la plus réaliste pour sortir de l'impasse avec le Polisario ?
Jimenez se défend
Pour le moment, la ministre des Affaires étrangères espagnole, Trinidad Jimenez, accusée de partialité active», se défend et persiste à dire que son gouvernement est neutre. Devant la commission des Affaires étrangères du Congrès espagnol, Jimenez a affirmé mercredi 15 décembre qu'il y avait en effet un «travail intense [réalisé par Madrid] pour aider les parties à trouver une solution juste et équilibrée», mais le gouvernement Zapatero ne se serait pas prononcé pour une solution plutôt que pour une autre. L'Espagne «soutiendra celle qui sera fruit d'un accord».